Liquidateur (Tchernobyl)
Liquidateur (en Modèle:Lang-ru, likvidatory) est le nom donné en ex-URSS au personnel civil et militaire intervenu immédiatement sur les lieux de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl le Modèle:Date- au matin, mais aussi aux équipes impliquées dans la consolidation et l'assainissement du site à plus long terme, jusque dans les années 1990. Le bilan les concernant doit être distingué du bilan civil de la catastrophe.
Ce nom désigne aussi, par extension, toutes les personnes, tant civiles que militaires, intervenant après un accident nucléaire majeur malgré les très hauts niveaux de radiations qu'ils peuvent subir. Le terme de « liquidateurs » est aussi utilisé pour désigner les dizaines de techniciens et pompiers restés sur place après les accidents nucléaires de Fukushima pour refroidir coûte que coûte les réacteurs.
Juguler l'incendie et décontaminer le site
L'enjeu immédiat, dans les jours qui suivirent Tchernobyl, était d'éteindre le graphite brûlant encore dans le réacteur : les scientifiques soviétiques avaient calculé que cet incendie devait être maîtrisé avant le 8 mai sous peine d'assister à une explosion thermique susceptible de libérer une quantité importante de radionucléides dans l'atmosphère.
Des dizaines de milliers d'ouvriers furent acheminés sur le site dans l'urgence, afin de construire un sarcophage à la va-vite. Les équipes furent exposées par roulement pendant des durées de quelques secondes à quelques minutes à une radioactivité intense, avec ordre de s'attarder le moins possible. Ces intervenants ne disposaient ni d'informations sur les risques encourus, ni de protections efficaces ; ils bricolèrent tout au plus des sortes d'armures avec des matériaux récupérés et des plaques de plomb qu'on leur avait fournis. Modèle:Refsou Une distribution de cachets d'iode aurait été effectuée parmi eux, mais elle ne fut pas systématique et l'ordre de la prendre ne fut pas toujours respecté. Modèle:Refsou Les travailleurs déblayant les matériaux de la centrale et les pilotes survolant le site à travers le nuage de poussière radioactive étaient particulièrement exposés.
Les liquidateurs affectés au ramassage des blocs de graphite contaminé sur le toit du réacteur no 4 étaient appelés « robots biologiques » ou « robots verts » ou encore « bio-robots », le nom de « chats du toit » ou « Krycnye Koty » désignant les dosimètristes qui cartographiaient les zones « chaudes »<ref>Rapporté par Igor Kostine in Tchernobyl, confessions d'un reporter, éditions Les Arènes, 2006.</ref>. C'est dans ces conditions que l'incendie finit par être maîtrisé le Modèle:Date-.
Profil des intervenants
Le nombre total d'individus en provenance de toute l'URSS (opérateurs de la centrale, sapeurs-pompiers, pilotes d'hélicoptères, mineurs, terrassiers, ouvriers, militaires ou civils) qui se sont relayés sur le site entre 1986 et 1992 est estimé entre Modèle:Unité. Environ Modèle:Unité sont toujours affectésModèle:Quand à la surveillance du site et du sarcophage du réacteur Modèle:N°.
Une partie de leur travail était motivée par ce qui fut salué comme un acte de dévouement, voire un véritable « sacrifice » (dans le cas de personnes conscientes du danger), et plus largement par des promesses de salaires élevés et d'avantages sociaux (logements, places dans les crèches…) ou symboliques (médailles et diplômes) décernés par le gouvernement. Si les premiers intervenants étaient volontaires, par la suite la plupart des liquidateurs furent réquisitionnés.
Certains de ces intervenants furent par la suite déclarés « héros de l'Union soviétique ». Ce fut le cas notamment de Nikolaï Melnik, un pilote d'hélicoptère qui avait placé des capteurs de radiations sur le réacteur<ref>{{#invoke:Langue|indicationDeLangue}} Former Chernobyl Pilot Soars Above His Obstacles, in The St. Petersburg Times, 31 mai 2005.</ref>, et du major Leonid Teliatnikov, responsable de la lutte contre l'incendie, auquel un monument fut érigé à titre posthume au cimetière de Baykove à Kiev le Modèle:Date-<ref>{{#invoke:Langue|indicationDeLangue}} Communiqué sur le site du gouvernement ukrainien (22 avril 2006).</ref>.
Conséquences sanitaires
Suivi dosimétrique
La dose effective reçue par les liquidateurs entre 1986 et 1990 a été essentiellement due à des irradiations externes. Elle a été en moyenne de 117 mSv<ref name="UNSCEAR" />.
La dosimétrie individuelle enregistrée a varié de Modèle:Unité, 85 % des doses reçues se situant dans la fourchette Modèle:Unité (4,2 % des liquidateurs ayant reçu plus de Modèle:Unité)<ref name=laradioactivite>Les liquidateurs, laradioactivité.com.</ref>.
Ces relevés dosimétriques sont cependant considérés comme très imprécis, les erreurs estimées pouvant varier de 50 % jusqu'à un facteur 5. On estime que la dosimétrie du personnel militaire présente un biais systématique vers des valeurs trop élevées<ref name="UNSCEAR">Modèle:Ouvrage</ref>.
Suivi clinique
Le bilan de la catastrophe relatif aux liquidateurs est controversé, et ce jusque dans la définition et l'évaluation numérique de ce groupe puisque les liquidateurs de la « première heure » ont reçu davantage de radiations, et plus intenses, que les suivants, ce qui conduit à une évolution clinique potentiellement différente.
Sur le court terme, on s'accorde sur un total de 30 ou 49 personnes qui seraient décédées rapidement à la suite d'explosions ou de l'exposition aux radiations (syndrome d'irradiation aiguë) à la suite de l'accident <ref>Modèle:Lien web.</ref>,<ref>Modèle:Lien web.</ref>,<ref name="UNSCEAR" />.
Sur le plus long terme, l'incidence des cancers, hors cancers de la thyroïde, ne semble pas significativement différente chez les liquidateurs et dans le reste de la population : certaines études signalent une légère augmentation des cancers chez les liquidateurs quand d'autres études signalent au contraire une légère diminution<ref>Ivanov V, Ilyin L, Gorski A, Tukov A, Naumenko R. Radiation and epidemiological analysis for solid cancer incidence among nuclear workers who participated in recovery operations following the accident at the Chernobyl NPP. J. Radiat. Res. (Tokyo), 2004, 45, 41-44.</ref>,<ref name="UNSCEAR" />. Les cancers de la thyroïde pourraient avoir augmenté parmi les liquidateurs, mais on n'a pas trouvé de relation dose-effet probante (il semble cependant y avoir une relation au temps de séjour dans les territoires contaminés<ref>M. Hatch et al., The Chernobyl Disaster: Cancer following the Accident at the Chernobyl Nuclear Power Plant, Epidemiologic Reviews 27(1):56-66, 2005.</ref>).
Les études sur les leucémies ont montré une augmentation du taux d'incidence de ces pathologies chez les liquidateurs (au cours de la première dizaine d'années suivant l'accident), mais les résultats d'ensemble manquent de cohérence, en particulier aucune relation dose-effet significative n'est observée<ref>La relation dose-effet et l’estimation des effets cancérogènes des faibles doses de rayonnements ionisants. Maurice Tubiana et André Aurengo, Rapport à l'Académie nationale de médecine, octobre 2004. p. 26.</ref>,<ref>Richard Wakeford, The silver anniversary of the Chernobyl accident. Where are we now? (editorial), Journal of Radiological Protection, 31(1):1–7, 2011</ref>,<ref>Victor K Ivanov, Lessons from Chernobyl and prognosis for Fukushima: radiological consequences, Journal of Radiological Protection 32(1):N55–N58, 2012</ref>. Certains travaux semblent indiquer que l'absence de relation dose-effet viendrait des imprécisions sur le suivi dosimétrique : en reconstruisant a posteriori la dosimétrie des liquidateurs plutôt qu'en utilisant les chiffres des registres officiels, les auteurs retrouvent bien une corrélation statistique entre dose absorbée et risque de leucémie<ref>A.Ye. Romanenko Modèle:Et al., The Ukrainian-American study of leukemia and related disorders among Chornobyl cleanup workers from Ukraine: III. Radiation risks, Radiation Research 170(6):711-720, 2008.</ref>.
Si les premières études indiquaient plutôt un « effet travailleur sain », les liquidateurs semblent sur le long terme souffrir d'autres maux, principalement des cataractes radio-induites, des problèmes cardiovasculaires et des troubles psychologiques (syndrome post-traumatique, dépression, suicides)<ref>E. Cardis et M. Hatch, The Chernobyl Accident—An Epidemiological Perspective, Clinical Oncology 23(4):251-260, 2011</ref>,<ref>Jean Marc Bertho, Tchernobyl, 25 ans après : Un bilan des effets sanitaires dans les territoires contaminés, IRSN, DRPH/SRBE, Laboratoire de radiotoxicologie expérimentale, Présentation au Huitième congrès national de radioprotection « SFRP 2011 », Tours, 21, 22 & 23 juin 2011</ref>. Pour les problèmes cardiovasculaires, le doute persiste entre une éventuelle origine radio-induite et un lien avec un mode vie à risque (alcoolisme, tabagisme, surpoids)<ref>Recent scientific findings and publications on the health effects of Chernobyl, Radiation Protection No 170, Summary report, Working Party on Research Implications on Health and Safety Standards of the Article 31 Group of Experts, Commission Européenne, 2011.</ref>.
Projections théoriques et estimations statistiques
Selon un rapport provisoire de l'ONU de Modèle:Date-, sur plus de Modèle:Unité suivis en 1986-1987, la mort de 47 est imputable statistiquement à l'irradiation, et 2 200 pourraient encore décéder des suites de leur exposition<ref>Tchernobyl : l'ampleur réelle de l'accident Rapport de l'ONU (septembre 2005).</ref>. Ce bilan a été révisé à la hausse en Modèle:Date- (cf.l'article principal), mais cela reste une projection statistique, la surmortalité n'est pas observée directement mais estimée statistiquement<ref>Modèle:Ouvrage</ref> à partir de modélisations extrapolant les connaissances actuelles.
Ici, une population d'environ Modèle:Unité a reçu de l'ordre de 117 mSv en moyenne<ref name=laradioactivite/>.
- Si on admet que ces doses reçues par expositions successives par les liquidateurs pendant les opérations ont le même effet que les doses reçues instantanément par les populations de Hiroshima et Nagasaki ;
- Si on admet que le risque d'être atteint d'un cancer varie linéairement avec la dose radioactive reçue ;
Alors on peut calculer que cette dose correspond à un risque de cancer augmenté de 0,5 %, impliquant que l'on devrait constater à terme un surplus de Modèle:Unité dans cette population. Mais l'on sait par ailleurs que ces deux hypothèses (qui sous-tendent le modèle linéaire sans seuil) Modèle:Référence nécessaire
Par ailleurs, il est très difficile d'obtenir des chiffres fiables avec l'analyse statistique de phénomène médicaux : les taux d'incidences des maladies ne sont pas des constantes physiques définis avec précision, mais présentent des fluctuations aléatoires. Si l'effet attendu est faible par rapport aux bruits de fonds, il est impossible de le différencier de la marge d'erreur. Le taux de cancer « naturel » attendu dans une population est de l'ordre de Modèle:Référence nécessaire , mais ce taux est susceptible de varier de nettement plus que 0,5 % pour des raisons étrangères aux irradiations (dégradation des conditions de vie, dépression, alcoolisme…), et varie fortement suivant la population de référence (résidence, origine ethnique…).
Polémiques sur le bilan sanitaire
Les polémiques sur le bilan sanitaire citent généralement des chiffres très au-delà de ce qui est envisageable dans les connaissances actuelles :
- En Modèle:Date-, un texte de commémoration de la catastrophe provenant de l'ambassade d'Ukraine en Belgique faisait état du décès de plus de Modèle:Unité sur 600 000 depuis 1986<ref>Commémorations en Ukraine de la catastrophe de Tchernobyl (26 avril 2004).</ref>.
- Le film documentaire La Bataille de Tchernobyl (2006) énonce que sur les Modèle:Unité, 20 000 sont morts et 200 000 sont invalides<ref>La Bataille de Tchernobyl, partie 6.</ref>.
- Selon le décompte de l'ingénieur biélorusse Gueorgui Lepine, qui a participé au programme de décontamination, Modèle:Citation
- Selon Viatcheslav Grichine, président de l'Union Tchernobyl (la principale association de liquidateurs) sur Modèle:Unité « 25 000 sont morts et 70 000 restés handicapés en Russie, en Ukraine les chiffres sont proches, et en Biélorussie 10 000 sont morts et Modèle:Unité», ce qui fait un total de Modèle:Unité (10 % des Modèle:Unité) et Modèle:Unité<ref>Selon un rapport indépendant, les chiffres de l'ONU sur les victimes de Tchernobyl ont été sous-estimés in Le Monde du 7 avril 2006</ref>.
Cependant, même si le nombre de morts est très élevé, les preuves statistiques démontrant que plus d'une centaine de personnes sont mortes à cause de l'accident de Tchernobyl ne sont pas si solides et sont complexes à interpréter<ref>Voir : Ngô, Christian, L'Énergie, ressources, technologies et environnement, Modèle:P.123-125, Éditions Dunod, 2002 ; rapport UNSCEAR (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation) 2000 sur Tchernobyl, et notamment : Modèle:P.491-492.</ref>. En effet, la consultation d'une table de mortalité actuarielle<ref>Voir notamment : L'âge des liquidateurs étant de Modèle:Unité au moment de la catastrophe, il s'agit de prendre l(x) le nombre de survivants âgés de Modèle:Unité (Modèle:Unité plus tard) divisé par le nombre de personnes vivantes de Modèle:Unité.</ref> indique qu'en Modèle:Unité, le risque de mourir de toutes les causes possibles (autre que les conséquences de cet événement) pour l'âge des liquidateurs de Tchernobyl est situé entre 7 % et 18 %, selon l'âge et la provenance des liquidateurs, soit entre Modèle:Unité selon que l'on estime le nombre de liquidateurs entre Modèle:Unité. En clair, selon le nombre réel de liquidateurs (imprécision la plus importante) et leur répartition géographique, les statistiques prouvent soit que le nombre de victimes de Tchernobyl a été fortement sous-estimé (par exemple s'il y avait environ Modèle:Unité venant de pays à plus faible mortalité actuarielle), soit que l'impact de l'accident de Tchernobyl est faible ou nul (par exemple s'il y avait environ 1 000 000 venant de pays à plus forte mortalité actuarielle). Il faudrait de même disposer de tables actuarielles concernant le handicap pour savoir si le nombre particulièrement élevé de handicapés<ref>« Selon un rapport indépendant, les chiffres de l'ONU sur les victimes de Tchernobyl ont été sous-estimés » in Le Monde du 7 avril 2006.</ref> est dû à cet accident ou non.
Conséquences sociales
Environ Modèle:Unité manifestent, peu avant le Modèle:25e de la catastrophe en Modèle:Date-, à Kiev contre la décision prise par Viktor Ianoukovitch de baisser leurs indemnités et leurs pensions de retraites dans un contexte d'augmentation du prix des soins voire d'abandon de la gratuité de certains de ces soins. Respecter les promesses faites aux liquidateurs est alors considéré par Viktor Ianoukovitch comme Modèle:Citation<ref>Dépêche de l'agence France-Presse citée par la revue Challenges.</ref>.
Voir aussi
Articles connexes
- Union Tchernobyl : ONG défendant les liquidateurs
- Youri Bandajevsky : scientifique biélorusse qui a enquêté sur les conséquences sanitaires de la catastrophe.
Documents et ressources sur le sujet
Photographies
Les premières photographies de liquidateurs ont été prises par Igor Kostine, photographe ukrainien qui fut le premier à travailler sur les lieux de l'accident et qui prit notamment des clichés d'hommes déblayant le toit du réacteur<ref>Une photographie de I. Kostine sur le site de l'Unesco : le travail sur le toit, archive Wikiwix.</ref>.
Bibliographie
- Svetlana Aleksievitch (trad. Galia Ackerman et Pierre Lorrain), La Supplication. Tchernobyl, chroniques du monde après l'apocalypse, J.-C. Lattès, coll. « Essais et documents », Paris, 1998, 267 p. Modèle:ISBN
- Modèle:Lien web
Filmographie
- Le Sacrifice d'Emanuela Andreoli et Wladimir Tchertkoff, Suisse, 2003, Modèle:Nobr. Documentaire primé au Festival du film scientifique d’Oullins et en Modèle:Date- par la région Île-de-France dans le cadre du Festival du film d'environnement.
- La Bataille de Tchernobyl, film documentaire de Thomas Johnson, 2006.