Kabîr
Kabîr (en hindi : Modèle:Langue ; en arabe kébir signifie « grand »<ref name=furet>Modèle:Lien web.</ref>) est un poète, philosophe, musicien, tisserand, réformateur religieux, à la fois hindou vishnouïte et musulman soufi<ref>Modèle:Ouvrage.</ref> ; mais lié aussi au shivaïte Natha yoga et Gorakhnath, de l'Inde du nord et au sikhisme; probablement né de parents musulmans<ref name=lmsdh/> à Vârânasî (Bénarès) vers 1440 et décédé à Maghar en 1518<ref>Modèle:Lien web.</ref>. Sans doute illettré, il est considéré comme le père de la langue et littérature hindi<ref name=lmsdh/> : le hindi est d'ailleurs surnommé « la langue de Kabîr ». C'est le premier poète mystique à utiliser une langue vernaculaire indienne, les poètes n'employant alors que le sanskrit<ref>Encyclopédie des religions, Gerhard J. Bellinger, éditions le Livre de poche, Modèle:P..</ref>).
Kabîr est vénéré par les hindous comme un saint hindou (un sage pour les sikhs aussi), et ses disciples actuels (25 millions d'adeptes dans le monde<ref>http://hajursaheb.com/html/history__.html</ref>) suivent le Kabir panth, ou « voie de Kabîr » (Shirdi Sai Baba se déclara membre de cette tradition)<ref name=lmsdh>Les maîtres spirituels de l'hindouisme, Alexandre Astier, éditions Eyrolles pratique.</ref>.
La légende
La légende affirme que Kabîr est le fils abandonné et illégitime d'une veuve brâhmane, retrouvé flottant sur un lotus sur le Lahar Talgo, un étang près de Vârânasî (Bénarès), par un couple de tisserands musulmans, Nîru et son épouse Nîmâ qui l'élèvent en lui enseignant leur art et dans la foi musulmane. Il est supposé avoir vécu la majeure partie de sa vie à Bénarès avant de s'installer à Maghar dans le district de Gorakhpur où il termine sa vie. Kabîr n'a rien écrit de lui-même, étant probablement illettré<ref>Glossaire de Culture Indienne, Ed. InFolio, Modèle:ISBN</ref>. Mais ses paroles (Kabir-Vani) ont été recueillies et transmises par ses disciples avant d'être compilées plus tard. On lui attribue également un livre intitulé Anurag sagar dont on peut trouver une traduction anglaise faite sous la direction de Ajaib Singh<ref>The Anurag Sagar of Kabir Translated and Edited under the direction of Sant Ajaib Singh Ji, Modèle:ISBN Library of Congress Catalog Card Number: 82-050369</ref>.
Kabîr est censé avoir étudié sous la direction de Râmânanda, un maître vishnouite fameux de l'époque, fervent adepte de la bhakti mais qui refuse cependant d'instruire les musulmans et les hindous de basse caste. La légende raconte que désirant se faire admettre comme disciple, il se rend sur les ghâts (berges) où Râmânanda fait ses ablutions et le persuade de l'accepter parmi ses élèves. À la suite de cela, et comblé par l'intelligence de Kabîr, Râmânanda change d'avis et accepte tous les types de disciples.
Le râja de Vârânasî compte parmi ses élèves ce qui lui vaut de pouvoir enseigner sans craindre de persécution Modèle:Référence souhaitée. Kabîr passa la plus grande partie de sa vie près de son métier à tisser dans une petite boutique de la ville sainte consacrée à Shiva. Assez vite sa boutique devient un lieu de réunion où l'on chante les louanges divines, où l'on récite des poèmes, Kabîr donnant aussi, dans la langue du peuple, des conseils spirituels à un public formé avant tout de petits artisans<ref name=lmsdh/>. Il quittait régulièrement sa boutique de Vârânasî pendant de longs mois afin de mener une vie errante à la rencontre d'autres mystiques et sadhus<ref name=lmsdh/>. Néanmoins, il mènera aussi une vie de famille.
Vers la fin de sa vie, toujours pauvre tisserand mais victime de son succès populaire<ref name=lmsdh/>, il est accusé de se diviniser lui-même et est condamné par le Sultanat de Delhi (au dirigeant musulman)<ref name=lmsdh/> ; en contradiction avec l'aspiration hindouiste, il quitta Vârânasî (où il devait subir un supplice auquel il échappa de peu<ref name=furet/>), la ville où il faut mourir, pour s'installer dans la région de Gorakhpur où ceux qui y meurent sont supposés se réincarner en âne (comme Karni Mata se manifeste selon ses dévots, avec sa famille, en rats blancs au temple de Deshnok, ou Jambheshwar Bhagavan, maître des bishnoïs, censé s'être réincarné en antilope). Kabîr meurt, allongé sur le sol d'une pauvre hutte, et s'enveloppant lui-même de son linceul<ref name=lmsdh/>. À la nouvelle de son décès, hindous et musulmans réclamèrent son corps pour pratiquer les rites funéraires conformes à leur religion. La légende raconte que sous le linceul, le cadavre de Kabîr se métamorphosa en un amas de pétales de fleurs qui furent partagés entre les fidèles des différents cultes : une partie fut enterrée, dans un cimetière musulman, l'autre brûlée, dans un cimetière hindou.
La philosophie de Kabîr
Kabîr affirme que toute religion qui n'est pas amour n'est qu'hérésie, que le yoga et la pénitence, le jeûne et l'aumône sans méditation ni véritable Bhakti (« adoration ») sont vides de sens (Kabîr pratique lui-même l'ascétisme). Il refuse toute distinction de race, de caste, de religion et enseigne l'égalité absolue de tous les êtres humains. Il mêle dans sa pratique des éléments hindous et musulmans, déclarant l'unité de Dieu, utilisant le nom de l'Avatar du Dieu Vishnu, Rāma, qui pour lui signifie celui qui nous donne la joie ou les termes islamiques « Rahim » signifiant le suprêmement miséricordieux ou « Fakir ». Dans ses poèmes, il utilisait indifféremment des termes spécifiquement liés à l'hindouisme ou ceux jusque-là seulement liés à l'islam.
Cette tendance au syncrétisme semble chose courante à l'époque dans l'Inde du nord. Ses mystiques diverses (hindoues, musulmanes) ont d'ailleurs des valeurs communes : humilité, simplicité, serviabilité, charité, fraternité et rejet des inégalités sociales, recherche de la grâce divine et primauté absolue de l'expérience mystique sur les concepts théologiques<ref name=lmsdh/> ; ce sont des principes que l'on retrouve chez tous les sant de l'Inde, propagateurs de la Bhakti, poètes saints venant de toutes les castes ou confessions, comme Toukaram.
Pour Kabîr et sa voie, toutes les religions ou opinions des hommes sont ainsi comparées à différentes langues qui veulent formuler la même et unique délivrance qui relie à l'Absolu, mais avec des moyens intellectuels ou formels distincts ; de même que les langues parlées, pour désigner la même chose, utilisent un mot dont la sonorité et la prononciation sont le plus souvent complètement différentes d'une langue à une autre : par exemple, ce n'est pas parce que ratt signifie en sanskrit « la nuit » que le mot nisha en persan ne signifie pas non plus la même chose : « la nuit », bien que « la nuit » soit décrite formellement, en apparence, avec des éléments non identiques. Il en est de même de Dieu, nommé et décrit de différentes manières par les musulmans ou par les hindous des différentes branches du vishnouisme ou du shivaïsme, ou du shaktisme, etc. (le Mahatma Gandhi précisait qu'un des noms de Dieu dans l'hindouisme est satya, « vérité », et même pour un athée, la vérité est un « ultime », un « absolu » qui englobe tout, comparable à Dieu chez les théistes)<ref>Autobiographie, ou mes expériences de vérité, Mohandas Karamchand Gandhi ; éditions Gallimard.</ref>.
Ainsi, les intellections ou institutions humaines divisent parce que vues comme des fins en soi, et non comme des moyens pour atteindre la même unité divine (ou absolue), unité qui est amour pur, et qui est au-delà du langage et incompréhensible par l'esprit humain puisque le langage demeure parfaitement insuffisant en la matière (cela rappelle d'une certaine manière la théorie Anekantavada du jaïnisme). Cette perspective est en accord avec les fondements de l'hindouisme, les védas précisant qu'il y a « une seule vérité, plusieurs chemins ».
Le devoir d'Ahimsâ (« non-violence »)
Kabîr considérait que le prophète Mahomet, vu comme végétarien, est un Avatar, une incarnation de Dieu<ref name=skp/>, mais sans être Dieu lui-même : Kabîr rappelle que Mahomet aurait tué une vache avec le seul pouvoir de ses mots, mais lui a redonné vie ensuite, sans jamais avoir mangé sa viande, ce qui signifie pour Kabîr que celui qui n'a pas le pouvoir de redonner la vie à une créature, n'a pas non plus le droit de se permettre de prendre intentionnellement la vie d'une créature<ref name=skp/> (en fait, Kabîr considère que manger de la viande mène en enfer<ref name=skp/>) :
Pour Kabîr, Allah n'est jamais satisfait quand des humains tuent ou blessent volontairement Ses créatures<ref name=skp/>.
Kabîr condamne aussi les sacrifices d'animaux encore pratiqués par certains prêtres pour les besoins du culte (islamique ou hindou), suivant en cela l'enseignement jaïn, bouddhiste et des philosophes hindous comme Adi Shankara, Ramanuja, Madhva, Chaitanya, etc., qui les avait quasiment fait disparaître d'Inde (la consommation de viande en Inde étant liée aux rituels de certaines divinités de village).
Kabîr est effectivement fermement partisan de l'ahimsa (« non-violence »)<ref name=sks>Modèle:Lien web.</ref>. Sa doctrine s'étend même à la non destruction de fleurs<ref name=sks/>. Il disait dans ses poèmes et chants :
Parmi les commandements fixés pour les adeptes de Kabîr (ou membres du Kabir panth, qui, du vivant de Kabîr, étaient composés d'hindous et de musulmans), le végétarisme est l'un d'entre eux. Pour Kabîr, vie morale, sociale, ou politique, implique l'adhésion à l'ahimsâ, valeur universelle dont la pratique concerne toute l'humanité.
Dieu
Dieu, selon Kabîr, est un Dieu impersonnel, invisible, non-né, sans formes, incompréhensible, à la fois immanent et transcendant au monde visible (Dieu/Absolu sans attribut : Nirguna Brahman)<ref name=lmsdh/> ; sa poésie concernant sa vision du Divin a remué les foules et ses paroles sur Dieu et les choses de la vie restent très présentes au sein des masses de l'Inde du Nord<ref name=lmsdh/>:
Pour Kabîr, le moyen de purification pour obtenir l'expérience du divin (toute poétique d'ailleurs), ne passe ni par les rituels, ni l'aveuglement pour une révélation écrite, ni par les institutions humaines, ni en se soumettant à des savants qui rigidifient la conception du divin, et il attaque avec beaucoup d'audace le front des puissants et des savants en raillant leur prétentue sagesse<ref name=lmsdh/>. Il était semble-t-il habillé comme tout le monde et se moquait ouvertement des ordres d'ascètes avec leurs règles formelles strictes comme leurs codes vestimentaires (critique qui rappelle celle d'Erasme à l'égard des moines chrétiens dans son Éloge de la folie), et qui ne sont pour lui que déguisements et vanité<ref name=lmsdh/>.
Sa purification pour « voir » le Divin est ouvert à tous, hommes et femmes<ref name=lmsdh/> ; Dieu, pour Kabîr, est « visible » par une illumination, une expérience immédiate, où Dieu dépose la « Parole silencieuse » au « fond de l'âme » ; seul compte cette expérience mystique de rencontre avec l'Absolu, tous les autres gestes religieux et paroles sont considérés comme sans valeur et inutiles, et Kabîr demande avant tout à ses disciples de réciter et de se remémorer les Noms du divin où l'on reconnaît Dieu en toute créature, en tout<ref name=lmsdh/>, comme le démontre ce chant du poète vishnouite Toukaram, dans la lignée de la bhakti :
C'est donc principalement l'Amour (prema en hindi), qui permet cette fusion de l'âme avec l'Absolu, qu'aucune réflexion ou mot humains ne peuvent permettre<ref name=lmsdh/> (le Mahatma Gandhi parlait de notre langage humain comme « inarticulé » pour Dieu<ref>Autobiographie ou expériences de vérité, Mohandas Karamchand Gandhi, éditions Gallimard.</ref>, et le poète saint Toukaram parlait de nos yeux humains pour voir Dieu comme étant des « yeux de moustique »<ref>Toukaram, Psaumes du Pèlerin, préface de Guy Déleury, Folio.</ref>) :
Poésie
Kabîr a composé dans un style vigoureux et simple, rempli d'images métaphoriques inventives. Ses poésies résonnent d'éloge pour le vrai guru (« maître » en sanskrit, hindi, etc.) qui révèle le divin par l'expérience directe et dénoncent les façons plus habituelles de tenter l'union de Dieu par le chant, des austérités, etc., qui sont superficielles si dénuées de profondeur de cœur. Kabîr, étant illettré, a exprimé ses poésies oralement dans le hindi vernaculaire, et elles furent collectées par ses nombreux disciples. Ses vers commençaient souvent par une insulte exprimée avec force pour obtenir l'attention des passants. Très riche, voici quelques exemples de sa poésie, fortement rythmée et que ne rend évidemment pas la traduction en français :
Influence
Sikhisme
Certains pensent que les premiers gurus sikhs s'inspirent en partie de son enseignement, et ce entre autres à travers la transcendance des distinctions entre les courants mystiques de l'hindouisme et de l'islam. Une partie de la poésie orale de Kabîr fut d'ailleurs transcrite dans l'Adi Granth, le livre sacré du sikhisme<ref name="Vie, citations et portraits de Kabir">Modèle:Lien web.</ref>. Kabir fait partie des bhagats, les quinze ou dix-sept saint hindous ou soufis dont les œuvres ont été compilées dans ce livre au même titre par exemple que Ramanand, un grand gourou hindou du Moyen Âge ; les sikhs aujourd'hui se servent toujours quotidiennement de ces prières. Kabir compte 541 de ses hymnes dans le livre saint des sikhs ce qui en fait un des plus prolifiques compositeurs<ref>A Popular dictionnary of Sikhism de W. Owen Cole et Piara Singh Sambhi, édition Curzon, pages 90, Modèle:ISBN</ref>.
Shirdi Sai Baba
Figure particulièrement incontournable dans le Maharastra et à Mumbai tout particulièrement, Shirdi Sai Baba est un guru célèbre qui affirma être membre de la voie de Kabîr avant d'être considéré comme un nouveau maître par les hindous et les musulmans ; sa propre biographie coïncide d'ailleurs avec la légende de Kabîr (orphelin de parents brâhmanes, et recueilli et élevé dans une famille musulmane)<ref name=lmsdh/>.
Mahatma Gandhi
Le Mahatma Gandhi, dans son autobiographie ou expériences de vérité, révèle son inspiration par rapport à ce poète (Gandhi, à la question de savoir s'il était hindou, répondait : « Oui je le suis. Je suis aussi un chrétien, un musulman, un bouddhiste et un juif. »), et jamais ne démentira son admiration fervente pour celui que l'on nomme en Inde : Sant Kabir (« le Saint Kabîr »)<ref name="Vie, citations et portraits de Kabir"/>.
Notes et références
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