Femmes d'Alger dans leur appartement
Modèle:Voir homonymes Modèle:Infobox Art Femmes d'Alger dans leur appartement est un tableau très célèbre d'Eugène Delacroix, peint à Paris en 1833. Le tableau est présenté au Salon de 1834 et acquis la même année par Le Louvre. Synthèse d'orientalisme et de romantisme, ce tableau exprime une profonde « mélancolie » pour le poète et critique d'art Baudelaire.
Analyse et composition du tableau
La toile représente trois jeunes femmes en costumes d'intérieur vaporeux et richement brodés éclairées par la lumière douce d'une fenêtre située à gauche. Allongées ou assises sur un tapis autour d'un narguilé et d'un kanoun<ref group="note">Un kanoun est une poterie creuse, en terre cuite, utilisée comme un brasero, pour la cuisson des aliments au charbon de bois. Sa forme, avec des bords échancrés, permet de poser sur cet outil de cuisson, des récipients pour la préparation des plats, ou des produits à cuire directement sur les braises (maïs), l'encens. Ils sont très répandus en Afrique de l'Ouest (Sénégal, Mali) et en Afrique du Nord, pour les cuisines marocaines, algériennes ou tunisiennes.</ref>, elles se prélassent sur des coussins posés à même le sol. Une femme noire, probablement une servante, porte une veste courte bleue. Elle s'apprête à sortir. Derrière elle, accrochée au mur la formule « Mohamed rassoul Allah » est inscrite sur un panneau en faïence bleu et blanc, ce qui semble indiquer un intérieur musulman<ref name="noticelouvre">Notice de Femmes d'Alger dans leur appartement, sur le site du Louvre.</ref>. Le décor somptueux du harem ou du gynécée est constitué de tentures et de tapis, de verrerie de Murano au-dessus du placard rouge entrouvert, et de murs recouverts de faïence ornés d'un motif floral mordoré baigné dans un clair-obscur.
Le visage des femmes exprime la voluptueuse langueur attribuée aux odalisques orientales. Elles sont vêtues, à la mode algéroise, de chemises en étoffe fine, blanche, unie, fleurie ou jouant sur des textures mates et brillantes. Portées ouvertes sur le devant jusqu'aux genoux, elles cachent le haut des serouels d’intérieur en satin et brocart, de type court, amples et serrés à mi-mollet par une jambière. Celle de gauche, la ceinture lâche et éloignée du corps, a une ghlila, veste sans manches, cintrée et évasée sur les hanches en velours grenat, décorée de galons, de boutons de passementerie et sous les seins, d’appliques triangulaires brodées en mejboud, de fils d’or, de paillettes et de canetilles. Les autres portent une frimla, petit corsage dérivé de la première, qui pallie la transparence, soutient la poitrine et retient les manches. Par-dessus ces chemises est nouée au niveau des hanches la fouta, pagne soyeux orné de bandes rayées. Les trois femmes ont la tête couverte par une meherma, carré de soie sombre, frangé et tissé de fil d’or, signe distinctif des femmes mariées. Sur le sol gisent trois babouches.
L'embellissement des décors, des intérieurs, des vêtements, des parures et des bijoux portés (bracelets de bras et khelkhels<ref group="note">Les khelkhels sont des bracelets de pied.</ref>, boucles d’oreilles, montre en breloque, bagues à tous les doigts) indique que Delacroix représente une scène de fête ou de réception<ref name="noticelouvre"/>.
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Femmes d'Alger (étude). 1832, Modèle:Dunité, Louvre (Mounay ben Sultane, femme de gauche)
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Femmes d'Alger (étude). 1832, Modèle:Dunité, Louvre (Zera ben Sultane, Beliah)
Origines de l'œuvre
Delacroix visite le Maroc en 1832, où il reste trois mois. Le choc esthétique de ce voyage est immense. Sur le chemin du retour, il passe deux jours à Alger. Selon Charles Cournault<ref group="note">Charles Cournault est un peintre et élève de Delacroix ; il refait sous son influence un voyage en Algérie entre 1840 et 1846, dans « Journal d'Eugène Delacroix » présenté par Michèle Hannoosh, Voyage de Delacroix, Paris, 2009, p. 247.</ref>, l'ingénieur en chef du port d'Alger, Victor Poirel<ref group="note">Dont la femme Lisinka Guibal est une élève de Delacroix.</ref>, se serait arrangé avec le chaouchModèle:Note pour que celui-ci accepte de lui faire visiter sa maison<ref>Eugène Delacroix présenté par Michèle Hannoosh, Voyage de Delacroix, Paris, 2009, p. 247.</ref> mais Delacroix ne dit rien de tel, dans son journal. Si Delacroix s'oppose à la conquête de l'Algérie, qu'il considère comme une erreur, comme on peut le lire dans son texte de 1840 Souvenirs d'un voyage au Maroc<ref>Souvenirs d'un voyage au Maroc, Modèle:P..</ref>, il précise que l'intérieur des maisons maures lui étaient interdites<ref>Souvenirs d'un voyage au Maroc, Modèle:P..</ref> alors que les maisons juives lui étaient ouvertes, lui offrant Modèle:Citation, où il rencontrait des femmes Modèle:Citation habillées avec dignité, suivi d'une description précise des vêtements correspondant au tableau Les femmes d'Alger dans leur appartement<ref>Souvenirs d'un voyage au Maroc, Modèle:P..</ref>.
Le Modèle:Date- à Tanger, le peintre tombe sous le charme de la femme et de la sœur d'Abraham Benchimol, interprète du consulat français qu'il décrit en ces termes : Modèle:Citation À la demande du consul de Hollande Jean Fraissinet, Laetetia Azencot, nièce d'Abraham Benchimol, pose pour le peintre en costume d'Algérienne le Modèle:Date- à Tanger<ref>Journal d'Eugène Delacroix présenté par Michèle Hannoosh, Voyage de Delacroix, Paris, 2009, p. 207-208.</ref>. Par la suite, Delacroix est convié à la noce qui donnera naissance au tableau La Noce Juive au Maroc en 1839.
Le tableau Femmes d'Alger dans leur appartement est réalisé d’après des esquisses<ref group="note">Sur papier libre et non en carnet.</ref> réalisées à Alger<ref>https://www.histoire-image.org/fr/etudes/femmes-alger-leur-appartement-delacroix</ref>, sur lesquelles Delacroix note les noms de Mouney Ben Sultane qui a posé deux fois dans des attitudes différentes, pour la figure accoudée à gauche et pour celle qui est assise en tailleur au centre, l'autre esquisse est la figure de droite, Zera Ben Sultane. Pour Yves Sjösberg, dans Pour comprendre Delacroix, les modèles sont identifiées à des femmes d'origine turque : Zohra Touboudji, Bahya, Khadoûdja et Mouni Bensoltane<ref group="note">L'auteur cite le livre de Elie Lambert, Delacroix et les femmes d'Alger, Paris, Laurens, 1937 dans Yves Sjösberg, Pour comprendre Delacroix, Beauchêne et fils, Paris, 1963, p. 117.</ref>. Cependant, de nombreux auteurs doutent de la réalité de cette visite à un « harem » algérien, dont le mot a été associé au tableau par le critique Philippe Burty (1830-1890) et amplement repris depuis alors que, de plus, le livre de bord du bateau La Perle indiquant les entrées et sorties de Delacroix, ne lui donne pas le temps de dessiner à terre<ref name=arama>Maurice Arama, Delacroix, un voyage initiatique, Paris, Éd. Non Lieu, 2016, Modèle:P..</ref>.
Le tableau est une peinture à l'huile, peint à Paris en 1834, avec des modèles parisiennes, dont sans doute Elise Boulanger ou Eugènie Dalton<ref name=arama /> vêtues des vêtements, chemises à manche, pantoufle de femmes… et parées des bijoux que le peintre a acheté, avec d'autres objets divers comme des coussins, à Tanger et Oran<ref group="note">Les listes des objets rapportés sont décrites par Delacroix dans « Journal d'Eugène Delacroix » présenté par Michèle Hannoosh, Voyage de Delacroix, Paris, 2009, Modèle:P..</ref>.
La toile Femmes d'Alger dans leur appartement semble aussi être inspirée par les « turqueries » à la mode au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle<ref group="note">Avant son voyage, le Modèle:Date-, alors qu'il prépare sa toile Le Massacre de Scio, Delacroix va consulter les ouvrages sur les Mœurs et Costumes Turques à travers les ouvrages et gravures du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle par de Hoogue, Melling, Rossset, Scheick... dans Michèle Hannoosh, Modèle:Opcit, p. 153.</ref>, comme on peut le voir dans les œuvres de Jean-Étienne Liotard (1702-1789). Ainsi se crée l'image d'un orient rêvé Modèle:Incise.
Accueil du tableau par les critiques d'époque
Présenté au Salon de 1834, le tableau est acheté par le gouvernement de Louis-Philippe pour le Louvre.
La toile est louée par la critique pour son sens de la couleur et la sûreté de sa touche, son calme, la sérénité de sa composition, la distribution de la lumière, son clair-obscur, avec Modèle:Citation<ref>Salon de 1834, La revue de Paris, Paris, 1834, Modèle:P..</ref>. Néanmoins, la toile est critiquée pour sa laideur et son exotisme émollient d'un dessin lourd et maladroit. Dans le journal L'Artiste de la même année, il est écrit que l'épaule gauche de la femme du milieu est démesurée<ref>« Le salon de 1834 » dans L'Artiste, Modèle:P..</ref>. Le critique Gabriel Laviron dans le Salon de 1834 considérait que la toile manquait de Modèle:Citation Pour Maxime Du Camp en 1855, si les couleurs de la toile sont belles, Modèle:Citation et la toile est loin de la beauté et de l'invention d'une miniature persane.
Théophile Gautier, lui y voit des femmes Modèle:Citation peintes à la manière des maîtres vénitiens<ref>La France Industrielle, avril 1834.</ref>.
Pour Baudelaire, la toile respire la mélancolie dans ce Modèle:Citation qui exhale quelque haut parfum de mauvaise vie. Pour le poète, les femmes de Delacroix sont maladives et d'une grande beauté intérieure qui exprime leur douleur morale<ref>Pascale Auraix-Jonchière, Écrire la peinture entre {{#switch: XIX
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}}, Baudelaire, les salons, exégèse artistique et transfert poétique, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2003 Modèle:P..</ref>.
Charles Blanc voit dans les Femmes d'Alger l'illustration de toute la théorie de la couleur de Delacroix, analysant en détail sa technique<ref>Modèle:Ouvrage.</ref>. Ces pages sont lues par Georges Seurat et inspirent Paul Signac<ref>Modèle:Lien web, 42 minutes et suivantes.</ref>, dans son traité D'Eugène Delacroix au néo-impressionnisme<ref>Modèle:Ouvrage.</ref>, si le peintre ne veut exprimer aucune passion, mais simplement la vie paisible et contemplative dans un intérieur somptueux, il est de fait le père du néo-impressionnisme et des théories divisionnistes de la couleurModèle:Sfn par sa pratique singulière de la couleur et de la touche juxtaposée.
Autres versions
Delacroix reprendra le même thème, dans deux variations de petites tailles dans les années 1850.
Il présente en 1849 une seconde version de ce tableau, Femmes d'Alger dans leur intérieur. La toile est plus petite, le décor plus sombre avec un angle de vue plus large. La lumière vient de la droite. Elle est exposée au musée Fabre de Montpellier. Il existe également des études au pastel, semble-t-il, faites à Paris vers 1849 dans un clair-obscur plus marqué. Enfin, Delacroix fait poser des modèles parisiens avec ces vêtements dans une série de photographies qu'il fait réaliser par Eugène Durieu.
Influence
À sa suite, des artistes vont délaisser le Grand Tour pour se muer en explorateurs de l'Orient mythique, suivant les missions scientifiques des universitaires orientalistes ou profitant des charges consulaires ou commerciales qui leur sont confiées. Modèle:Citation, constate Théophile Gautier<ref>Modèle:Ouvrage.</ref>. De plus, le tableau s'inscrit dans le prolongement d'une vogue d'estampes politiques qui célèbrent la prise d'Alger en représentant l'enlèvement des femmes du sultan<ref>Modèle:Ouvrage.</ref>.
Postérité
La mode de la figure de la « femme algérienne », de « l'Odalisque » au pantalon bouffant, apparaît chez de nombreux peintres, Renoir, Matisse… Elle provoque même l'ironie du peintre Albert Marquet qui écrit à Henri Matisse : Modèle:Citation
Ce tableau a inspiré plus d'une quinzaine de versions faites par Picasso, parmi lesquelles : Les Femmes d'Alger (version O) (1955).
La romancière Assia Djebar offre une lecture du tableau dans la postface intitulée : « Regard interdit, son coupé » de son recueil de nouvelles éponyme.
Le tableau est au centre de la nouvelle Femmes d'Alger, filles de joie incluse dans le recueil L'Orient est rouge, de Leïla Sebbar (2017).
Notes et références
Notes
Références
Annexes
Documentaires
- 2015, Carlos Franklin : Femmes d'Alger dans leur appartement d'Eugène Delacroix in Les Petits Secrets des grands tableaux, documentaire Arte (27 min).
Bibliographie
- Assia Djebar, Femmes d'Alger dans leur appartement, Albin Michel, 2002, 267 p.