Droit de cuissage
Le droit de cuissage, appelé aussi droit de jambage et parfois droit de dépucelage, est une légende vivace selon laquelle un seigneur aurait eu le droit d'avoir des relations sexuelles avec la femme d'un vassal ou d'un serf la première nuit de ses noces (Modèle:Lang).
Ce Modèle:Citation réservant la défloration à un seigneur aurait été une déclinaison du droit de quittage ou de formariage, qui a réellement existé, qui obligeait un serf voulant marier sa fille en dehors du fief de son seigneur à payer au dit seigneur trois sous en échange de son autorisation symbolique du mariage<ref>Quid.fr, 2007, Histoire de France / Féodalité.</ref>.
Dans l'ensemble, cette pratique — si elle a pu être ponctuellement mise en application par certains puissants abusant de leur pouvoir, les seigneurs féodaux disposant de droits forts sur les serfs — n'a en réalité jamais eu d'existence légale en Europe, et a surtout été brandie après la Révolution française pour discréditer le régime féodal.
Histoire
Antiquité
Dès la haute Antiquité, une mention mythique d'une pratique similaire est présente dans la culture mésopotamienne archaïque du Modèle:-s mini au Modèle:Lien siècle av JCModèle:Vérification siècle, au début de l'Épopée de Gilgamesh : Gilgamesh, roi divin mais tyrannique de la cité d'Uruk, Modèle:Citation, et s'octroie le droit de déflorer toute jeune fille de sa cité. Ce comportement est cependant jugé néfaste par les dieux, qui lui envoient pour le punir puis le guider un rival qui deviendra son ami, Enkidu. Il ne s'agit donc, déjà à cette époque, pas d'un Modèle:Citation mais bien d'une peur populaire, celle d'un abus de pouvoir tyrannique.
En Grèce antique, Hérodote, dans ses Histoires (vers 445 av. J.-C.) rapporte, comme une coutume particulière aux Libyens adyrmachides, celle d'offrir la première nuit aux seigneurs (livre Modèle:Pc) : Modèle:Citation bloc
Le Talmud rapporte que ce droit était exercé par les gouvernants romains de la Palestine<ref>Talmud de Jerusalem, Ketubot, 1,5.
Talmud de Babylone, Ketubot, page 3b</ref>, mais aucune source romaine n'atteste ce fait.
Moyen Âge et Renaissance
Selon la médiéviste Marguerite Gonon, l'expression de Modèle:Citation, attestée historiquement, fait en fait référence à un droit de cuisson du pain, à une époque où celle-ci était collective<ref>Modèle:Chapitre.</ref>,<ref>Marguerite Gonon dans Modèle:Ouvrage.</ref>.
Ce droit de cuissage, avec le sens qu'on lui donne aujourd'hui, fut évoqué pour la première fois en France chez le jurisconsulte Jean Papon<ref name="Papon">Alain Boureau, dans The Lord's First Night: the Myth of the Droit de Cuissage, publié par University of Chicago Press le 1 sept. 1998, cite à la page 203 un passage de Jean Papon (retraduit en français) qui se trouve dans son Recueil d'arrests notables (1556). Commentant un arrêt du Parlement de Paris de 1401 sur un conflit entre les citoyens d'Amiens et leur évêque il écrivait : « Il est exécrable qu'en certains lieux de ce royaume, et même en Auvergne, nous puissions trouver la coutume observée et tolérée que le seigneur du lieu a le droit de coucher avec la mariée la première nuit. Voilà qui n'est pas loin de ce que Diodore de Sicile a écrit dans le livre VI de son histoire, que dans certains lieux de Sicile une fille qui se mariait pour la première fois était prostituée à plusieurs jeunes célibataires et restait avec celui qui l'avait connue le dernier. Ce sont là des actes barbares et brutaux, indignes non seulement de chrétiens, mais d'êtres humains. »</ref> (1505 ou 1507 – 1590), juge royal à Montbrison, lieutenant général civil et criminel au bailliage de Forez, puis maître des requêtes de Catherine de Médicis, et qui consacra sa vie à l'étude de la jurisprudence. Il aurait conféré aux seigneurs du Moyen Âge, soit le droit de passer une jambe nue dans le lit de la mariée, soit celui de consommer le mariage : l'homme de loi s'insurge déjà contre cette pratique illégale, qu'il attribue à certaines régions isolées (notamment l'Auvergne)<ref name="Papon"/>.
En réalité, nul n'a jamais retrouvé d'autre mention de cet usage dans le droit positif français, ni dans les coutumes de France, ni dans les archives publiques du contentieux civil ou fiscal<ref name="ABDC">Modèle:Harvsp Modèle:Lire en ligne.</ref>. Au contraire, on trouve des condamnations de seigneurs punis pour avoir abusé de leur position d'autorité pour commettre des abus sexuels<ref>Voir par exemple "Mémoires sur les Grands jours d'Auvergne d'Esprit Fléchier, ou la biographie du Marquis de Sade.</ref>. Ce mythe du droit de cuissage est peut-être emprunté au rite du mariage par procuration<ref name="ABDC"/>.
Aux Modèle:S mini et Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècles, des écrivains et historiens libéraux comme Voltaire dans son Essai sur les mœurs<ref>Chapitre 52, Louis Moland (éd.), t. 11, p. 428. Consultable sur Wikisource</ref> ou Jules Michelet ont accrédité cette thèse.
La version libertine du « droit de cuissage » a été utilisée pour servir de thème à des œuvres littéraires galantes du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle comme L’Innocence du premier âge en France ou histoire amoureuse de Pierre Le Long et de Blanche Bazu ; suivie de La Rose ou la fête de Salency, de Billardon de Sauvigny, 1765. Elle est ensuite reprise dans un but idéologique afin de dénigrer l'Ancien Régime et son système féodal<ref>Lire sur le Blog Dalloz, qui émane du grand éditeur juridique, Droit de cuissage et autres gaillardises. « La controverse a vraiment pris corps au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle et on pourrait la résumer par l'affrontement opposant les libéraux et anticléricaux – tenants de l'existence du droit de cuissage, et donc ses pourfendeurs –, aux catholiques, pour certains royalistes, avides de réhabiliter l'honneur du système féodal. L'enjeu ? Politique évidemment, puisque dénigrer l'Ancien Régime en dénonçant ses abus, sa barbarie et son oppression revenait, implicitement, à louer la République. »</ref>, par exemple dans le Mariage de Figaro de Beaumarchais.
Ainsi est né le mythe du droit de cuissage, prétexte à des récits dont les lecteurs étaient friands. C'est ainsi que dans le Voyage agricole, botanique et pittoresque, dans une partie des landes de Lot-et-Garonne de Saint-Amans, publié en 1818, on peut lire : Modèle:Citation bloc
Et le texte commence ainsi : « Aso es la carta et statut deu dreit de premici et de defloroment que Io senhor de la terra et senhoria de Blanquefort a et deu aver, en et sobren totas et cascunas las filhas no nobles qui se maridan en la deita senhoria lo primier jorn de las nopsas. » Il s'agit d'un document que personne n'avait jamais vu, dont personne depuis n'a constaté l'existence et dont l'auteur du livre se contente de dire qu'on lui en a assuré l'authenticité.
Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique (ouvrage rationaliste militant ouvertement contre l’Église et le système féodal), écrivit un article « Cuissage ou Culage, droit de prélibation, de marquette, etc. » affirmant l'existence de ce droit sans pour autant en donner aucune source ou mention. Il y affirme : Modèle:Citation, et souligne : Modèle:Citation<ref>Selon Modèle:Lien web, différent du cuissage, le droit de cullage était un contrôle du seigneur sur le formariage, le mariage hors-seigneurie. Il aurait été associé au cuissage uniquement pour des raisons d'homonymie.</ref>. Il explique comment on a pu finir par prendre une simple pratique abusive ratifiée par le passage du temps pour un droit légalement établi : Modèle:Citation bloc
Au siècle suivant, Michelet multiplie les détails à ce sujet dans La Sorcière, sans jamais se référer à aucune preuve ou source historique : Modèle:Citation bloc
[[Fichier:Droit cuissage.JPG|vignette| Mariage par procuration entre Anne de Bretagne et [[Maximilien Ier (empereur du Saint-Empire)|Maximilien {{#ifeq: | s | Modèle:Siècle | Ier{{#if:| }} }}]].]]
Conception mythique
Enfin, une conception mythique largement répandue autrefois et minutieusement rapportée par James George Frazer dans Le Rameau d'or, voulait que le vagin des vierges soit un nid de serpents d'où l'origine du droit de cuissage, c'est-à-dire la coutume qui voulait que, lorsqu'une vierge se mariait, elle était déflorée par le chaman ou le chef de tribu avant de partager la couche de son mari. Le sens de ce rite était alors clair car, investis d'une puissance sacrée, ces personnages étaient les seuls qui pouvaient affronter le danger mortel de la première union<ref>Modèle:Ouvrage</ref>.
Situation contemporaine
Modèle:Article connexe De nos jours, l'expression est largement utilisée, souvent de manière crédule, parfois en guise de métaphore. Ainsi dira-t-on qu'un supérieur s'est arrogé un droit de cuissage sur une employée quand il a abusé de sa position hiérarchique pour obtenir un rapport sexuel. De tels abus sont considérés comme des délits graves puisqu'ils constituent des cas de harcèlement sexuel sur le lieu de travail (sollicitation de rapport sexuel au travail sous peine de sanction) ou de viol (rapport sexuel imposé par la menace), aggravé par l'abus de position hiérarchique.
L’écrivain belge David Van Reybrouck rapporte dans son livre Congo, une histoire (2010) que dans les années 1980 l’ex-président zaïrois Mobutu a fait encore avidement usage de son Modèle:Lang (« droit de la première nuit ») en vertu de son rôle de « chef traditionnel » : « S’il était en tournée à travers le pays les chefs locaux lui offraient toujours une vierge. C’était un grand honneur pour la famille si la jeune fille était déflorée par le chef suprême<ref>David Van Reybrouck : Congo, une histoire, [« Congo. Een geschiedenis »], trad. d'Isabelle Rosselin, Arles, France, Actes Sud, p. 408 Modèle:ISBN</ref> ». Van Reybrouck indique à ce sujet qu’il s’agirait d’une vieille coutume congolaise.
Dans la fiction
Le droit de cuissage est à la base de l'histoire des personnages principaux de la série télévisée espagnole La catedral del mar, qui se déroule au Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècle à Barcelone<ref>Modèle:Lien web.</ref>.
Dans le film Braveheart de Mel Gibson (1995) dont l'histoire se déroule à la fin du Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècle en Écosse, le roi d'Angleterre Édouard Ier « Longshanks » établit le droit de cuissage, ou Primae Nocta<ref>Le droit de cuissage, mythe politique et polémique — lalibre.be</ref>, sur les terres écossaises au profit des seigneurs anglais sur les jeunes épouses écossaises, ce qui constitue une des intrigues du début du film conduisant à la rébellion menée par William Wallace<ref>« Primae Nocta » de « Braveheart » est-il réel ? — citizenside.fr</ref>.
Notes et références
Annexes
Bibliographie
- Modèle:Ouvrage ; Modèle:Commentaire biblio
- Jean-Joseph Raepsaet, Les Droits du Seigneur. Recherches sur l'origine et la nature des droits connus anciennement sous les noms de droits des premières nuits, de markette, d'afforage, marcheta, maritagium et Bumède, Gand, 1817 ; réimpression textuelle à Rouen, 1877.
- Modèle:Ouvrage ; Modèle:Commentaire biblio
Articles connexes
Liens externes
- Le droit de cuissage, un malentendu qui a la vie dure, par Paul-Eric Blanrue du Cercle zététique
- Le droit de cuissage et autres fariboles sur historia-nostra.com