Moment (probabilités)
En théorie des probabilités et en statistique, les moments d’une variable aléatoire réelle sont des indicateurs de la dispersion de cette variable. Le premier moment ordinaire, appelé moment d'ordre 1 est l'espérance (la moyenne) de cette variable. Le deuxième moment centré d'ordre 2 est la variance. Le moment d'ordre 3 est l'asymétrie. Le moment d'ordre 4 est le kurtosis.
Le moment dit « ordinaire » d’ordre <math>r \in \N</math> de la variable aléatoire réelle <math>X</math> est défini, s’il existe, par l'espérance de <math>X^r</math>Modèle:Référence nécessaire :
- <math>m_r \triangleq \mathbb{E}(X^r)</math>
De manière analogue, on définira d’autres moments, étudiés ou évoqués dans la suite de l’article.
Notion de moment en analyse
La notion de moment en mathématiques, notamment en théorie des probabilités, a pour origine la notion de moment en physiqueModèle:Référence nécessaire.
Soit une fonction Modèle:Formule continue sur un intervalle Modèle:Formule (non réduit à un point) de Modèle:Formule.
Étant donné un entier naturel Modèle:Formule, le moment d’ordre Modèle:Formule de Modèle:Formule est défini, sous réserve d’existence, parModèle:Référence nécessaire :
- <math>m_r(f) \triangleq \int_{x \in I} x^r \, f(x) \, \mathrm{d}x</math>
Critère d’existence
Ce moment d’ordre Modèle:Formule est considéré comme existant si et seulement si Modèle:Formule est intégrable, c’est-à-dire si et seulement si Modèle:Formule converge. Ainsi, même si le moment est une intégrale impropre convergente<ref>Ce cas arrive par exemple pour les moments d’ordre impair d’une fonction paire définie sur Modèle:Formule : même si Modèle:Formule diverge, la fonction Modèle:Formule est impaire donc a une primitive paire, d’où Modèle:Formule, donc Modèle:Formule est une intégrale impropre convergente valant 0.</ref>, ce moment est tout de même considéré comme non existant.
De cette manière, si un moment n’existe pas à un ordre donné, alors tous les moments d’ordre supérieur n’existent pas non plus. Réciproquement, si un moment existe à un ordre donné, alors tous les moments d’ordre inférieur existent également.
Espace vectoriel
Pour un entier naturel Modèle:Formule donné, l’ensemble des fonctions continues sur Modèle:Formule dont le moment d’ordre Modèle:Formule existe est un espace vectoriel réel, et l’application Modèle:Formule est une forme linéaire sur cet espace vectoriel.
Définitions
Soit Modèle:Formule une variable aléatoire réelle définie sur Modèle:Formule, de fonction de répartition Modèle:Formule et de loi de probabilité Modèle:Formule.
Moment ordinaire
Le moment (ou moment ordinaire, ou moment en 0) d’ordre Modèle:Formule de Modèle:Formule est défini, s’il existe, par :
- <math>m_r \triangleq \mathbb{E}(X^r)</math>
On a donc, d’après le théorème de transfert :
- <math>m_r = \int_{x \in I} x^r \, \mathrm{d}F_X(x)</math>
Cette intégrale de Stieltjes peut se réécrire :
- si Modèle:Formule est discrète : <math>m_r = \sum_{k \in I} k^r \, p_k</math>
- si Modèle:Formule est absolument continue : <math>m_r = \int_{x \in I} x^r \, p(x) \, \mathrm{d}x</math>
D’après le deuxième axiome des probabilités, on a alors Modèle:Formule.
On notera que, Modèle:Formule étant positive ou nulle sur Modèle:Formule (premier axiome des probabilités), le critère d’existence du moment d’ordre Modèle:Formule est la convergence de Modèle:Formule ou de Modèle:Formule selon le cas.
Moment centré
Le moment centré d’ordre Modèle:Formule de Modèle:Formule est défini, s’il existe, par :
- <math>\mu_r \triangleq \mathbb{E}([X - \mathbb{E}(X)]^r)</math>
On a donc, d’après le théorème de transfert :
- <math>\mu_r = \int_{x \in I} [x - \mathbb{E}(X)]^r \, \mathrm{d}F_X(x)</math>
Cette intégrale de Stieltjes peut se réécrire :
- si Modèle:Formule est discrète : <math>\mu_r = \sum_{k \in I} [k - \mathbb{E}(X)]^r \, p_k</math>
- si Modèle:Formule est absolument continue : <math>\mu_r = \int_{x \in I} [x - \mathbb{E}(X)]^r \, p(x) \, \mathrm{d}x</math>
Par construction, on a alors Modèle:Formule et Modèle:Formule.
D’après le théorème de transfert, on peut également écrire Modèle:Formule.
Moment centré réduit
En posant Modèle:Formule et Modèle:Formule, le moment centré réduit d’ordre Modèle:Formule de Modèle:Formule est défini, s’il existe, par :
- <math>\beta_{r} \triangleq \mathbb{E} \left[ \left( \frac{X - \mu}{\sigma} \right)^r \right]</math>
On a donc Modèle:Formule et, par construction, Modèle:Formule.
Moment spectral
Les moments spectraux permettent l'étude des vibrations aléatoires dans le domaine fréquentiel. En considérant la densité spectrale de puissance Φ d'une vibration aléatoire, le moment spectral d'ordre i, noté <math>m_i</math>, peut s'écrire:
<math>m_i\big[\Phi(f)\big] = \int_{-\infty}^{+\infty} (2.\pi.f)^i.\Phi(f)\ \ \mathrm{d}f</math>
Moments remarquables
Certains moments, utilisés couramment pour caractériser une variable aléatoire réelle Modèle:Formule, sont connus sous un nom particulier :
- l’espérance, moment d’ordre un : <math>\mu \triangleq m_1 = \mathbb{E}(X)</math> ;
- la variance, moment centré d’ordre deux : <math>\operatorname{V}(X) \triangleq \mu_2 = \mathbb{E}[(X - \mu)^2]</math>, ainsi que sa racine carrée l’écart type : <math>\sigma \triangleq \sqrt{\operatorname{V}(X)} = \sqrt{\mu_2}</math> ;
- le coefficient d’asymétrie, moment centré réduit d’ordre trois<ref>Pour des raisons historiques et en accord avec la notation des cumulants réduits, le coefficient d’asymétrie est noté Modèle:Formule plutôt que Modèle:Formule.</ref> : <math>\gamma_1 \triangleq \beta_1 = \mathbb{E} \left[ \left( \frac{X - \mu}{\sigma} \right)^3 \right]</math> ;
- le kurtosis non normalisé, moment centré réduit d’ordre quatre : <math>\beta_2 = \mathbb{E} \left[ \left( \frac{X - \mu}{\sigma} \right)^4 \right]</math>.
Fonction génératrice des moments
La fonction génératrice des moments Modèle:Formule d’une variable aléatoire réelle Modèle:Formule est la série génératrice exponentielle associée à la suite Modèle:Formule des moments de Modèle:Formule, définie au voisinage de 0 et sous réserve d’existence de tous les moments :
- <math>M_X(t) \triangleq \sum_{r=0}^{\infty} m_r \, \frac{t^r}{r!}</math>
Elle peut également s’écrire, au voisinage de 0 et sous réserve d’existence de l’espérance :
- <math>M_X(t) = \mathbb{E} \left (\mathrm{e}^{tX} \right)</math>
Les dérivées itérées en 0 de cette série génératrice exponentielle valent :
- <math>M_X^{(r)}(0) = m_r</math>
Propriétés
Dimension
Soit Modèle:Formule la dimension de la variable aléatoire réelle Modèle:Formule.
Les moments ordinaire et centré d’ordre Modèle:Formule, s’ils existent, ont pour dimension Modèle:Formule.
Le moment centré réduit d’ordre Modèle:Formule, s’il existe, est une grandeur sans dimension.
Transformation affine
Sur les moments ordinaires
Le moment ordinaire d’ordre 1, s’il existe, est linéaire :
- <math>\forall (\theta, \lambda) \in \R^2, m_1(\theta \, X + \lambda) = \theta \, m_1(X) + \lambda</math>
Le moment ordinaire d’ordre Modèle:Formule de Modèle:Formule, s’il existe, ne s’exprime pas uniquement en fonction du moment d’ordre Modèle:Formule de Modèle:Formule :
- <math>\forall (\theta, \lambda) \in \R^2, m_r(\theta \, X + \lambda) = \sum_{i=0}^r C_r^i \, \theta^{r-i} \, \lambda^i \, m_{r-i}(X) = \sum_{i=0}^r C_r^i \, \theta^i \, \lambda^{r-i} \, m_i(X)</math>
On retrouve ainsi la linéarité de Modèle:Formule et la constance de Modèle:Formule.
Sur les moments centrés
Le moment centré d’ordre Modèle:Formule, s’il existe, est invariant par translation et homogène de degré Modèle:Formule :
- <math>\forall (\theta, \lambda) \in \R^2, \mu_r(\theta \, X + \lambda) = \theta^r \, \mu_r(X)</math>
Sur les moments centrés réduits
Par transformation affine de coefficient directeur non nul (afin que Modèle:Formule soit non nul), le moment centré réduit d’ordre Modèle:Formule, s’il existe, est simplement multiplié par le signe du coefficient directeur élevé à la puissance Modèle:Formule :
- <math>\forall (\theta, \lambda) \in \R^* \!\! \times \! \R, \beta_{r-2}(\theta \, X + \lambda) = \sgn(\theta)^r \, \beta_{r-2}(X)</math>
La valeur absolue d’un moment centré réduit est donc invariante par transformation affine de pente non nulle.
Modèle:Démonstration = \frac{\theta^r \mu_r(X)}{(|\theta| \sigma_X)^r} = \left( \frac{\theta}{|\theta|} \right)^r \frac{\mu_r(X)}{\sigma_X^r} = \sgn(\theta)^r \, \beta_{r-2}(X)</math> }}
En distinguant selon le signe de Modèle:Formule et la parité de Modèle:Formule, on peut donc écrire :
- <math>\forall (\theta, \lambda) \in \R^* \!\! \times \! \R, \beta_r(\theta \, X + \lambda) = \begin{cases}
\beta_r(X) & \text{si } \theta > 0 \text{ ou } r \text{ est pair} \\ -\beta_r(X) & \text{si } \theta < 0 \text{ et } r \text{ est impair} \end{cases}</math>
Additivité
Modèle:Voir Soient Modèle:Formule et Modèle:Formule deux variables aléatoires réelles, on a alors :
- <math>m_1(X + Y) = m_1(X) + m_1(Y)</math>
Si Modèle:Formule et Modèle:Formule sont indépendantes, on a en outre :
- <math>\mu_2(X + Y) = \mu_2(X) + \mu_2(Y)</math>
- <math>\mu_3(X + Y) = \mu_3(X) + \mu_3(Y)</math>
Cette propriété d’additivité n’existe que pour les trois moments particuliers cités<ref>Formellement parlant, sachant que Modèle:Formule, on pourrait ajouter le cas dégénéré Modèle:Formule, mais cela n’apporte aucune information utile à l’étude de Modèle:Formule.</ref>. Les mesures de risque vérifiant cette propriété sont appelés les cumulants.
Relations entre moments ordinaires et moments centrés
Moments centrés en fonction des moments ordinaires
Le moment centré d’ordre Modèle:Formule, s’il existe, s’écrit :
- <math>\mu_r = \sum_{i=0}^r C_r^i \, m_{r-i} \, (-m_1)^i = \sum_{i=0}^r C_r^i \, m_i \, (-m_1)^{r-i}</math>
En rappelant que Modèle:Formule, les premiers moments centrés s’expriment donc, en fonction des moments ordinaires :
- <math>\mu_2 = m_2 - m_1^2</math>
- <math>\mu_3 = m_3 - 3 \, m_2 \, m_1 + 2 \, m_1^3</math>
- <math>\mu_4 = m_4 - 4 \, m_3 \, m_1 + 6 \, m_2 \, m_1^2 - 3 \, m_1^4</math>
- <math>\mu_5 = m_5 - 5 \, m_4 \, m_1 + 10 \, m_3 \, m_1^2 - 10 \, m_2 \, m_1^3 + 4 \, m_1^5</math>
- <math>\mu_6 = m_6 - 6 \, m_5 \, m_1 + 15 \, m_4 \, m_1^2 - 20 \, m_3 \, m_1^3 + 15 \, m_2 \, m_1^4 - 5 \, m_1^6</math>
Moments ordinaires en fonction des moments centrés
Réciproquement, en posant Modèle:Formule, le moment ordinaire d’ordre Modèle:Formule, s’il existe, s’écrit :
- <math>m_r = \sum_{i=0}^r C_r^i \, \mu_{r-i} \, \mu^i = \sum_{i=0}^r C_r^i \, \mu_i \, \mu^{r-i}</math>
En rappelant que Modèle:Formule et Modèle:Formule, les premiers moments ordinaires s’expriment donc, en fonction des moments centrés et de Modèle:Formule :
- <math>m_2 = \mu_2 + \mu^2</math>
- <math>m_3 = \mu_3 + 3 \, \mu_2 \, \mu + \mu^3</math>
- <math>m_4 = \mu_4 + 4 \, \mu_3 \, \mu + 6 \, \mu_2 \, \mu^2 + \mu^4</math>
- <math>m_5 = \mu_5 + 5 \, \mu_4 \, \mu + 10 \, \mu_3 \, \mu^2 + 10 \, \mu_2 \, \mu^3 + \mu^5</math>
- <math>m_6 = \mu_6 + 6 \, \mu_5 \, \mu + 15 \, \mu_4 \, \mu^2 + 20 \, \mu_3 \, \mu^3 + 15 \, \mu_2 \, \mu^4 + \mu^6</math>
Estimateur non biaisé des moments ordinaires
À partir d’un échantillon Modèle:Formule de la variable aléatoire réelle Modèle:Formule, on peut utiliser comme estimateur sans biais du moment ordinaire d’ordre Modèle:Formule, s’il existe, l’estimateur suivant :
- <math>\hat{m_r} = \frac{1}{n} \sum_{i=1}^{n} X_i^{\ r}</math>
Problème des moments
Tandis que le calcul des moments consiste à déterminer les moments Modèle:Formule d’une loi de probabilité Modèle:Formule donnée, le problème des moments consiste inversement à étudier l’existence et l’unicité d’une loi de probabilité Modèle:Formule dont les moments Modèle:Formule sont donnés.
Extension de la notion de moment
Sur le modèle des moments Modèle:Formule, d’autres moments peuvent être définis :
- le moment inverse en 0 d’ordre Modèle:Formule sur Modèle:Formule : <math>\mathbb{E}(X^{-r})</math> ;
- le moment logarithmique d’ordre Modèle:Formule sur Modèle:Formule : <math>\mathbb{E}\left[\ln^r(X)\right]</math> ;
- le moment factoriel d’ordre Modèle:Formule : <math>\mathbb{E}\left[(X)_r\right]</math> (factorielle décroissante).