Sacralisation

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Fichier:La Liberté ou la Mort 1795.jpg
Issu des Lumières, le monde moderne reprend une bonne part de l'iconographie chrétienne pour véhiculer ses valeurs, en premier lieu la liberté, présentée comme principe inviolable, donc sacré.
Ici, le tableau La Liberté ou la Mort, de Jean-Baptiste Regnault, 1795.

Le mot « sacré » vient des mots latins « sacer », « sacra », « sacrum », qui proviennent eux-mêmes du verbe sancio, signifiant « rendre inviolable ». On désigne par conséquent sous le nom sacralisation le fait de survaloriser une personne, un objet, un phénomène ou une idée au point de ressentir leur remise en question comme un interdit ou tabou.

  • La sacralisation peut être interprétée positivement, comme synonyme de sanctification, associée à l'idée d'une divinité ou d'un bien suprême et par conséquent être interprétée comme le contraire de la diabolisation.

Le mot « sacré » est issu du vocabulaire de la religion, on oppose alors le sacré au profane<ref>Selon le sociologue Émile Durkheim (Les Formes élémentaires de la vie religieuse, 1912) sont sacrées les « choses que les interdits protègent et isolent », et profanes « celles auxquelles ces interdits s'appliquent et qui doivent rester à l'écart des premières ».</ref> et la sacralisation à la profanation. Mais ce terme est parfois utilisé hors de tout contexte religieux (le contraire de sacralisation est « sécularisation »). L'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, par exemple, stipule que « la propriété est un droit inviolable et sacré ». Dans les pratiques officielles, toutefois, le mot est le plus souvent remplacé par d'autres (l'article 2 de la Déclaration, par exemple, invoque des droits « imprescriptibles »). Même lorsque le mot « sacré » n'est pas utilisé, l'idée à laquelle il renvoie est présente dans bon nombre de situations contemporaines, notamment l'organisation du travail. Ainsi, par exemple, le mot « hiérarchie » dérive-t-il du grec ancien hieros, qui signifie « sacré ».

Le terme « sacré » est en revanche couramment utilisé comme métaphore, lorsqu'il est collectivement et implicitement admis que l'autorité d'une idée ou d'une personne ne sont pas à remettre en question (on désigne par exemple certains acteurs de cinéma de « monstres sacrés ») ou que la réalité d'un phénomène est déclarée irréfutable, donc indiscutable (on parle par exemple de sacralisation de l'enfance<ref>Nicoleta Diasio, Sacralisation de l’enfant et remise en cause de l’autorité des parents, Revue des sciences sociales, Modèle:N°, 2009</ref> ou de sacralisation de la victime<ref>Tzvetan Todorov, Du culte de la différence à la sacralisation de la victime, revue Esprit, juin 1995</ref>).

Tandis que la sociologie s'attache à valider ou invalider la pertinence d'une permanence du sacré dans les sociétés contemporaines considérées comme laïcisées (c'est-à-dire où l'influence des religions est sinon niée du moins relativisée), la psychologie s'intéresse au processus de sacralisation : dans quelle mesure celui qui sacralise est-il conscient qu'il sacralise et quel sens donne-t-il alors à son attitude ?

Le sacré aujourd'hui

Modèle:Article détaillé Il est d'usage répandu d'associer le terme « sacré » aux pratiques religieuses et de considérer que, sous l'impulsion des Lumières, notamment, « l'homme moderne » ne sacralise plus rien. C'est ce que tend à penser, en 1917, le sociologue allemand Max Weber. Il avance en effet la thèse que, poussée par un désir de rationaliser toujours plus les comportements, la bourgeoisie du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, notamment celle issue du protestantisme, a « désenchanté le monde »<ref>Max Weber, Le Savant et le politique, nouvelle traduction par Catherine Colliot-Thélène, La Découverte/poche 2003, Modèle:P..</ref>. Un siècle plus tard, et de façon plus péremptoire, le sociologue italien Sabino Acquaviva utilise le terme « dissacration » pour signifier que la société industrielle provoque inévitablement chez les individus la perte du sens du sacré<ref>Sabino Acquaviva, L’éclipse du sacré dans la civilisation industrielle, Mame, Tours, 1967</ref>.

Cette approche n'est cependant pas partagée par tous. Ainsi, en 1939, Roger Caillois soutient l'idée d'une permanence du sacré, au travers notamment de phénomènes tels que la guerre ou la fête<ref>Roger Caillois : L'Homme et le sacré, 1939; texte remanié et complété de trois études en 1950 ; dernière réédition : Gallimard, Folio essais, 2002</ref>. En 1957, Mircea Eliade estime que la religion ne doit pas être interprétée uniquement comme « une croyance en des divinités », mais comme une « expérience du sacré ». Celle-ci est selon lui intemporelle et il n'y a aucune raison pour qu'elle ne s'éprouve pas dans les temps modernes<ref>Mircea Eliade, Le Sacré et le Profane, Éditions Gallimard, Paris, 1956</ref>.

Trois facteurs sont alors principalement désignés comme investis de sacré : la représentation du réel, la politique et la technique.

La représentation du réel

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Feuerbach

Dès le Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, en 1848 exactement, le philosophe allemand Ludwig Feuerbach écrivait ces mots : Modèle:Citation bloc

Reprenant lui-même ce propos, dès les premières pages de son livre, La Société du Spectacle, en 1967, le philosophe français Guy Debord avance qu'en avalisant l'idéologie capitaliste, les humains en viennent à « fétichiser les marchandises », si bien que la société n'est plus alors qu'une fiction, le « spectacle » d'un fantasme collectif.

La politique

Dès le début du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, Hegel encense l'État en tant qu'entité au point de lui conférer une valeur spirituelle, voire religieuse : « Tout ce que l'homme est, il le doit à l'État : c'est là que réside son être. Toute sa valeur, toute sa réalité spirituelle, il ne les a que par l'État. » (La Raison dans l'histoire) ; « L’État est l’Idée divine telle qu’elle existe sur terre » (Leçons sur la philosophie de l'histoire).

Mais ce n'est qu'un siècle plus tard que des intellectuels (tous Allemands ou germanophiles, tels le Français Aron) vont pointer le paradoxe que constitue le caractère religieux de concepts prétendus sécularisés : État, politique, philosophie de l'histoire.

  • En 1922, Carl Schmitt avance que « tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l'État ne sont que des concepts théologiques sécularisés »<ref>Carl Schmitt, Politische Theologie. Vier Kapitel zur Lehre von der Souveränität, 1922. Trad. fr. Théologie politique, Gallimard, 1988</ref>.
  • En 1938, Eric Voegelin estime que la modernité s'enracine dans la tentative de faire descendre le paradis sur terre et de faire de l'accès aux moyens du bonheur ici-bas la fin ultime de toute politique<ref>Eric Voegelin, Die politischen Religionen, 1938 ; trad. fr. et préf. par Jacob Schmutz, Les Religions politiques, Paris, Le Cerf, 1994.</ref>.
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Raymond Aron
  • En 1949, Karl Löwith développe l'idée que les fondements même de la philosophie de l'histoire sont de nature théologique <ref>Karl Löwith, Meaning in History, 1949) ; trad. fr. Histoire et Salut. Les présupposés théologiques de la philosophie de l'histoire, Gallimard, 2002.</ref>.
  • En 1957, le psychanalyste suisse Carl Gustav Jung estime que, à l'Ouest comme à l'Est, le fait que les individus espèrent que l'État améliorent leur condition constitue un fait religieux<ref>Carl Gustav Jung, Gegenwart und Zukunft, 1957. Trad. fr. Présent et avenir, Denoël, 1962</ref>.

Par la suite, et jusqu'au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, différents intellectuels reprennent et développent l'idée d'une permanence du sacré et des présupposés religieux dans les prises de position valorisant la modernité.

Constatant que l'activité politique répond à des impératifs de mise en scène (compte tenu du fait qu'elle ne peut plus s'exercer indépendamment du pouvoir médiatique), certains chercheurs estiment qu'elle s'inscrit dans le cadre d'un processus de sacralisation à part entière<ref>Alain Dierkens, Jacques Marx, La sacralisation du pouvoir. Images et mises en scène, éditions de l’Université libre de Bruxelles, Bruxelles, 2003. Compte rendu de Dominique Trimbur dans la Revue de l'histoire des religions, 2006</ref>.

Et invitant à dépasser le clivage traditionnel entre pensée judéo-chrétienne et héritage des Lumières, le sociologue Hans Joas affirme quant à lui que ce que l'on appelle « les droits de l'homme » correspond ni plus ni moins à une sacralisation de l'individu<ref>Hans Joas, Comment la personne est devenue sacrée, Labor et Fides, 2016</ref>.

La technique

En 1954, dans La Technique ou l'Enjeu du siècle, Jacques Ellul développe l'idée que « le monde » n'est nullement « désenchanté », comme l'affirme Weber, mais seulement « la nature »; et qu'en revanche c'est la technique (par laquelle l'homme a désacralisé la nature au nom de l'idéologie du progrès et qui devient « un nouvel environnement », à la place de la nature) qui est désormais sacralisée : Modèle:Citation bloc

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Jacques Ellul

En 1973, Jacques Ellul réaffirme sa thèse de la sacralisation de la technique mais pose également celle de l'État, au motif que c'est lui qui rend légitime l'essor de la technique : Modèle:Citation bloc

Il précise que si « le sacré transféré à la technique » est « asservissant », c'est uniquement parce que « l'homme moderne » est inconscient de transférer quoi que ce soit<ref>Ellul explique ailleurs les raisons pour lesquelles « l'homme moderne » reste inconscient de ce transfert. Lire Propagandes, 1962. Réel. Economica, Modèle:Coll., 2008, Modèle:Page.</ref>. La cause en est que la technique et l'État sont devenus des « processus autonomes », inviolables (jamais remis en cause) et la conséquence est… qu'ils le sont de plus en plus : cet « homme moderne » est constamment contraint de s'y adapter.

Dans le sillage des analyses elluliennes, certains militants technocritiques estiment au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle que si le capitalisme reste une idéologie à la fois très prégnante et, en même temps, globalement aussi peu contestée qu'aux temps de Marx, c'est parce qu'il est lui-même entièrement construit sur l'idéologie technicienne mais que cette indexation reste globalement et fondamentalement impensée, car opérant depuis l'inconscient : Modèle:Citation bloc

Chercheur en histoire des religions, Amaury Levillayer estime en 2018 que : Modèle:Citation bloc

Sacré, croyance, idéologies

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Carl Gustav Jung

La question de savoir si les contemporains « sacralisent » les êtres, les objets ou les choses, comme il est admis que les générations précédentes le faisaient, pose une autre question, plus fondamentale, celle de savoir s'ils sont ou non conscients qu'ils croient et de ce en quoi ils croient. Ayant étudié l'ouvrage de Rudolf Otto sur le sacré<ref>Rudolf Otto, Le sacré ; édition originale : 1917 ; dernière traduction en français : Payot, 1995</ref> et instruit des échanges avec ses patients, le psychanalyste Carl-Gustav Jung s'attache à démontrer que, fondamentalement, « l'homme moderne » n'est pas foncièrement différent de « l'homme primitif » par le fait que, bien qu'il s'en défende souvent, il continue de croire et de sacraliser.

S'appuyant sur les massacres et destructions advenus lors des deux guerres mondiales, il affirme que les idéologies qui en ont été la cause correspondent à des vagues de sacralisation (le nationalisme, par exemple, étant la sacralisation de la nation)<ref>Carl Gustav Jung, Présent et avenir, édition originale, 1957 ; dernière édition en français : Le Livre de Poche, 1995</ref> et que seule une « dialectique du moi et de l'inconscient », c'est-à-dire un dialogue permanent des hommes avec leurs phantasmes, serait à même de démontrer une quelconque supériorité de « l'homme moderne » sur « l'homme primitif »<ref>Carl Gustav Jung, Dialectique du moi et de l'inconscient, dernière édition : Gallimard, Folio/Essais, 1986</ref> et d'apaiser les rapports qu'il entretient avec lui-même et autrui.

Différents penseurs qualifient du reste les idéologies de « religions séculières » (expression forgée par Raymond Aron en 1944<ref>Jean-Pierre Sironneau, Sécularisation et religions politiques, De Gruyter, 1982, Modèle:P.</ref>) et considèrent celles-ci comme inévitablement génératrices de conflit : « Entre les religions séculières et les religions révélées, il y a une différence radicale : les religions séculières absolutisent l'immanent. Dans les religions révélées, il y a la présence d'une transcendance. Et tant qu'il y a une transcendance, les hommes restent des frères »<ref>Julien Ries, « Les religions séculières dans la société d'aujourd'hui », Revue théologique de Louvain, Modèle:Vol., Modèle:N°, 1975, Modèle:P.</ref>.

La sacralisation se distingue donc de la consécration, qui est une action consciente et assumée, officiée de façon rituelle par des personnes mandatées pour cela (par exemple des prêtres) et se référant explicitement à une transcendance. Elle peut certes être assimilée à une manifestation de sacralisation mais cette dernière est un phénomène plus large, pouvant s'exprimer de façon inconsciente par n'importe qui et en dehors de tout circuit religieux traditionnel (religion révélée) mais en revanche dans le cadre d'une religion séculière<ref>Jacques Ellul, Les nouveaux possédés, Modèle:Ch. (« Les religions séculières »).</ref>.

Un phénomène psychosocial

La sacralisation est un phénomène psychosocial, à la fois singulier et collectif :

  • singulier (ou psychologique), au sens où sacraliser revient à transférer un contenu de l'inconscient sur une personne, un objet… puis à conférer à cette personne ou cet objet une importance extrême ;
  • collectif (ou sociologique), au sens où c'est une collectivité, parfois tout un peuple, qui en vient à projeter un même fantasme sur une même personne ou un même objet. L'exemple le plus révélateur du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle est celui du nazisme, où le dictateur était salué par le mot « heil », du mot « heilig » qui signifie « sacré ».

Notes et références

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Voir aussi

Bibliographie

(classement par ordre chronologique)

Articles connexes

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Liens externes

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