École de Copenhague (physique)
L’école de Copenhague ou interprétation de Copenhague est un courant de pensée qui donne une interprétation cohérente de la mécanique quantique. Elle considère que le caractère probabiliste de la mécanique quantique et les relations d’incertitude de Heisenberg proviennent de l’interaction entre l’appareil de mesure et ce qui est mesuré, c’est-à-dire du fait qu'au niveau atomique, l’effet de l’appareil de mesure sur son objet ne peut pas être négligé. D’autre part, elle considère que parler d’objets indépendamment de toute mesure n’a pas de sens ; en particulier, il est impossible de connaître l’évolution d’un système entre deux mesures.
Cette interprétation proposée par Niels Bohr, Werner Heisenberg, Pascual Jordan, Max Born porte le nom de Copenhague car l’institut de physique, que dirigeait Bohr et où Heisenberg et Pauli étaient de fréquents visiteurs, était situé dans cette ville. Cette interprétation sert de référence en physique, même si d’autres interprétations ont été proposées.
L'interprétation
À proprement parler, il n'existe pas une interprétation de Copenhague unifiée. Ce qui est désigné par ce nom est essentiellement une reconstitution réalisée par Werner Heisenberg tardivement qui ne traduit pas nécessairement le point de vue précis des autres physiciens supposés appartenir à cette école, et en particulier Niels Bohr.
Les tenants de l'interprétation de Copenhague estiment que le cadre conceptuel hérité de la physique classique n'est pas adapté pour décrire l'infiniment petit. En particulier, il suppose que dans tout acte de mesure, l'objet mesuré et l'appareil de mesure sont totalement séparés. Or, ce n'est plus le cas lorsque l'échelle atomique est considérée. C'est ce qu'explique Heisenberg :
Le point clé est que dans le monde atomique l'influence de l'appareil de mesure sur l'objet mesuré n'est pas négligeable. Heisenberg, après avoir décrit l'expérience quantique des fentes de Young, explique le phénomène de réduction du paquet d'onde et le caractère incertain du résultat de la mesure de la façon suivante :
Heisenberg explique que c'est la séparation radicale entre l'« objet » et l'observateur à travers ses appareils de mesure qui est illusoire :
Le fait que l'objet « en soi » est inaccessible à notre connaissance et que nous intervenons de façon active dans tout acte de connaissance était déjà au centre de la philosophie d'Emmanuel Kant. Les tenants de l'école de Copenhague vont conclure du fait que l'on n'a jamais observé quoi que ce soit indépendamment d'une mesure (soit par les cinq sens soit à travers les appareils de mesure qui en sont le prolongement) que parler de l'évolution d'un système entre des mesures n'a pas de sens. Heisenberg résume la position d'Albert Einstein qui s'opposait à l'interprétation de Copenhague ainsi :
Heisenberg répond :
Les conséquences philosophiques d'une telle interprétation sont considérables. La mécanique quantique et l'interprétation de Copenhague ne remettent pas en cause le principe de causalité ou principe de raison suffisante qui déclare que tout a une cause. En effet, pour l'école de Copenhague, la réduction du paquet d'onde et le caractère statistique de la mécanique quantique ne proviennent pas du hasard et du fait que « Dieu jouerait avec les dés » pour reprendre une expression d'Einstein, mais du fait de l'interaction avec l'appareil de mesure et des incertitudes que cela implique. Il existe, de toute façon, une formulation totalement déterministe de la mécanique quantique (la théorie de De Broglie-Bohm) qui prouve que ce n'est pas le principe de raison suffisante qui est en cause en mécanique quantique. En revanche, l'interprétation de Copenhague semble faire voler en éclats le principe d'identité puisque la séparation objet/appareil de mesure ne semble plus exister. L'identité de l'objet indépendamment du reste disparaît. Plus important encore, le paradoxe EPR qui est une conséquence directe de la mécanique quantique semble faire disparaître l'identité de deux particules A et B lorsqu'elles entrent en interaction. Après l'interaction, tout se passe comme si les deux particules avaient un comportement ontologiquement lié. Bohr assume complètement cette position. Hervé Zwirn explique la pensée de Bohr :
Pour l'interprétation de Copenhague les atomes forment un monde de potentialités ou de possibilités, plutôt que de choses et de faits. Ce que l'on mesure ce sont des évènements résultants d'une rencontre entre des phénomènes et un observateur (à travers ses appareils de mesure).
Interprétation à l'heure actuelle
L'interprétation de Copenhague fait toujours autorité même si d'autres formulations de la mécanique quantique ont été proposées comme celle déterministe de David Bohm. Même dans cette dernière, le caractère non local de la mécanique quantique est préservé ce qui implique que la séparation entre l'objet mesuré et l'appareil de mesure ne peut plus être maintenue (voir précisément les différences entre l'interprétation de Copenhague et celle de Bohm). La formulation de Bohm a surtout l'avantage de mettre en évidence ce qui est le plus original en mécanique quantique, c'est-à-dire précisément cette non localité<ref>Jean Bricmont, Modèle:Lien web.</ref> et l'aspect actif de l'appareil de mesure (contextualisme)<ref>Jean Bricmont, Modèle:Lien web, p. 6-10.</ref> et que tout le reste n'en est que des conséquences (comme le problème de la mesure quantique)<ref>Michel Bitbol, Mécanique quantique, une introduction philosophique, Champs sciences, Flammarion, 1996.</ref>,<ref>Bohm et ses principes ampliatifs de sélection théorique, p.1, Michel Bitbol,Modèle:Lien web.</ref>,<ref>La non-localité et la théorie de Bohm, p.1-12, Jean Bricmont, Modèle:Lien web.</ref>,<ref>Jean Bricmont, Modèle:Lien web, p. 1-20.</ref>.
Les philosophes des sciences, comme Michel Bitbol, reprennent l'interprétation de Copenhague dans un cadre du néokantisme allant plus loin encore que Bohm. En effet, dans l'interprétation de Copenhague, il est encore question d'« objets » et d'un appareil de mesure qui agit sur l'« objet ». Mais puisque l'objet en soi n'a jamais été vu ou mesuré, c'est l'existence d'un monde objectif et même la notion d'« objet » qui doivent être rejetés. Ainsi, même les atomes n'ont aucune réalité intrinsèque indépendante. Michel Bitbol déclare, en effet :
Willard Van Orman Quine résume le fait que la mécanique quantique et l'interprétation de Copenhague remettent en cause l'existence d'un monde objectif de la façon suivante :
Interprétation empiriste
Modèle:Section à sourcer Certains considèrent que l'interprétation de Copenhague consiste, pour résoudre un problème, à simplement appliquer les postulats de la mécanique quantique pour prédire le résultat. Même si le résultat est choquant (paradoxe EPR) ils considèrent que si la mécanique quantique a prédit correctement l'issue, elle se suffit à elle-même ; il n'est pas nécessaire d'introduire des variables cachées. Il n'y a pas non plus à tirer des conclusions sur la nature de l'univers : l'issue est contenue dans les postulats, il n'y a pas d'autre conclusion à en tirer.
Cette interprétation est en quelque sorte l'interprétation « zéro » de la physique quantique : les phénomènes physiques sont prédits, et tant que les prédictions sont correctes, on ne va pas plus loin, ni dans les hypothèses, ni dans les conclusions.
Cette pensée est à rapprocher de l'empirisme.
Sans doute pour avoir la paix, Nicolas Copernic prit soin de deux choses : d’une part ne publier qu’à titre posthume, d’autre part mentionner que la relativité dont il parlait constituait avant tout un moyen commode de simplifier les calculs par rapport à la théorie des épicycles utilisée à son époque, sans chercher à se prononcer sur une quelconque réalité sous-jacente. Voir la préface de Des révolutions des sphères célestes par Osiander.
Cette considération de Copernic annonce déjà l’attitude qui sera plus tard celle de l’École de Copenhague en mécanique quantique : décrire, sans nécessairement prétendre expliquer, et s’en tenir aux faits observables. Hypotheses non fingo, dira Isaac Newton : « Je n’avance pas d’hypothèses », Modèle:Référence nécessaire. Richard Feynman prend soin d’enseigner la mécanique quantique avec la même prudence dans son cours, tout en déplorant le côté frustrant et non satisfaisant pour l’esprit de la chose.
Cette conception de l'interprétation de Copenhague a pris pour slogan une citation (attribuée à Richard Feynman, plus rarement à Paul Dirac, mais probablement apocryphe car revendiquée par un physicien moins connu<ref>Could Feynman Have Said This?</ref>) reprenant la même idée plus violemment : Modèle:Citation étrangère (« Ferme-la et calcule ! »).
Notes et références
Annexes
Articles connexes
Bibliographie
Liens externes
- « Copenhagen interpretation » sur le site plato.stanford.edu