Misonéisme
Le terme misonéisme (du grec miso- : « qui hait » et néo : « nouveau ») désigne l'attitude consistant à rejeter tout nouveau concept, toute nouvelle conception du monde.
Apparu en France en 1892, ce terme reste assez peu répandu, utilisé essentiellement par les anthropologues.
Il ne se fait véritablement connaître qu'au début des années 1960, grâce à un essai du psychiatre suisse Carl Gustav Jung.
Origines du mot
Le CNRTL recense le mot italien misoneismo en 1873 et le mot anglais misoneism en 1886. En français, la plus ancienne occurrence remonte à 1892<ref>Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales</ref>.
En 1884, le criminologue italien Cesare Lombroso introduit le terme en anthropologie<ref>Cesare Lombroso, "L’anthropologie et la criminalité", Revue Scientifique de la France et de l’étranger, 8 mars 1884</ref>.
En 1891, le philosophe et psychosociologue français Gabriel Tarde critique ses positions dans une lettre qu'il adresse à Giulio Fioretti : Modèle:Citation
En 1907, l'écrivain et journaliste français Octave Mirbeau reprend le terme dans un récit où il fait l'éloge de l'automobile et du progrès : Modèle:Citation
Définitions
Le Centre national de ressources textuelles et lexicales définit ainsi le terme : « Tendance d'esprit ou attitude systématique d'hostilité à l'innovation, au changement (dans les habitudes et les préjugés établis) »<ref>Définition du CNRTL</ref>.
Le Dictionnaire de la Psychiatrie des éditions du CILF (Conseil international de la langue française) le définit comme « hostilité à l'encontre de la nouveauté et du changement. Tendance plus fréquente à partir de l'âge moyen et chez certaines personnalités comme celles au niveau intellectuel peu élevé ou avec des éléments obsessionnels-compulsifs »<ref>psychologies.com</ref>.
L'antonyme de "misonéisme" est philonéisme.
Approches divergentes du terme
Le sens du mot ne fait pas consensus.
- en 1958, le philosophe français Gilbert Simondon considère que "misonéisme", "néophobie" et "technophobie" sont globalement synonymes, tous désignant un même refus de s'adapter et de se conformer aux exigences du "monde moderne"<ref>Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 1958, pp. 9-11</ref>.
- vers 1960, le psychiatre suisse Carl Gustav Jung, le "misonéisme" se définit par le rejet d'une doxa, d'une conception du monde ou d'une façon d'interpréter l'histoire qui, jusqu'alors, prévalaient ; en cela, il est plus ou moins synonyme de "conservatisme" et de "traditionalisme"<ref>Carl Gustav Jung, « Essai d'exploration de l'inconscient », in L'Homme et ses symboles, Robert Laffont, 1964. Réed. 2002</ref>.
Ces deux approches s'opposent car Simondon et Jung adoptent des conceptions du monde antagonistes :
- pour le premier, le misonéisme relève d'un anticonformisme de principe, car lui-même n'entend aucunement remettre en question les grandes orientations de la modernité, en particulier l'idée de "progrès technique" : Modèle:Citation.
- pour Jung, le misonéisme s'apparente au contraire à un conformisme étroit, borné aux visions traditionnelles du monde ; l'engouement pour "le progrès" n'en n'étant pas moins hautement critiquable : Modèle:Citation
Simondon assimile le misonéisme à un "refus" de l'individu vis-à-vis de l'évolution de son environnement ; Jung y voit quant à lui un rejet des humains de leur propre intériorité, la seule "évolution" qui vaille à ses yeux étant celle qui résulte d'un long travail de confrontation à l'inconscient, qu'il appelle "processus d'individuation". Simondon ne souscrit pas aux théories de l'inconscient : à ses yeux, l'individuation est un processus psychologique, certes, mais également Modèle:Incise un processus physiologique et un processus social<ref>Individuation, Ars Industrialis</ref>.
Approche jungienne
Dans son article Essai d'exploration de l'inconscient, rédigé vers 1960 mais publié après sa mort, l'année suivante<ref>« Essai d'exploration de l'inconscient », Espace francophone jungien </ref>, Jung estime qu'une grande majorité d'humains rejettent avec vigueur Modèle:Incise des théories dès lors qu'elles les dérangent dans leurs certitudes et leur confort<ref>Carl Gustav Jung, « Essai d'exploration de l'inconscient », op. cit. p. 31</ref>.
Selon lui, "rejeter en bloc un concept nouveau" et "refuser de dialoguer avec soi-même" sont les deux faces d'un même processus, qui prend la forme de critiques à l'encontre non seulement de toute façon de voir le monde mais aussi de s'appréhender soi-même. Ces critiques sont fallacieuses, irrationnelles, non argumentées rationnellement, car elles renvoient à des conflits intérieurs qui ne peuvent être dépassés, faute d'un travail minimal d'introspection :
Pour Jung, le misonéisme puise sa source dans le "refoulement" et la "résistance". Comme Freud, il assimile le refoulement à un mécanisme individuel et ponctuel portant sur un contenu précis de l'inconscient. Et comme lui, il entend par "résistance" la non prise en compte de l'inconscient dans sa globalité (en 1925, Freud a du reste introduit la notion de « résistance à la psychanalyse » <ref>Sigmund Freud, « Résistances à la psychanalyse », in La Revue juive, Modèle:1re année, Modèle:N°, 15 janvier 1925, Modèle:P.. Texte.</ref>). Mais il voit dans le misonéisme un phénomène plus global encore, d'ordre anthropologique : l'idée que l'être humain serait une créature supérieure, maître de lui-même comme du monde entier. La résistance aux théories de l'inconscient a donc pour équivalent, au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, le rejet des théories de Charles Darwin sur les origines physiologiques de l'humanité.
Dans L'homme et ses symboles, le misonéisme est d'ailleurs illustré par une caricature diffusée dans le magazine Punch en 1861, qui montre un singe tenant un panneau où est inscrite la phrase « Am I a man and a brother ? » (« Suis-je un homme et un frère ? ») : elle rappelle la façon dont l'opinion publique a vivement rejeté les théories darwiniennes aux États-Unis <ref>Ibid. p.33</ref>. A coté, une seconde image illustre la néophobie : il s'agit du dessin Dripping Electricity de l'humoriste américain James Thurber, dont la tante avait peur que l'électricité se répande comme de l'eau Modèle:Incise dans toute la maison.
Notes et références
Voir aussi
Bibliographie
- C.G. Jung (dir.), L'Homme et ses symboles, Robert Laffont, 1964. Réed. 2002
Articles connexes
Liens externes
- Misonéisme ?, « Les idées claires de Danièle Sallenave », France Culture, Modèle:Date-
- Yves Guyot et le misonéisme administratif (1913), Jérôme Coppet, Institut Coppet, Modèle:Date-