Relation de Gibbs-Duhem
La relation de Gibbs-Duhem, du nom de Willard Gibbs et Pierre Duhem, est une relation de thermodynamique qui s'applique à tout système thermodynamique à l'équilibre contenant plusieurs espèces chimiques en une seule phase. Lorsque l'on parle de la relation de Gibbs-Duhem, sans autre précision, il s'agit de la relation liée à l'enthalpie libre qui s'écrit sous la forme :
Relation de Gibbs-Duhem : <math>V \, \mathrm{d} P - S \, \mathrm{d} T = \sum_{i=1}^N n_i \, \mathrm{d} \mu_i</math> |
avec :
- <math>n_i</math> la quantité, ou nombre de moles, de l'espèce <math>i</math> au sein du mélange ;
- <math>\mu_i</math> le potentiel chimique de l'espèce <math>i</math> au sein du mélange ;
- <math>V</math> le volume du mélange ;
- <math>P</math> la pression du mélange ;
- <math>S</math> l'entropie du mélange ;
- <math>T</math> la température du mélange ;
- <math>N</math> le nombre d'espèces chimiques dans le mélange.
À pression et température constantes, cette relation devient :
De ces premières relations basées sur l'enthalpie libre découlent d'autres relations impliquant les fugacités, coefficients de fugacité, activités chimiques, coefficients d'activité d'un mélange. La relation de Gibbs-Duhem peut être généralisée à toute grandeur extensive autre que l'enthalpie libre.
Démonstration
Le potentiel chimique est lié de façon particulière à l'enthalpie libre <math>G</math>, car il s'agit du seul potentiel thermodynamique dont le potentiel chimique est la grandeur molaire partielle :
- <math>\mu_i = \bar G_i = \left( \frac{\partial G}{\partial n_i} \right)_{P,T,n_{j\neq i}} </math>
Selon le théorème d'Euler sur les fonctions homogènes du premier ordre, on peut écrire pour l'enthalpie libre, qui est une grandeur extensive :
- <math>G = \sum_{i=1}^{N} n_i \bar G_i</math>
et donc :
- <math>G = \sum_{i=1}^{N} n_i \mu_i</math>
En différentiant l'identité d'Euler pour l'enthalpie libre, nous obtenons :
- (a) <math> \mathrm{d} G = \sum_{i=1}^N n_i \, \mathrm{d} \mu_i + \sum_{i=1}^N \mu_i \, \mathrm{d} n_i</math>
La différentielle de l'enthalpie libre s'écrit, dans ses variables naturelles :
- (b) <math> \mathrm{d} G = V \, \mathrm{d} P - S \, \mathrm{d} T + \sum_{i=1}^N \mu_i \, \mathrm{d} n_i </math>
Nous pouvons identifier les différents termes des équations (a) et (b), on obtient la relation de Gibbs-Duhem :
En divisant par <math>n = \sum_{i=1}^N n_i</math>, la quantité de matière totale dans le mélange, on a également :
avec :
- <math>\bar V = V/n</math> le volume molaire du mélange ;
- <math>\bar S = S/n</math> l'entropie molaire du mélange ;
- <math>x_i = n_i / n</math> la fraction molaire de l'espèce <math>i</math> dans le mélange.
Relations dérivées
Représentation énergie et représentation entropie
La relation définie précédemment est appelée relation de Gibbs-Duhem en représentation énergie :
Relation de Gibbs-Duhem en représentation énergie : <math>S \, \mathrm{d} T - V \, \mathrm{d} P + \sum_{i=1}^N n_i \, \mathrm{d} \mu_i = 0</math> |
Il existe une seconde relation de Gibbs-Duhem basée sur l'entropie, que l'on obtient selon :
- <math>G = U + PV - TS</math>
- <math>S = {U \over T} + {PV \over T} - {G \over T}</math>
avec <math>G = \sum_{i=1}^{N} \mu_i n_i</math>, en différentiant :
- (c) <math> \mathrm{d} S = { \mathrm{d} U \over T} + U \, \mathrm{d} \! \left( {1 \over T} \right)
+ {P \over T} \, \mathrm{d} V + V \, \mathrm{d} \! \left( {P \over T} \right) - \sum_{i=1}^{N} {\mu_i \over T} \, \mathrm{d} n_i - \sum_{i=1}^{N} n_i \, \mathrm{d} \! \left( {\mu_i \over T} \right) </math>
or la différentielle de l'énergie interne <math>U</math> donne :
- <math> \mathrm{d} U = -P \, \mathrm{d} V + T \, \mathrm{d} S + \sum_{i=1}^{N} \mu_i \, \mathrm{d} n_i</math>
- (d) <math> \mathrm{d} S = { \mathrm{d} U \over T} + {P \over T} \, \mathrm{d} V - \sum_{i=1}^{N} {\mu_i \over T} \, \mathrm{d} n_i</math>
Nous pouvons identifier les différents termes des équations (c) et (d), on obtient la relation de Gibbs-Duhem en représentation entropie<ref>Réseau Numéliphy, Relations de Gibbs-Duhem.</ref> :
Relation de Gibbs-Duhem en représentation entropie : <math>U \, \mathrm{d} \! \left( {1 \over T} \right) + V \, \mathrm{d} \! \left( {P \over T} \right) - \sum_{i=1}^{N} n_i \, \mathrm{d} \! \left( {\mu_i \over T} \right) = 0</math> |
ou encore :
avec <math>H = U + PV</math> l'enthalpie.
Relation de Gibbs-Duhem générale
Toute grandeur extensive <math>X</math> peut être exprimée en fonction de la pression <math>P</math>, de la température <math>T</math> et des quantités de matière <math>n_i</math> : <math>X = X \! \left( P,T, n \right)</math>, même si <math>P</math> et <math>T</math> ne sont pas ses variables naturelles. Aussi peut-on écrire la différentielle totale de toute grandeur extensive sous la forme :
- <math> \mathrm{d} X = \left( {\partial X \over \partial P} \right)_{T,n} \, \mathrm{d} P
+ \left( {\partial X \over \partial T} \right)_{P,n} \, \mathrm{d} T + \sum_{i=1}^N \bar X_i \, \mathrm{d} n_i</math>
avec <math>\bar X_i = \left( {\partial X \over \partial n_i} \right)_{P,T,n_{j \neq i}}</math> la grandeur molaire partielle de l'espèce <math>i</math>.
Le théorème d'Euler sur les fonctions homogènes du premier ordre lie toute grandeur extensive <math>X</math> aux grandeurs molaires partielles <math>\bar X_i</math>, définies aux mêmes <math>P</math>, <math>T</math> et composition, selon :
- <math>X = \sum_{i=1}^{N} n_i \bar X_i </math>
En différentiant cette expression il vient :
- <math>\mathrm{d} X = \sum_{i=1}^{N} n_i \, \mathrm{d} \bar X_i + \sum_{i=1}^{N} \bar X_i \, \mathrm{d} n_i </math>
En identifiant terme à terme les deux expressions de <math> \mathrm{d} X</math>, nous obtenons la relation de Gibbs-Duhem générale :
Relation de Gibbs-Duhem générale : <math>\left( {\partial X \over \partial P} \right)_{T,n} \, \mathrm{d} P
+ \left( {\partial X \over \partial T} \right)_{P,n} \, \mathrm{d} T = \sum_{i=1}^{N} n_i \, \mathrm{d} \bar X_i</math> |
- Exemple
- Pour le volume <math>V</math> d'un mélange on pourra écrire :
- <math>\left( {\partial V \over \partial P} \right)_{T,n} \, \mathrm{d} P + \left( {\partial V \over \partial T} \right)_{P,n} \, \mathrm{d} T
= \sum_{i=1}^{N} n_i \, \mathrm{d} \bar V_i</math>
- Avec :
- <math>\alpha = {1 \over V} \left( {\partial V \over \partial T} \right)_{P,n}</math> le coefficient de dilatation isobare ;
- <math>\chi_T = - {1 \over V} \left( {\partial V \over \partial P} \right)_{T,n}</math> la compressibilité isotherme ;
- <math>\bar V_i = \left( {\partial V \over \partial n_i} \right)_{P,T,n_{j \neq i}}</math> le volume molaire partiel de l'espèce <math>i</math> ;
- on obtient :
- <math> - V \chi_T \, \mathrm{d} P + V \alpha \, \mathrm{d} T = \sum_{i=1}^{N} n_i \, \mathrm{d} \bar V_i</math>
Solutions idéales et mélanges de gaz parfaits
Déclinée au cas d'une solution idéale, la relation de Gibbs-Duhem donne :
Relation de Gibbs-Duhem pour une solution idéale : <math>V^\text{id} \, \mathrm{d} P - S^\text{id} \, \mathrm{d} T = \sum_{i=1}^N n_i \, \mathrm{d} \mu_i^\text{id}</math> |
en particulier, un mélange de gaz parfaits étant une solution idéale selon le théorème de Gibbs :
Relation de Gibbs-Duhem pour un mélange de gaz parfaits : <math>V^\bullet \, \mathrm{d} P - S^\bullet \, \mathrm{d} T = \sum_{i=1}^N n_i \, \mathrm{d} \mu_i^\bullet</math> |
avec :
- <math>V^\text{id}</math> le volume de la solution idéale ;
- <math>V^\bullet</math> le volume du mélange de gaz parfaits ;
- <math>S^\text{id}</math> l'entropie de la solution idéale ;
- <math>S^\bullet</math> l'entropie du mélange de gaz parfaits ;
- <math>\mu_i^\text{id}</math> le potentiel chimique du corps <math>i</math> dans la solution idéale ;
- <math>\mu_i^\bullet</math> le potentiel chimique du corps <math>i</math> dans le mélange de gaz parfaits.
Dans une solution idéale, le potentiel chimique <math>\mu_i</math> de toute espèce chimique <math>i</math> est liée au potentiel chimique <math>\mu_i^*</math> de cette même espèce pure aux mêmes pression et température et dans la même phase par la fraction molaire <math>x_i</math> de cette espèce selon :
- <math>\mu_i^\text{id} = \mu_i^* + RT \ln x_i</math>
Le potentiel chimique <math>\mu_i^*</math> de toute espèce pure étant identique à l'enthalpie libre molaire <math>\bar G_i^*</math>, il ne dépend que de la pression et de la température :
- <math>\mu_i^* = \bar G_i^* = \mu_i^* \left( P,T \right)</math>
à pression et température constantes :
- <math> \mathrm{d} \mu_i^* = 0</math>
La relation de Gibbs-Duhem à pression et température constantes donne :
- <math>\sum_{i=1}^N n_i \, \mathrm{d} \mu_i^\text{id}
= \underbrace{\sum_{i=1}^N n_i \, \mathrm{d} \mu_i^*}_{=0 \text{ à P et T} \atop \text{constantes}} + \sum_{i=1}^N n_i RT \, \mathrm{d} \ln x_i = 0</math>
- <math>\sum_{i=1}^N n_i RT \, \mathrm{d} \ln x_i = 0</math>
En divisant par <math>nRT</math> on obtient la relation entre fractions molaires :
À pression et température constantes : <math>\sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln x_i = 0</math> |
soit :
- <math>\sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln x_i = \sum_{i=1}^N x_i \, {\mathrm{d} x_i \over x_i} = \sum_{i=1}^N \, \mathrm{d} x_i = 0</math>
Cette relation découle directement de la relation entre fractions molaires :
- <math>\sum_{i=1}^N x_i = 1</math>
Elle implique également que, pour tout corps <math>j</math> du mélange :
Activités chimiques
En soustrayant la relation des solutions idéales à la relation des mélanges réels, toutes les grandeurs étant définies aux mêmes pression, température et composition que le mélange réel, on a :
- <math>\left( V - V^\text{id} \right) \, \mathrm{d} P - \left( S - S^\text{id} \right) \, \mathrm{d} T = \sum_{i=1}^N n_i \, \mathrm{d} \! \left( \mu_i - \mu_i^\text{id} \right)</math>
en identifiant les grandeurs d'excès on obtient :
Relation de Gibbs-Duhem pour les grandeurs d'excès : <math>V^\text{E} \, \mathrm{d} P - S^\text{E} \, \mathrm{d} T = \sum_{i=1}^N n_i \, \mathrm{d} \mu_i^\text{E}</math> |
avec :
- <math>V^\text{E} = V - V^\text{id}</math> le volume d'excès ;
- <math>S^\text{E} = S - S^\text{id}</math> l'entropie d'excès ;
- <math>\mu_i^\text{E} = \mu_i - \mu_i^\text{id}</math> le potentiel chimique d'excès du corps <math>i</math>.
En introduisant le coefficient d'activité <math>\gamma_i</math> de chaque espèce, défini par :
- <math>\mu_i^\text{E} = \mu_i - \mu_i^\text{id} = RT \ln \gamma_i</math>
la relation précédente devient, à pression et température constantes :
- <math>\sum_{i=1}^N n_i \, \mathrm{d} \mu_i^\text{E} = \sum_{i=1}^N n_i RT \, \mathrm{d} \ln \gamma_i = 0</math>
En divisant par <math>nRT</math> on obtient la relation entre coefficients d'activité :
À pression et température constantes : <math>\sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln \gamma_i = 0</math> |
Cette relation implique que, pour tout corps <math>j</math> du mélange :
On a également, en considérant l'activité chimique <math>a_i = x_i \gamma_i</math> :
- <math>\sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln \gamma_i = \sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln \! \left( {a_i \over x_i} \right)
= \sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln a_i - \underbrace{\sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln x_i}_{=0} = 0</math>
d'où la relation entre activités :
À pression et température constantes : <math>\sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln a_i = 0</math> |
Cette relation implique que, pour tout corps <math>j</math> du mélange :
Fugacités
En prenant comme solution idéale de référence le mélange de gaz parfaits aux mêmes pression, température et composition que le mélange réel, on a :
- <math>\left( V - V^\bullet \right) \, \mathrm{d} P - \left( S - S^\bullet \right) \, \mathrm{d} T = \sum_{i=1}^N n_i \, \mathrm{d} \! \left( \mu_i - \mu_i^\bullet \right)</math>
en identifiant les grandeurs résiduelles on obtient :
Relation de Gibbs-Duhem pour les grandeurs résiduelles : <math>V^\text{RES} \, \mathrm{d} P - S^\text{RES} \, \mathrm{d} T = \sum_{i=1}^N n_i \, \mathrm{d} \mu_i^\text{RES}</math> |
avec :
- <math>V^\text{RES} = V - V^\bullet</math> le volume résiduel ;
- <math>S^\text{RES} = S - S^\bullet</math> l'entropie résiduelle ;
- <math>\mu_i^\text{RES} = \mu_i - \mu_i^\bullet</math> le potentiel chimique résiduel du corps <math>i</math>.
En introduisant le coefficient de fugacité <math>\phi_i</math> de chaque espèce, défini par :
- <math>\mu_i^\text{RES} = \mu_i - \mu_i^\bullet = RT \, \ln \phi_i</math>
la relation précédente devient, à pression et température constantes :
- <math>\sum_{i=1}^N n_i \, \mathrm{d} \mu_i^\text{RES} = \sum_{i=1}^N n_i RT \, \mathrm{d} \ln \phi_i = 0</math>
En divisant par <math>nRT</math> on obtient la relation entre coefficients de fugacité :
À pression et température constantes : <math>\sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln \phi_i = 0</math> |
Cette relation implique que, pour tout corps <math>j</math> du mélange :
On a également, en considérant la fugacité <math>f_i = x_i \phi_i P</math> :
- <math>\sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln \phi_i = \sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln \! \left( {f_i \over x_i P} \right)
= \sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln f_i - \underbrace{\sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln x_i}_{=0} - \underbrace{\sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln P}_{=0 \atop \text{à pression constante}} = 0</math>
On obtient la relation entre fugacités :
À pression et température constantes : <math>\sum_{i=1}^N x_i \, \mathrm{d} \ln f_i = 0</math> |
Cette relation implique que, pour tout corps <math>j</math> du mélange :
Exemples d'application
Lois des équilibres de phases
La relation de Gibbs-Duhem entre au nombre des relations prises en compte pour établir la règle des phases qui donne le nombre de paramètres intensifs indépendants lors d'équilibres de phases en présence de réactions chimiques. Elle montre en effet que, dans une phase donnée, la pression, la température et les potentiels chimiques des divers constituants ne varient pas indépendamment.
La relation de Gibbs-Duhem intervient également dans l'établissement théorique de nombreuses formules décrivant les équilibres de phases.
La formule de Clapeyron décrit l'évolution de la pression de changement d'état d'un corps pur en fonction de la température. Cette formule peut être étendue aux mélanges.
Plusieurs lois décrivent les propriétés colligatives d'une solution liquide, c'est-à-dire la différence entre une propriété donnée d'un solvant pur liquide et la même propriété de ce solvant en présence d'un soluté très dilué :
- la loi de la tonométrie concerne l'abaissement de la pression de vapeur saturante du solvant ;
- la loi de l'ébulliométrie concerne l'élévation de la température d'ébullition du solvant ;
- la loi de la cryométrie concerne l'abaissement de la température de fusion du solvant ;
- la loi de l'osmométrie concerne la pression osmotique.
La loi de Raoult concerne les équilibres liquide-vapeur idéaux. La relation de Duhem-Margules permet de démontrer les règles de Konovalov concernant la dépendance des pressions partielles d'une phase vapeur à la composition du liquide en équilibre à température constante.
L'équation de Schröder-van Laar concerne les équilibres liquide-solide.
Le théorème de Gibbs-Konovalov concerne les azéotropes et les points de fusion congruents.
Détermination des grandeurs molaires partielles, méthode de Roozeboom
Détermination graphique des potentiels chimiques
Pour un mélange binaire, ne contenant que deux espèces chimiques, la relation de Gibbs-Duhem à pression et température constantes permet d'établir la variation de l'enthalpie libre molaire <math>\bar G</math> en fonction de la fraction molaire <math>x_1</math> de l'espèce 1 à <math>P</math> et <math>T</math> constantes :
Modèle:Boîte déroulante/début Pour un mélange binaire la relation de Gibbs-Duhem à pression et température constantes se réduit à :
- <math>n_1 \, \mathrm{d} \mu_1 + n_2 \, \mathrm{d} \mu_2 = 0</math>
avec :
- <math>n_1</math> et <math>n_2</math> les quantités respectives des espèces 1 et 2 ;
- <math>\mu_1</math> et <math>\mu_2</math> les potentiels chimiques respectifs des espèces 1 et 2.
Soit <math>n = n_1 + n_2</math> la quantité totale de matière dans le mélange. On note <math>x_1 = {n_1 \over n}</math> et <math>x_2 = {n_2 \over n}</math> les fractions molaires respectives des espèces 1 et 2. En divisant la relation de Gibbs-Duhem par <math>n</math>, on a :
- <math>x_1 \, \mathrm{d} \mu_1 + x_2 \, \mathrm{d} \mu_2 = 0</math>
Puisque les fractions molaires sont liées par la relation :
- (1) <math>x_1 + x_2 = 1</math>
on réécrit :
- (2) <math>x_1 \, \mathrm{d} \mu_1 + \left( 1 - x_1 \right) \, \mathrm{d} \mu_2 = 0</math>
Les potentiels chimiques dépendent de la pression, de la température et des fractions molaires des espèces présentes dans le mélange :
- <math>\mu_1 = \mu_1 \left( P, T, x_1, x_2 \right)</math>
- <math>\mu_2 = \mu_2 \left( P, T, x_1, x_2 \right)</math>
Étant donné la relation (1), les potentiels chimiques d'un mélange binaire ne dépendent que d'une seule variable de composition, nous choisissons <math>x_1</math>. Nous avons donc à pression et température constantes :
- <math> \mathrm{d} \mu_1 = \left( {\partial \mu_1 \over \partial x_1} \right)_{P,T} \, \mathrm{d} x_1</math>
- <math> \mathrm{d} \mu_2 = \left( {\partial \mu_2 \over \partial x_1} \right)_{P,T} \, \mathrm{d} x_1</math>
En substituant ces relations dans l'équation (2), on obtient :
- <math>\left( x_1 \left( {\partial \mu_1 \over \partial x_1} \right)_{P,T} + \left( 1 - x_1 \right) \left( {\partial \mu_2 \over \partial x_1} \right)_{P,T} \right) \, \mathrm{d} x_1 = 0</math>
La variation <math> \mathrm{d} x_1</math> étant quelconque, ceci implique que :
- (3) <math>x_1 \left( {\partial \mu_1 \over \partial x_1} \right)_{P,T} + \left( 1 - x_1 \right) \left( {\partial \mu_2 \over \partial x_1} \right)_{P,T} = 0</math>
D'autre part, selon le théorème d'Euler sur les fonctions homogènes du premier ordre, on peut écrire, étant donné l'égalité des potentiels chimiques et des enthalpies libres molaires partielles :
- <math>G = n_1 \mu_1 + n_2 \mu_2</math>
En divisant par la quantité totale de matière <math>n</math>, on obtient, en introduisant l'enthalpie libre molaire <math>\bar G</math> :
- <math>\bar G = {G \over n} = x_1 \mu_1 + x_2 \mu_2</math>
En considérant la relation (1), on réécrit :
- (4) <math>\bar G = x_1 \mu_1 + \left( 1 - x_1 \right) \mu_2</math>
De même que les potentiels chimiques, l'enthalpie libre molaire dépend de la pression, de la température et des fractions molaires des espèces présentes dans le mélange :
- <math>\bar G = \bar G \left( P, T, x_1, x_2 \right)</math>
Étant donné la relation (1), l'enthalpie libre d'un mélange binaire ne dépend que d'une seule variable de composition, nous choisissons <math>x_1</math>. On a, en dérivant la relation (4) :
- <math>\left( {\partial \bar G \over \partial x_1} \right)_{P,T} = \mu_1 + x_1 \left( {\partial \mu_1 \over \partial x_1} \right)_{P,T}
- \mu_2 + \left( 1 - x_1 \right) \left( {\partial \mu_2 \over \partial x_1} \right)_{P,T}</math>
En considérant la relation (3), il vient finalement :
- <math>\left( {\partial \bar G \over \partial x_1} \right)_{P,T} = \mu_1 - \mu_2</math>
Si l'on parvient à déterminer expérimentalement l'enthalpie libre d'un mélange binaire à pression et température données en fonction de la composition, pour déterminer les potentiels chimiques des deux espèces on trace la courbe de l'enthalpie libre molaire <math>\bar G</math> en fonction de la fraction molaire <math>x_1</math>. Cette courbe admet deux limites selon la relation (4) :
- pour <math>x_1 = 0</math> l'espèce 2 est pure et <math>\bar G = \mu_2^*</math> le potentiel chimique de l'espèce 2 pure à <math>P</math> et <math>T</math> ;
- pour <math>x_1 = 1</math> l'espèce 1 est pure et <math>\bar G = \mu_1^*</math> le potentiel chimique de l'espèce 1 pure à <math>P</math> et <math>T</math>.
La pente de la tangente à la courbe ainsi obtenue en un point quelconque de composition <math>x_1</math> vaut <math>\mu_1 - \mu_2</math> (les deux potentiels dépendant de <math>x_1</math>). Cette tangente a pour équation :
- <math>g \left( z \right) = \left( \mu_1 - \mu_2 \right) \left( z - x_1 \right) + \bar G \left( x_1 \right) </math>
soit, étant donné la relation (4) :
- <math>g \left( z \right) = \left( \mu_1 - \mu_2 \right) \left( z - x_1 \right) + x_1 \mu_1 + \left( 1 - x_1 \right) \mu_2</math>
- <math>g \left( z \right) = \left( \mu_1 - \mu_2 \right) z + \mu_2</math>Modèle:Boîte déroulante/fin
L'équation de la tangente en <math>x_1</math> à la courbe <math>\bar G</math> à <math>P</math> et <math>T</math> données est :
Cette tangente intercepte<ref>Modèle:Lien web.</ref> :
- l'axe <math>x_1 = 0</math> en <math>\mu_2 \! \left( P,T,x_1 \right)</math>,
- l'axe <math>x_1 = 1</math> en <math>\mu_1 \! \left( P,T,x_1 \right)</math>.
De plus, si l'on connaît <math>\mu_1^*</math> et <math>\mu_2^*</math> les potentiels chimiques respectifs des deux espèces pures à <math>P</math> et <math>T</math>, alors cette courbe permet également de déterminer <math>a_1</math> et <math>a_2</math> les activités chimiques respectives des deux espèces, puisque :
- <math>\mu_1 = \mu_1^* + RT \ln a_1</math>
- <math>\mu_2 = \mu_2^* + RT \ln a_2</math>
Les écarts :
- <math>\bar G_1^\text{mix} = \mu_1^\text{mix} = \mu_1 - \mu_1^* = RT \ln a_1</math>
- <math>\bar G_2^\text{mix} = \mu_2^\text{mix} = \mu_2 - \mu_2^* = RT \ln a_2</math>
sont les enthalpies libres molaires partielles de mélange, ou potentiels chimiques de mélange.
Rappelons également que dans le cas particulier du potentiel chimique :
- pour <math>x_1 = 0</math> l'espèce 2 est pure :
- <math>\mu_1 = - \infty</math> et <math>a_1 = 0</math> ;
- <math>\mu_2 = \mu_2^*</math> et <math>a_2 = 1</math> ;
- pour <math>x_1 = 1</math> l'espèce 1 est pure :
- <math>\mu_1 = \mu_1^*</math> et <math>a_1 = 1</math> ;
- <math>\mu_2 = - \infty</math> et <math>a_2 = 0</math>.
Généralisation de la méthode
Étant donné que la relation de Gibbs-Duhem est généralisable à toute grandeur extensive <math>X</math>, la méthode graphique employée ci-dessus pour déterminer les potentiels chimiques est déclinable pour la détermination des grandeurs molaires partielles <math>\bar X_i</math> d'un mélange binaire.
Il suffit donc de connaitre, à pression et température données, l'évolution de la grandeur molaire partielle <math>\bar X</math> d'un mélange binaire sur toute l'étendue de composition entre le corps 1 pur et le corps 2 pur. La courbe de <math>\bar X</math> est tracée en fonction de la composition, par ex. en fonction de <math>x_1</math> la fraction molaire du corps 1. Pour une valeur donnée de <math>x_1</math>, les grandeurs molaires partielles <math>\bar X_1</math> du corps 1 et <math>\bar X_2</math> du corps 2 sont déterminées par les intersections de la tangente à la courbe <math>\bar X</math> en ce point avec les droites respectivement <math>x_1 = 1</math> et <math>x_1 = 0</math>. Cette méthode est appelée méthode de Roozeboom<ref group=alpha>Hendrik Willem Bakhuis Roozeboom (1854-1907), chimiste et professeur d'université néerlandais, membre de l'Académie royale néerlandaise des arts et des sciences.</ref>,<ref>Bernard Claudel, « Propriétés thermodynamiques des fluides », Techniques de l'ingénieur, B 8020, Modèle:Pp.1-46, 1996.</ref>.
Le tableau ci-dessous résume les équivalences entre grandeurs sur les exemples de l'enthalpie libre et du volume. Nous rappelons que toutes ces grandeurs sont déterminées aux mêmes pression et température.
Grandeur extensive du mélange <math>X</math> |
Enthalpie libre <math>G</math> |
Volume <math>V</math> |
Grandeur molaire du mélange <math>\bar X</math> |
<math>\bar G</math> | <math>\bar V</math> |
Grandeur molaire partielle du corps <math>i</math> <math>\bar X_i</math> |
<math>\bar G_i = \mu_i</math> | <math>\bar V_i</math> |
Grandeur molaire du corps <math>i</math> pur <math>\bar X_i^*</math> |
<math>\bar G_i^* = \mu_i^*</math> | <math>\bar V_i^*</math> |
Grandeur molaire partielle de mélange du corps <math>i</math> <math>\bar X_i^\text{mix} = \bar X_i - \bar X_i^*</math> |
<math>\bar G_i^\text{mix} = \mu_i^\text{mix}</math> <math>= \bar G_i - \bar G_i^*</math> <math>= RT \ln a_i</math> |
<math>\bar V_i^\text{mix}</math> <math>= \bar V_i - \bar V_i^*</math> |
Test de cohérence
Si l'on dispose, pour un système binaire à pression et température données constantes, de mesures expérimentales des coefficients d'activité <math>\gamma_1</math> et <math>\gamma_2</math> des deux composants, représentés respectivement par les fractions molaires <math>x_1</math> et <math>x_2</math>, sur une large plage de composition du mélange binaire (du corps 1 pur au corps 2 pur), la relation de Gibbs-Duhem permet d'établir un test de cohérence de ces mesures. On a les relations suivantes :
- enthalpie libre molaire d'excès : <math>{\bar G^\text{E} \over RT} = x_1 \ln \gamma_1 + x_2 \ln \gamma_2</math>
- relation de Gibbs-Duhem à pression et température constantes : <math>x_1 \, \mathrm{d} \ln \gamma_1 + x_2 \, \mathrm{d} \ln \gamma_2 = 0</math>
- contrainte sur les fractions molaires : <math>x_1 + x_2 = 1</math>
Rappelons que par définition du coefficient d'activité <math>a_i = x_i \gamma_i</math>, d'où :
- pour <math>x_1 = 0</math> l'espèce 2 est pure :
- <math>a_1 = 0</math> et <math>\gamma_1 = \gamma_{1,2}^\infty \neq 0</math>, coefficient d'activité de 1 infiniment diluée dans 2, de valeur non nulle ;
- <math>a_2 = 1</math> et <math>\gamma_2 = 1</math> ;
- pour <math>x_1 = 1</math> l'espèce 1 est pure :
- <math>a_1 = 1</math> et <math>\gamma_1 = 1</math> ;
- <math>a_2 = 0</math> et <math>\gamma_2 = \gamma_{2,1}^\infty \neq 0</math>, coefficient d'activité de 2 infiniment diluée dans 1, de valeur non nulle.
En différentiant l'expression de l'enthalpie libre d'excès :
- <math> \mathrm{d} \left[ {\bar G^\text{E} \over RT} \right] = \ln \gamma_1 \, \mathrm{d} x_1 + \ln \gamma_2 \, \mathrm{d} x_2 + \underbrace{x_1 \, \mathrm{d} \ln \gamma_1 + x_2 \, \mathrm{d} \ln \gamma_2}_{=0 \atop \text{relation de Gibbs-Duhem}}</math>
En différentiant la relation entre fractions molaires :
- <math> \mathrm{d} x_1 + \, \mathrm{d} x_2 = 0</math>
En retenant arbitrairement <math>x_1</math> comme variable, on obtient :
- <math> \mathrm{d} \left[ {\bar G^\text{E} \over RT} \right] = \ln \gamma_1 \, \mathrm{d} x_1 - \ln \gamma_2 \, \mathrm{d} x_1 = \ln \! \left( {\gamma_1 \over \gamma_2} \right) \, \mathrm{d} x_1</math>
Si l'on intègre cette relation sur toute l'étendue de la plage de variation de <math>x_1</math> :
- <math>\int_{x_1 = 0}^{x_1=1} \, \mathrm{d} \left[ {\bar G^\text{E} \over RT} \right] = \left. {\bar G^\text{E} \over RT} \right|_{ x_1 = 1} - \left. {\bar G^\text{E} \over RT} \right|_{ x_1 = 0} = \int_{0}^{1} \ln \! \left( {\gamma_1 \over \gamma_2} \right) \, \mathrm{d} x_1</math>
Or par définition pour <math>x_1 = 1</math> le corps 1 est pur et <math>\bar G^\text{E} \! \left( x_1 = 1 \right) = 0</math>. De même pour <math>x_1 = 0</math> le corps 2 est pur et <math>\bar G^\text{E} \! \left( x_1 = 0 \right) = 0</math>. On obtient un test de cohérence sur les coefficients d'activité du système binaire :
Test de cohérence : <math>\int_{0}^{1} \ln \! \left( {\gamma_1 \over \gamma_2} \right) \, \mathrm{d} x_1 = 0</math> |
Dans une représentation graphique de <math>\ln \! \left( {\gamma_1 \over \gamma_2} \right)</math> en fonction de <math>x_1</math>, l'aire située entre l'axe des abscisses et les valeurs positives de la fonction doit être égale à l'aire entre l'axe des abscisses et les valeurs négatives de la fonction ; si ce n'est pas le cas, cela indique que les mesures sont biaisées.
Ce test ne garantit pas la justesse des coefficients d'activité mesurés : il indique seulement que toutes les mesures ont été effectuées de la même façon, mais pas que le protocole de mesure est correct.