Loi de la cryométrie
En chimie physique, la loi de la cryométrie permet de quantifier l'abaissement de la température de fusion d'un solvant en fonction de la quantité de soluté ajouté.
Elle est, avec la loi de la tonométrie et la loi de l'ébulliométrie, l'une des trois lois énoncées à partir de 1878 par François-Marie Raoult<ref>Modèle:Lien web.</ref> concernant les propriétés colligatives d'une solution chimique liquide. Avec la loi de l'osmométrie, énoncée par Jacobus Henricus van 't Hoff en 1896 et concernant le phénomène de l'osmose, ces lois ont notamment permis d'établir des méthodes de détermination expérimentale de la masse molaire des espèces chimiques.
Remarques
- Lorsque l'on parle des lois de Raoult<ref>Modèle:Lien web.</ref> (au pluriel), on fait généralement allusion aux trois lois évoquées ci-dessus qu'il ne faut pas confondre avec la loi de Raoult (au singulier) concernant les équilibres liquide-vapeur idéaux.
- Dans le monde anglo-saxon, cette loi est appelée loi de Blagden, du nom du chimiste Charles Blagden<ref>Modèle:Ouvrage.</ref>, assistant de Henry Cavendish, qui l'a mise en évidence expérimentalement dès 1788 sur des solutions aqueuses. Raoult généralisa cette loi, notamment en étudiant des solutions organiques<ref>Modèle:Article.</ref>.
Énoncé de la loi
Cas général
L'eau pure se solidifie à Modèle:Unité, cette température décroît avec une augmentation de la concentration en sel. En raison de l'hypothèse de la solution idéale, la loi de la cryométrie n'est vraie qu'aux faibles concentrations, lorsque la courbe est approximativement linéaire. Aux fortes concentrations le mélange perd son comportement idéal et la loi ne s'applique plus sous cette forme.
Lorsque l'on considère un solvant <math>s</math> contenant un soluté <math>\sigma</math>, la température de solidification du solvant avec le soluté est plus basse que la température de solidification du solvant seul. La loi de la cryométrie s'énonce ainsi :
Modèle:Début citationL'abaissement de la température de solidification est proportionnel à la fraction molaire du soluté.Modèle:Fin citation
Soit (en remarquant que pour un corps pur la température de solidification - ou température de congélation - est égale à la température de fusion) :
Loi de la cryométrie : <math>\Delta T_\text{fus} = K_\text{cry} \cdot x_\sigma</math> |
avec :
- <math>\Delta T_\text{fus}</math> l'abaissement de la température de fusion du solvant (en K) ;
- <math>K_\text{cry}</math> la constante cryoscopique du solvant (en K) ;
- <math>x_\sigma</math> la fraction molaire du soluté (en mol/mol).
La constante cryoscopique ne dépend que des propriétés du solvant :
avec :
- <math>R</math> la constante universelle des gaz parfaits (en J/(K·mol)) ;
- <math>T_\text{fus}</math> la température de fusion du solvant pur (en K) ;
- <math>\Delta_\text{fus} H</math> l'enthalpie de fusion du solvant pur à <math>T_\text{fus}</math> (en J/mol).
Sous cette forme, la constante cryoscopique a la dimension d'une température, elle s'exprime en kelvins (K).
Autrement dit, à pression constante, la température de fusion <math>T_\text{fus}</math> du solvant pur passe à <math>T = T_\text{fus} - \Delta T_\text{fus}</math> en présence d'un soluté. L'enthalpie de fusion étant une grandeur positive, la constante cryoscopique est positive. Ainsi l'ajout d'un soluté fait-il diminuer la température de fusion du solvant à pression constante (<math>\Delta T_\text{fus} > 0</math>, soit <math>T < T_\text{fus}</math>).
La loi de la cryométrie a été établie expérimentalement, mais elle peut se démontrer théoriquement. Cette loi n'est valable que sous les hypothèses suivantes :
- la quantité de soluté est négligeable devant celle du solvant dans la solution liquide ;
- la solution liquide se comporte comme une solution idéale ;
- la phase solide peut être considérée comme constituée de solvant pur, le soluté et le solvant n'étant pas miscibles en phase solide.
La loi de la cryométrie est une approximation aux faibles concentrations de l'équation de Schröder-van Laar qui peut être appliquée à des concentrations plus importantes.
En fonction de la molalité
La loi de la cryométrie est souvent exprimée en fonction de la molalité <math>b_\sigma</math> du soluté, qui représente la quantité de soluté pour Modèle:Unité de solvant (en mol/kg) :
La constante cryoscopique vaut alors :
avec <math>M_s</math> la masse molaire du solvant (en g/mol). Sous cette forme, la constante cryoscopique s'exprime en K·kg/mol, elle ne dépend toujours que des propriétés du solvant pur.
Modèle:Boîte déroulante/début On note :
- <math>M_s</math> la masse molaire du solvant (en g/mol) ;
- <math>m_s</math> la masse de solvant (en g) ;
- <math>n_s</math> la quantité de solvant (en mol) ;
- <math>n_\sigma</math> la quantité de soluté (en mol).
On a, par définition de la fraction molaire, pour le soluté :
- <math>x_\sigma = {n_\sigma \over n_s + n_\sigma}</math>
Si la quantité de soluté est négligeable devant celle du solvant :
- <math>n_\sigma \ll n_s</math>
- <math>x_\sigma \approx {n_\sigma \over n_s}</math>
La masse de solvant est donnée par :
- <math>m_s = M_s \cdot n_s</math>
La molalité du soluté est donnée par définition par :
- <math>b_\sigma = {n_\sigma \over m_s} = {n_\sigma \over M_s \cdot n_s}</math>
On a par conséquent le rapport :
- <math>x_\sigma \approx M_s \cdot b_\sigma</math>
La masse molaire étant exprimée le plus souvent en g/mol et la molalité en mol/kg, il est nécessaire d'introduire un facteur de conversion :
Pour un soluté dissociatif
Si le soluté se dissocie dans la solution liquide, comme un sel se dissociant en ions, l'expression de la loi est modifiée par le facteur de van 't Hoff <math>i</math> :
La constante <math>K_\text{cry}^\prime</math>, elle, n'est pas modifiée.
Démonstration
Pour un solvant pur au point de fusion, à sa température de fusion <math>T_\text{fus}</math>, on a l'égalité des potentiels chimiques des deux phases solide et liquide :
- (1) <math>\mu^\text{s,*} \! \left( T_\text{fus} \right) = \mu^\text{l,*} \! \left( T_\text{fus} \right)</math>
avec :
- <math>\mu^\text{s,*}</math> le potentiel chimique en phase solide pur ;
- <math>\mu^\text{l,*}</math> le potentiel chimique en phase liquide pur.
On introduit, à pression constante, un soluté dans le solvant liquide. La température de fusion du solvant est modifiée et devient <math>T</math>. Le potentiel chimique du solvant en phase liquide idéale <math>\mu^\text{l}</math> s'écrit, avec <math>x_s</math> la fraction molaire du solvant dans cette phase :
- <math>\mu^\text{l} \! \left( T \right) = \mu^\text{l,*} \! \left( T \right) + RT \, \ln x_s</math>
On considère qu'en phase solide le solvant est le seul constituant. Au nouvel équilibre de phase on a toujours l'égalité des potentiels chimiques :
- <math>\mu^\text{s,*} \! \left( T \right) = \mu^\text{l} \! \left( T \right)</math>
on a donc :
- (2) <math>\mu^\text{s,*} \! \left( T \right) = \mu^\text{l,*} \! \left( T \right) + RT \, \ln x_s</math>
En soustrayant les termes de la relation (1) dans la relation (2) on a :
- (3) <math>\mu^\text{s,*} \! \left( T \right) - \mu^\text{s,*} \! \left( T_\text{fus} \right)
= \mu^\text{l,*} \! \left( T \right) - \mu^\text{l,*} \! \left( T_\text{fus} \right) + RT \, \ln x_s</math>
La relation de Gibbs-Duhem donne la variation du potentiel chimique du solvant pur à pression constante :
- <math>\mathrm{d} \mu^* = - \bar S^* \, \mathrm{d} T</math>
avec <math>\bar S^*</math> l'entropie molaire du solvant pur. On peut donc intégrer, en considérant une faible variation de température sur laquelle l'entropie molaire peut être considérée comme constante :
- <math>\int_{T_\text{fus}}^{T} \mathrm{d} \mu^* = - \bar S^* \int_{T_\text{fus}}^{T} \mathrm{d} T</math>
- <math>\mu^* \! \left( T \right) - \mu^* \! \left( T_\text{fus} \right) = - \bar S^* \cdot \left( T - T_\text{fus} \right)</math>
On peut par conséquent réécrire la relation (3) :
- <math>- \bar S^\text{s,*} \cdot \left( T - T_\text{fus} \right) = - \bar S^\text{l,*} \cdot \left( T - T_\text{fus} \right) + RT \, \ln x_s</math>
- <math>- \left( \bar S^\text{s,*} - \bar S^\text{l,*} \right) \cdot \left( T - T_\text{fus} \right) = RT \, \ln x_s</math>
avec <math>\bar S^\text{s,*}</math> et <math>\bar S^\text{l,*}</math> les entropies molaires respectives du solvant pur solide et liquide. En introduisant <math>\Delta_\text{fus} H = T_\text{fus} \cdot \left( \bar S^\text{l,*} - \bar S^\text{s,*} \right)</math> l'enthalpie de fusion du solvant :
- <math>\Delta_\text{fus} H \cdot \left( T - T_\text{fus} \right) = R T_\text{fus} T \, \ln x_s</math>
Soit <math>x_\sigma = 1 - x_s</math> la fraction molaire du soluté. Puisque <math>x_\sigma \approx 0</math>, alors <math>\ln x_s = \ln \! \left( 1- x_\sigma \right) \approx - x_\sigma</math> par développement limité. Ainsi :
- <math>\Delta_\text{fus} H \cdot \left( T - T_\text{fus} \right) \approx - R T_\text{fus} T \, x_\sigma</math>
- <math>T_\text{fus} - T = {R T_\text{fus} T \over \Delta_\text{fus} H} x_\sigma</math>
en considérant que <math>T \approx T_\text{fus}</math> on a :
- <math>T_\text{fus} - T = {R \, {T_\text{fus}}^2 \over \Delta_\text{fus} H} x_\sigma</math>
On obtient finalement la loi de la cryométrie :
Applications
Cryométrie, détermination de la masse molaire du soluté
La cryométrie<ref>Modèle:Lien web.</ref> est une technique permettant de déterminer la masse molaire d'un soluté.
On introduit une masse <math>m_\sigma</math> de soluté dans une masse <math>m_s</math> de solvant, on mesure la baisse <math>\Delta T_\text{fus}</math> de la température de fusion du solvant.
Modèle:Boîte déroulante/début On note :
- <math>M_\sigma</math> la masse molaire du soluté (en g/mol) ;
- <math>m_s</math> la masse de solvant (en g) ;
- <math>m_\sigma</math> la masse de soluté (en g) ;
- <math>n_\sigma</math> la quantité de soluté (en mol).
La masse de soluté vaut :
- <math>m_\sigma = M_\sigma \cdot n_\sigma</math>
La molalité du soluté vaut :
- <math>b_\sigma = {n_\sigma \over m_s} = {1 \over M_\sigma}{m_\sigma \over m_s}</math>
La température de fusion du solvant diminue de :
- <math>\Delta T_\text{fus} = K_\text{cry}^\prime \cdot b_\sigma</math>
On peut en conséquence calculer la masse molaire du soluté selon :
- <math>M_\sigma = {K_\text{cry}^\prime \over \Delta T_\text{fusModèle:Boîte déroulante/fin{m_\sigma \over m_s}</math>
La constante <math>K_\text{cry}^\prime</math> étant exprimée en K·kg/mol, on obtient ainsi une masse molaire en kg/mol, il est nécessaire d'introduire un facteur de conversion pour l'exprimer en g/mol. }}
La masse molaire <math>M_\sigma</math> du soluté, en g/mol, est obtenue selon :
Pour rappel, cette formule n'est valable que si la quantité de soluté est négligeable devant celle du solvant (<math>m_\sigma \ll m_s</math>).
- Exemple<ref>Modèle:Ouvrage.</ref>
- Modèle:Unité de vanilline sont dissouts dans Modèle:Unité d'eau. La température de fusion de l'eau passe de Modèle:Unité à Modèle:Unité. La constante cryoscopique molale de l'eau est de Modèle:Unité. L'abaissement de la température de fusion de l'eau vaut :
- <math>\Delta T_\text{fus} = 0 - \left( -0{,}247 \right) = 0{,}247 \, \mathsf{\text{°C}}</math>
- La masse molaire de la vanilline est de :
- <math>M_\text{vanilline} = 1000 {1{,}86 \over 0{,}247}{10{,}10 \over 500} = 152{,}11 \, \mathsf{\text{g/mol}}</math>
Constante cryoscopique
Le tableau suivant donne les constantes cryoscopiques de quelques solvants d'usage courant.
Note : un écart de température de Modèle:Unité étant égal à un écart de Modèle:Unité, la constante cryoscopique peut indifféremment s'exprimer en K·kg/mol ou en °C·kg/mol.
Solvant | Constante cryoscopique molale <math>K_\text{cry}^\prime</math> (K·kg/mol) |
Température de fusion <math>T_\text{fus}</math> (°C) |
---|---|---|
Acide acétique | 3,90<ref name=Atkins/> - 3,63<ref name=Friedli/> | 16,64 |
Benzène | 5,12<ref name=Atkins/> - 5,07<ref name=Friedli/> | 5,5 |
Camphre | 40<ref name=Atkins/> - 37,80<ref name=Friedli/> | 180 |
Disulfure de carbone | 3,8 | -111 |
Tétrachlorure de carbone | 30 | -23 |
Naphtalène | 6,94 | 80,2 |
Phénol | 7,27<ref name=Atkins/> - 6,84<ref name=Friedli/> | 43 |
Eau | 1,86 | 0 |
Chloroforme | 4,68 | -64 |
Cyclohexane | 20,80 | 6,47 |
Éthanol | 1,99 | -114 |
Nitrobenzène | 6,87 | 6 |
Salage des routes, fluides frigoporteurs
Cette propriété colligative est utilisée par exemple en hiver lorsque les routes sont salées : l'épandage de sel fait fondre la neige en dessous de sa température de fusion normale. Les antigels sont des mélanges d'eau et de produits organiques (souvent des composés hydroxylés - alcool ou glycole), permettant également d'abaisser la température de fusion de l'eau.
Dans l'industrie, des saumures sont utilisées comme fluides frigoporteurs : des températures jusqu'à Modèle:Unité peuvent être obtenues avec le chlorure de calcium CaCl2, le chlorure de sodium NaCl ne permet pas de descendre en dessous de Modèle:Unité. Des eaux carbonatées, glycolées ou ammoniaquées sont aussi employées<ref name=Marvillet>Modèle:Ouvrage.</ref>. Le tableau suivant donne la concentration en sel nécessaire pour obtenir une température de fusion d'une saumure de Modèle:Unité.
Sel | Concentration massique (%) |
---|---|
Chlorure de calcium | 25,7 |
Chlorure de magnésium | 20 |
Carbonate de potassium | 37 |
Acétate de potassium | 39 |
Formate de potassium | 41 |
Notes et références
Notes
Bibliographie
- Modèle:Ouvrage, sur Gallica.
- Modèle:Ouvrage.
- Modèle:Ouvrage.
- Modèle:Ouvrage.
- Modèle:Ouvrage.
- Modèle:Ouvrage.
- Modèle:Ouvrage.
- Modèle:Ouvrage.
- Modèle:Ouvrage.