Magnificat
Le Magnificat (le t final se prononce puisqu'il s'agit d'un mot latin) est un texte de l'Évangile selon Luc (1:46-55), dans le Nouveau Testament, qui est devenu une prière récitée ou chantée par les chrétiens catholiques. Il s'agit de paroles prononcées par Marie, enceinte de Jésus, lors de sa visite à sa cousine Élisabeth, qui est enceinte de Jean le Baptiste. Ce cantique porte également le titre de Cantique de Marie ou de Cantique de la Vierge et se nomme Ode de la Théotokos dans la tradition byzantine.
Le texte contient de multiples références à l'Ancien Testament, notamment au Premier Livre de Samuel et aux Psaumes. Il se situe au centre de l'épisode de la Visitation, qui marque formellement le passage du cycle du Baptiste à celui de Jésus et, sur le fond, de l'Ancienne à la Nouvelle Alliance.
Depuis la Renaissance, le Magnificat a inspiré de nombreux compositeurs de musique classique, dont Claudio Monteverdi, Marc-Antoine Charpentier, Henry Purcell, Antonio Vivaldi, Jean-Sébastien Bach, Anton Bruckner et Arvo Pärt.
Le Magnificat dans le Nouveau Testament
Un texte unique
Le titre de cette prière, Magnificat, est le premier mot (l’incipit) de sa traduction latine dans la Vulgate. L'hymne de Marie commence par la phrase : Magnificat anima mea Dominum (« Mon âme loue le Seigneur »).
Ce passage ne figure dans aucun autre texte néotestamentaire : il appartient au Sondergut (« tradition propre ») de l'Évangile selon Luc<ref name="DM113">Daniel Marguerat, « L'évangile selon Luc », in Introduction au Nouveau Testament : Son histoire, son écriture, sa théologie, Labor et Fides, 2008 Modèle:ISBN, p. 113 sq.</ref>. Il se situe dans une péricope dite « évangile de l'enfance », elle aussi propre au récit lucanien<ref name=DM113/>,<ref>L'évangile de l'enfance en Matthieu est fondamentalement différent.</ref>.
Il s'agit du premier des quatre cantiques de cet évangile de l'enfance, les trois suivants étant ceux de Zacharie (1:68-79, le Benedictus), des anges (2:14, le Gloria) et de Syméon (2:29-35, le Nunc dimittis)<ref name="DMES255"/>. Le Magnificat est également le plus long discours de Marie dans le Nouveau Testament.
Contenu
Quelques jours après l'Annonciation (Luc 1:26-56), Marie, enceinte de Jésus, rend visite à sa cousine Élisabeth, qui est enceinte de Jean le Baptiste. Cet épisode est connu sous le nom de Visitation. Élisabeth la salue par un cantique inspiré des Psaumes et Marie lui répond par le Magnificat :
Thématique
Marie adresse sa louange à Dieu comme à celui qui se tourne vers elle et tous les faibles, dans un texte qui s'articule sur une dualité : celle qui oppose l'abaissement et l'élévation<ref name="DMES255"/>. Le Magnificat exprime la grandeur et la puissance de Dieu (v. 46 et 49), dont le bras est fort (v. 51), image utilisée dans le Livre de l'Exode lors de la sortie d'Égypte (Ex 6:6), et la force de ce bras bouleverse l'ordre terrestre : elle abat les orgueilleux, renverse les puissants, dépouille les riches, et, en sens inverse, les humbles comme Marie (v. 47) sont élevés<ref name="DMES255"/>.
Dietrich Bonhoeffer écrit à ce propos : Modèle:Cita
Le Magnificat est également cité comme l'un des sources de la Théologie de la libération, notamment pour le passage : Modèle:Citation Jean-François Baudoz rapporte même que Modèle:Cita<ref>Modèle:Article</ref>.
Échos de l'Ancien Testament
Les emprunts à l'Ancien Testament, très nombreux, forment une véritable Modèle:Cita de citations : outre le cantique d'Anne (1S 2:1-10) qui en est la toile de fond, le Magnificat se réfère Modèle:Cita<ref name="DMES255"/>,<ref>Pour un tableau détaillé des emprunts à l'AT, voir « Exegesis and Sermon Study of Luke 1:46–55, The Magnificat », by Curtis A. Jahn, p. 14-15.</ref>.
La réponse de Marie n'a rien d'exceptionnel dans l'univers biblique, compte tenu de l'importance des chants féminins transmis par les traditions de l'Ancien Testament<ref>Ulrike Mittmann-Richert, « Magnifikat und Benediktus. Die ältesten Zeugnisse der judenchristlichen Tradition von der Geburt des Messias », Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament (WUNT) 2, Reihe 90, Tübingen, 1996 Modèle:ISBN, p. 143.</ref>. Les paroles du Magnificat sont inspirées du cantique que chante Anne, la mère du prophète Samuel, dans le Premier Livre de Samuel (2:1-10) :
Jean le Baptiste et Jésus
Dans l'ensemble, le genre littéraire employé dans l'évangile de l'enfance relaté dans les deux premiers chapitres de Luc est pour François Blanchetière Modèle:Cita. En particulier, Modèle:Citation.
Daniel Marguerat voit l'épisode de la Visitation comme une Modèle:Cita entre le cycle du Baptiste et celui de Jésus<ref name="DMES255">Daniel Marguerat et Emmanuelle Steffek, « Évangile selon Luc », in Camille Focant et Daniel Marguerat (dir.), Le Nouveau Testament commenté, Bayard/Labor et Fides, 2012, 4e éd. Modèle:ISBN, p. 255-257.</ref>. Le diptyque que forment la salutation d'Élisabeth et le Magnificat de Marie marque en effet le début d'une série de symétries voulues par Luc<ref name=DM113/>. L'évangéliste s'attache en effet à établir un parallèle entre le Baptiste, symbole de la tradition ancestrale d'Israël, et Jésus, qui incarne la Nouvelle Alliance : l'exégète observe que l'évangile de l'enfance selon Luc contient Modèle:Cita<ref name=DM113/>. Ce principe narratif vise à enraciner Jésus dans la continuité d'Israël mais aussi à insister sur sa supériorité<ref name=DM113/>.
Texte grec et traductions
Texte grec original<ref group="Note">Le texte grec est divisé différemment de la Vulgate latine. La troisième section comprend aussi « et Sa miséricorde s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent. » Les versets suivants sont donc décalés.</ref> | Texte français (version traduite du grec) | Texte latin <ref group="Note">Le texte latin a changé après la publication de la nouvelle Vulgate en 1986. Par rapport à l'usage ancien, tel qu'on peut l'entendre dans les Magnificat classiques comme celui de Bach, le nouvel usage comporte quelques différences qui sont ici indiquées en gras : Magnificat anima mea Dominum, Quia fecit mihi magna qui potens est. |
Texte français de l'AELF<ref>Traduction francophone autorisée de l'AELF</ref> |
Μεγαλύνει ἡ ψυχή μου τὸν Κύριον, καὶ ἠγαλλίασε τὸ πνεῦμά μου ἐπὶ τῷ Θεῷ τῷ σωτῆρί μου. | Mon âme magnifie le Seigneur, Et mon esprit se réjouit en Dieu mon Sauveur. |
Magnificat anima mea Dominum, Et exsultavit spiritus meus in Deo salvatore meo. |
Mon âme exalte le Seigneur, Exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! |
Ὅτι ἐπέβλεψεν ἐπὶ τὴν ταπείνωσιν τῆς δούλης αὐτοῦ· ἰδού γάρ, ἀπὸ τοῦ νῦν μακαριοῦσί με πᾶσαι αἱ γενεαί. | Car il a jeté les yeux sur l'humilité de sa servante, Voici que désormais toutes les générations me célébreront. |
Quia respexit humilitatem ancillae suae. Ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes generationes. |
Il s'est penché sur son humble servante ; Désormais, tous les âges me diront bienheureuse. |
Ὅτι ἐποίησέ μοι μεγαλεῖα ὁ Δυνατός, καὶ ἅγιον τὸ ὄνομα αὐτοῦ, καί το ἔλεος αὐτοῦ εἰς γενεάν, καὶ γενεὰν τοῖς φοβουμένοις αὐτόν. | Car il fit pour moi de grandes choses, celui qui est puissant, Et saint est Son nom et Sa miséricorde s'étend d'âge en âge sur ceux qui Le craignent. |
Quia fecit mihi magna qui potens est. Et sanctum nomen eius.Et misericordia eius a progenie in progenies timentibus eum. |
Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom !Sa miséricorde s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent. |
Ἐποίησε Κράτος ἐν βραχίονι αὐτοῦ, διεσκόρπισεν ὑπερηφάνους διανοίᾳ καρδίας αὐτῶν. | Il a déployé la puissance de son bras. Il a dispersé les orgueilleux pour les pensées de leur cœur. | Fecit potentiam in brachio suo.Dispersit superbos mente cordis sui. | Déployant la force de son bras,Il disperse les superbes. |
Καθεῖλε δυνάστας ἀπὸ θρόνων, καὶ ὕψωσε ταπεινούς, πεινῶντας ἐνέπλησεν ἀγαθῶν, καὶ πλουτοῦντας ἐξαπέστειλε κενούς. | Il a renversé les puissants de leurs trônes et élevé les humbles.Il a comblé de bien les affamés et renvoyé les riches les mains vides. | Deposuit potentes de sede, et exaltavit humiles.Esurientes implevit bonis, et divites dimisit inanes. | Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. |
Ἀντελάβετο Ἰσραὴλ παιδὸς αὐτοῦ, μνησθῆναι ἐλέους, καθὼς ἐλάλησε πρὸς τοὺς Πατέρας ἡμῶν, τῷ Ἀβραάμ, καὶ τῷ σπέρματι αὐτοῦ ἕως αἰῶνος. | Il a pris soin d'Israël, son enfant en se souvenant de sa miséricorde,Comme il l'avait dit à nos Pères, à Abraham et à sa descendance jusque dans les siècles. | Suscepit Israël puerum suum, recordatus misericordiae suae.Sicut locutus est ad patres nostros, Abraham et semini eius in saecula. | Il relève Israël, son serviteur, il se souvient de son amour,De la promesse faite à nos pères, en faveur d'Abraham et de sa descendance, à jamais. |
Prière et cantique
Usages liturgiques
Le Magnificat appartient principalement au temps de l'Avent.
En ce qui concerne la liturgie des Heures, il fait partie de la prière du matin (les matines) dans la tradition byzantine. Dans la liturgie romaine (catholique, luthérienne et anglicane), en revanche, il est récité ou chanté à la fin des vêpres<ref>Robert Le Gall, Dictionnaire de liturgie [1]. « Magnificat »</ref>, où il est chanté solennellement dans le style grégorien. Comme les Psaumes et les autres cantiques, le Magnificat se termine généralement par une doxologie : le Gloria (« Gloire au Père »).
Martin Luther, auteur d'un commentaire du Magnificat (1520-1521), a suggéré de le chanter sur le 9e ton de psaume (tonus peregrinus).
Compositions musicales
Modèle:Détail De très nombreux compositeurs, à partir de la Renaissance, ont choisi le chœur a cappella (très accessoirement l'orgue, qui ne fait pas entendre les paroles) pour mettre le Magnificat en musique, parmi lesquels Roland de Lassus, Palestrina, Claudio Monteverdi (Vespro della Beata Vergine), Dietrich Buxtehude ou encore Marc-Antoine Charpentier, Henry Purcell, Antonio Vivaldi, Georg Philipp Telemann, Jean-Sébastien Bach (Magnificat BWV 243a en mi bémol majeur et BWV 243 en ré majeur) et Carl Philipp Emanuel Bach. On peut citer d'autres exemples : Anton Bruckner, Sergueï Rachmaninov, Arvo Pärt...
John Neumeier a créé un ballet créé dans la cour d'honneur du Palais des papes d'Avignon le 27 juillet 1987, avec le Magnificat de Bach BWV 243<ref>Notice Bnf [2]</ref>.
Voir aussi
Bibliographie
- François Bovon, L'Évangile selon saint Luc, Labor et Fides, quatre tomes, 1991-2009
- Joseph Fitzmyer, sj, The Gospel according to Luke I-IX, The Anchor Bible. 1981
- Peter Godzik, « Erfahrener Glaube. Luthers Magnifikatauslegung von 1521 », in Erwachsener Glaube. Lebenseinsichten, Steinmann, Rosengarten b. Hamburg, 2018 Modèle:ISBN, p. 15–25
- Guy Lafon, L'esprit de la lettre, lectures de l'Évangile selon saint Luc, Paris, Desclée de Brouwer, 2001 Modèle:ISBN
- Daniel Marguerat (dir.), Introduction au Nouveau Testament : Son histoire, son écriture, sa théologie, Labor et Fides, 2008 Modèle:ISBN
- Rudolf Schnackenburg, « Das Magnificat, seine Spiritualität und Theologie », in Geist und Leben 38, Würzburg, 1965, p. 346
Articles connexes
- Cantique
- Cantique de Zacharie
- Cantique de Syméon
- Magnificat (Bach)
- Magnificat (Bruckner)
- Magnificat (Pärt)
- Notre Père
- Racines juives du christianisme