L'Utopie

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Modèle:Titre mis en forme Modèle:Voir homonymes Modèle:Infobox Livre

L'Utopie, écrit en latin et publié en 1516, est un ouvrage de l'humaniste anglais Thomas More. Ce livre, séminal pour le genre littéraire utopique et la pensée utopiste, est à l'origine du mot « utopie », désormais entré dans le langage courant en référence à l'île d'UtopieModèle:Sfn,<ref group="n">Ce sont les auteurs qui s'inspirèrent du livre de Thomas More au fil des siècles, les commentateurs et les critiques, ainsi que les traductions successives en langues vernaculaires, sans oublier les lecteurs, qui abrégèrent le titre sous ce nom Utopie ou L'Utopie, et dans la langue de Shakespeare : Utopia. Aujourd'hui, au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, même les éditions de référence continuent à abréger le titre du livre de Thomas More, du moins sur la couverture. Dans l'article, suivant l'usage courant dans les études consacrées à cet ouvrage, le livre de Thomas More est nommé « Utopie » ou « l'Utopie ». Par contre, il n'est pas touché au titre du livre tel qu'il apparaît dans les citations.</ref>.

La page de titre de la première édition latine de 1516 annonce un Modèle:Lang<ref group="n">Traduction : Un vrai livre d'or, un petit ouvrage, non moins salutaire qu'agréable, relatif à la meilleure forme de communauté politique et à la nouvelle Île d'Utopie (André Prévost, L'Utopie de Thomas More, 1978, p. 218).</ref>. Entre décembre 1516 et novembre 1518, quatre éditions de lUtopie furent composées par Érasme et Thomas MoreModèle:Sfn. Ces quatre éditions sont toutes différentes : le texte de More n'est pas introduit de la même manière, l'île d'Utopie n'est pas abordée ni quittée dans les mêmes conditions. Le titre arrêté pour l'édition définitive de Modèle:Date- est Modèle:Lang (La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle Île d'Utopie)<ref group="n">Aujourd'hui, la quatrième et dernière édition de l'Utopie arrêtée par Thomas More et Érasme de leur vivant (novembre 1518), et dont l'impression fut suivie par Beatus Rhenanus auprès de l'imprimeur Johann Froben à Bâle, est considérée comme la version finale et définitive du livre de Thomas More intitulé Modèle:Lang, dit lUtopie. Pour lire cette quatrième édition en langue française contemporaine (Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle), il faut consulter l'ouvrage d'André Prévost : L'Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978. Cette édition étant épuisée et difficilement accessible en bibliothèque, cet article utilise autant que possible d'autres traductions : celles disponibles en format de poche et celles proposées en reproductions numérisées par différentes institutions (bibliothèques et fondations).</ref>.

Adressé aux humanistes puis diffusé dans le cercle élargi des lettrés, à sa parution ce libelle est lu comme un appel à réformer la politique contemporaine et une invitation à observer sincèrement les préceptes chrétiens et aussi, pour les plus érudits d'entre eux, comme un serio ludere.

Au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle et au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, le livre est lu la plupart du temps comme un récit utopique, parfois comme un traité politique, rarement comme un essai philosophique.

Aux Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècle, Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècle et Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècle, d'aucuns distinguent l'œuvre pour le communisme pratiqué en Utopie et consacrent son auteur comme un digne prédécesseur du communisme socialiste ; pour d'autres cet ouvrage, dont l'auteur fut béatifié en 1886 et canonisé en 1935 puis fait saint patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques en 2000, est réputé promouvoir la communauté de biens et renouer avec la parole du Christ.

Depuis le milieu du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle et au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, ce texte est présumé contenir des passages qui préfigurent les régimes totalitaires du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle ; aussi, élaborée à un moment charnière des réflexions sur l'esthétique littéraire au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, cette création est vue comme une tentative originale de penser la narration et de concevoir la fiction ; enfin, rédigé en marge d'une mission diplomatique durant une période de loisir, cet écrit est volontiers considéré comme une fantaisie d'humaniste.

Comme l'a noté un traducteur anglais : « Utopia is one of those mercurial, jocoserious writings that turn a new profile to every advancing generation, and respond in a different way to every set of questions addressed to themModèle:Sfn. »

Fichier:Hans Holbein, the Younger - Sir Thomas More - Google Art Project.jpg
Thomas More par Hans Holbein le Jeune, 1527, The Frick Collection, New YorkModèle:Sfn.

Modèle:Sommaire

Contexte

Modèle:Article détailléLe contexte de rédaction de l'Utopie est celui des découvertes de contrées inconnues ; celui où, grâce au développement de l'imprimerieModèle:Sfn, les récits de voyage rencontrent un grand succès ; celui, enfin, de la République des Lettres et des échanges épistolaires soutenus entre humanistes.

Fichier:Thomas More Utopia 1516 Theodrico Martini (Bibliothèque Mazarine).jpg
Marque d'imprimeur de Thierry Martens, à la dernière page de la première édition du livre Utopie publié en 1516. (« Source : Bibliothèque Mazarine »)

L'Utopie, qui fut écrit dans un latin de lettrésModèle:Sfn et pour des lettrésModèle:Sfn,Modèle:Sfn, paraît en décembre 1516 chez l’éditeur Thierry Martens de Louvain en Brabant (Pays-Bas des Habsbourg). Thomas More participe alors pleinement au renouveau de la pensée qui caractérise la Renaissance, ainsi qu'à l'humanisme dont il est le plus illustre représentant anglais. Au début de l'année 1516, les accords préparés lors de la mission en Flandre de 1515 furent signésModèle:Sfn. « À cette époque, More est le premier avocat de Londres, tenu en grande estime par le roi aussi bien que le peuple de la citéModèle:Sfn. » Dorénavant, il est établi dans la bourgeoisie londonienneModèle:Sfn,Modèle:Sfn.

Un succès éditorial

L'ouvrage, auquel contribuèrent quelques humanistes de renom, connut un « succès fulgurant »Modèle:Sfn au sein de la République des lettres. La diffusion de l'Utopie dans les milieux lettrés ou influents de l'époque fut dirigée de main de maître par Thomas More, Érasme et Pierre Gilles : « Thomas Lupset, Cuthbert Tunstall, Lord Mountjoy, William Warham, Richard Pace, en Angleterre ; Jean le Sauvage, Guillaume Budé, Pierre le Barbier, Guy Morillon, Jean Ruelle, Guillaume Cop, en France ; Jean Desmarais, Jérôme de Busleyden, Cornelis de Schrijver, Gerhard Geldenhauer, en Flandres ; Martin Luther, Willibald Pirckheimer, Beatus Rhenanus, en Allemagne ; Antonio Bonvisi, Aloïs Mariano, en Italie, sont quelques-uns des érudits dont les noms paraissent, à propos de l'Utopie, dans les correspondances du tempsModèle:Sfn. » Les humanistes qui se consacraient à la redécouverte de l’Antiquité et de ses savoirs, les clercs qui s’interrogeaient sur le présent et l’avenir de l’Église romaine, les magistrats au service du droit et des États, ainsi que les bourgeois instruits des villes marchandes, assurèrent la réputation de l'UtopieModèle:Sfn.

Rapidement, de nouvelles éditions furent publiées : en 1517 chez Gilles de Gourmont à Paris et en 1518 chez Johann Froben à Bâle. D'autres éditeurs entreprirent de publier l'Utopie, par exemple : les Giunta à Florence et l'imprimerie des Manuce à Venise en 1519. Thierry Martens, l’éditeur brabançon qui en avait eu la primeur, tira huit rééditions de la première édition entre 1516 et 1520Modèle:Sfn. Quant au célèbre Johann Froben de Bâle, il imprima deux éditions différentes de l'Utopie (mars et novembre), dont la version définitive. Enfin, l'Utopie fut rapidement traduit en langues vernaculaires : l'allemand à Basel en 1524<ref name=":0">Modèle:Ouvrage</ref>, l'italien à Venise en 1548<ref>Modèle:Ouvrage</ref>, le français à Paris en 1550Modèle:Sfn, l'anglais à Londres en 1551<ref>Modèle:Ouvrage</ref> et le hollandais à Anvers en 1553<ref>Modèle:Ouvrage</ref>.

Quatre éditions

Thomas More, qui fut un lecteur de Lucien de Samosate dont il apprécia les Histoires vraies, conçut le projet d'une édition de l'Utopie qui singerait les publications de récits de voyageModèle:Sfn. Assisté de Pierre Gilles (qui fut éditeur et correcteur chez Thierry Martens) et d'Érasme (qui édita et publia des livres chez Martens et chez Froben), More composa quatre éditions de l'Utopie chez trois éditeurs différents. Il demanda à ses amis humanistes, Érasme, Pierre Gilles, Jean Desmarais, Guillaume Budé, Jérôme de Busleyden, Gerhard Geldenhauer et Cornelis De SchrijverModèle:Sfn, de rédiger des lettres, des poèmes et de faire graver des cartes pour authentifier son texte, dont une carte gravée par Ambrosius Holbein<ref name=":6">Modèle:Lien web</ref> ; deux frontispices furent gravés par Hans Holbein le Jeune ; enfin, plus d'une centaine de manchettes<ref group="n">C'est-à-dire : des notes placées non pas en bas de page, mais dans la marge du texte à la hauteur de l'appel de note (voir plus bas les illustrations qui accompagnent le résumé du livre « De optimo reipublicae statu… »). Dans les études consacrées à l'Utopie, ces notes sont aussi nommées « gloses », « notes marginales » ou « marginalia ».</ref> attribuéesModèle:Sfn à Pierre Gilles et/ou à Érasme parsèment le texte de la « Lettre-Préface » et les Livres I & II de l'Utopie<ref group="n">Certaines de ces manchettes sont capitales pour saisir le sens du texte rédigé par Thomas More. Malheureusement, aucune édition contemporaine de l'Utopie en format de poche ne reprend ces manchettes.</ref> (ces documents forment un ensemble appelé paratextesModèle:Sfn et parerga<ref group="n">Dans les études consacrées à l'ouvrage de Thomas More, l'usage des termes « paratexte » et « parerga » est parfois imprécis. Venu des études anglophones sur lUtopie, le terme « parerga » (qui peut se traduire par « compléments ») s'applique aux divers documents qui accompagnent le texte Utopie : les lettres, les poèmes, les cartes et l'alphabet. Le terme « paratexte », d'abord utilisé au sein des études littéraires hexagonales puis diffusé internationalement, s'applique aux divers matériaux textuels qui accompagnent le texte Utopie : les deux pages de titres et les deux frontispices, les envois des lettres, les titres des deux cartes, les titres des Livres I & II, les titres des chapitres du Livre II, les manchettes, les lettrines, les deux pages derrata de l'édition de 1517 et les marques d'imprimeurs. Outils critiques propres aux études littéraires, ces mots « paratexte » et « parerga » sont aussi employés pour étudier les compositions des éditions postérieures à 1518, qu'il s'agisse des éditions latines ou des traductions en langues vernaculaires. En effet, les éditeurs et traducteurs successifs reprirent tout ou partie des compositions originales de lUtopie, surtout ils ajoutèrent leurs propres paratextes et parerga. (Voir à ce propos le livre édité par Terence Cave, Thomas More's Utopia in early modern Europe. Paratexts and contexts, 2012)</ref>).

Fichier:Quinten Massijs (I) - Portrait of Pieter Gillis - WGA14290.jpg
Portrait de Pierre Gilles par Quentin Metsys peint en 1517<ref>Pour Lisa Jardine, le livre que désigne Pierre Gilles de sa main droite pourrait être l'Utopie. (Lisa Jardine, Erasmus, Man of Letters : The Construction of Charisma in Print, Princeton, Princeton University Press, 1993, p. 40-41)</ref>. Seconde partie du diptyque commandé à l'artiste par Érasme et Pierre Gilles, puis offert à Thomas More lorsque ce dernier fut en mission à Calais en 1517. Aujourd'hui, ce portrait se trouve dans une collection particulièreModèle:Sfn ; le musée d'Anvers en possède une copieModèle:Sfn.
Fichier:Quentin Massys- Erasmus of Rotterdam.JPG
Portrait d'Érasme par Quentin Metsys peint en 1517. Première partie du diptyque commandé à l'artiste par Érasme et Pierre Gilles, puis offert à Thomas More lorsque ce dernier fut en mission à Calais en 1517. Aujourd'hui, ce portrait est à Rome à la Galleria NazionaleModèle:Sfn, plus précisément au palais BarberiniModèle:Sfn.

Les quatre éditions, celle chez Thierry Martens<ref>Modèle:Ouvrage</ref>, celle chez Gilles de Gourmont<ref>Modèle:Ouvrage</ref> et celles chez Johann Froben<ref>Modèle:Ouvrage</ref>,<ref name=":5">Modèle:Ouvrage</ref>, proposent des paratextes et des parerga différents et les ordonnent différemmentModèle:Sfn. Ce n'est qu'à la troisième édition chez Froben que l'ordonnancement et le nombre de ces paratextes et parerga furent arrêtés, et c'est la quatrième édition de l'Utopie, toujours chez Froben, qui scella définitivement la composition de l'œuvre. (Voir en fin d'article « Les quatre éditions latines de lUtopie » pour le détail de chaque édition et des liens vers des reproductions numérisées)

Au gré des éditions postérieures et des traductions successives une partie seulement, la plupart du temps aucun, de ces paratextes et parerga furent reprisModèle:Sfn ; parfois pire, par exemple : dans la première traduction de l'Utopie en allemand en 1524<ref name=":0" />, Claudius Cantiuncula ne traduisit que le Livre II afin de proposer l'organisation de l'île d'Utopie « comme solution concrète aux problèmes de la ville de BâleModèle:Sfn. » Le livre et le texte présentés ainsi, la lecture et la compréhension de l'Utopie furent complètement modifiéesModèle:Sfn,<ref group="n">Voir les liens vers les premières traductions en langues vernaculaires proposés juste au-dessus, « Un succès éditorial » (1524 en allemand, 1548 en italien, 1550 en français, 1551 en anglais et 1553 en hollandais).</ref>. Par ailleurs, ces éditions<ref>Modèle:Ouvrage</ref> et ces traductions postérieures<ref>Modèle:Ouvrage</ref>,<ref>Modèle:Ouvrage</ref> ne s'appuyèrent pas toutes sur la même édition de l'Utopie en latin, pas sur la même œuvre ; ceci pourrait, en partie, expliquer les différentes réceptions de cette œuvre et les diverses interprétations qui en furent faites.

Aujourd'hui, excepté les éditions de référence (voir la bibliographie), la plupart des éditions contemporaines de l'Utopie ne reprennent ni ne suivent la quatrième édition définitive de l'Utopie, ou alors elles proposent les paratextes et les parerga séparémentModèle:Sfn.

Présentation du livre

Un titre non moins politique que plaisant

Le livre de More intitulé La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie est généralement connu par son titre abrégé Utopie. À l'origine, ce livre devait porter un titre latin : « Nusquama », dérivé du latin « nusquam » qui signifie « nulle part »Modèle:Sfn,Modèle:Sfn.

Fichier:Thomas More Utopia 1516 HEXASTICHON ANEMOLII POETE (Bibliothèque Mazarine).jpg
« Sizain d'Anémolius, poète lauréat » (vraisemblablement écrit par Thomas More<ref group="n">Voici la traduction du poème (André Prévost, L'Utopie…, op. cit., 1978, p. 330) : <poem> « Utopie, pour mon isolement par les anciens nommée, Émule à présent de la platonicienne cité, Sur elle, peut-être l'emportant (car, ce qu'avec des lettres Elle dessina, moi seule je l'ai montré Avec des hommes, des ressources et d'excellentes lois) Eutopie, à bon droit, c'est le nom qu'on me doit. » </poem> À la note n°1 « Anémolius » (p.330), André Prévost écrit : « L'auteur du sizain est selon toute vraisemblance Thomas More lui-même. Le ton et la forme sont ceux de l'épigramme, genre où More excellait. »</ref>), édition de 1516 chez Thierry Martens. (« Source : Bibliothèque Mazarine »)

Ce mot « Utopie » est un nom propre : celui de l'île dont le régime politique est décrit par le personnage « Raphaël Hythlodée »<ref group="n">D'autres mots inventés par Thomas More apparaissent au fil de l'ouvrage et livrent au lecteur de nouveaux indices. Par exemple : « Amaurote », ville d'Utopie où siège le Sénat, est une « cité-mirage » ; « Anydre », fleuve qui coule à Amaurote, est un fleuve « sans eau ». (Voir, dans l'annexe la section « Les noms en Utopie »)</ref>. Ce nom propre est construit à partir d'un mot de la langue grecque : « topos » (τοπος), un mot qui signifie « lieu » ou « région ». More, latiniste et hellénisteModèle:Sfn, associa à ce terme « topos » un préfixe négatif : « ou » (οὐ), qui peut se traduire « non » ou « ne… …pas » . Ceci donne le mot « ou-topos » (οὐ-τοπος) qui, « latinisé par le suffixe de nom de lieu ia »Modèle:Sfn, devient « Utopia »Modèle:Sfn,Modèle:Sfn ; et qui peut se traduire : « en aucun lieu », « lieu qui n'est nulle part » ou, à l'image de deux villes françaises nommées Modèle:Page h', « Nonlieu »Modèle:Sfn,<ref group="n">Pour bien saisir la singularité du nom propre de l'île, cette comparaison avec les deux villes françaises s'impose : ces deux villes qui sont nommées « Nonville » existent réellement, bien que leur nom ("non-ville") fasse penser le contraire. De la même manière, lorsqu'on met de côté le fait que le texte de Thomas More est une fabulation, cette île d'Utopie bien qu'elle soit dénommée « Nonlieu » existe bel et bien : comme « Nonville » ce nom « Utopie » ne signifie pas que l'île n'existe pas mais qu'elle se nomme "non-lieu". Louis Marin est le commentateur qui, à de nombreuses reprises, insista avec vigueur pour que ce nom soit d'abord reconnu pour ce qu'il est : un toponyme. (Quitte à ce que, par la suite, il soit proposé une interprétation plus large de ce toponyme.)</ref>.

Mais il y a plus. Dans le « Sizain d'Anémolius, poète lauréat, neveu d'Hythlodée par sa sœur », poème intitulé « L'île d'Utopie » (voir ci-contre à droite), le lecteur apprend que l'île d'Utopie devrait être nommée « Eutopie » (« Eutopia »), de εὐ-τοπος le « bon-lieu » ou « lieu-du-bien » (εὐ signifiant « bon » et/ou « bien » en grec). Ce n'est pas tout. Dans sa lettre adressée à Thomas Lupset, Guillaume Budé introduit une nouvelle variation au titre du livre : « Quant à l'île d'Utopie qui, à ce que j'entends, s'appelle même Udépotie, par une heureuse et singulière fortune, s'il faut en croire ce qu'on nous en rapporte, elle s'est imprégnée des usages chrétiens et de l'authentique et vraie sagesse dans la vie publique et dans la vie privée »Modèle:Sfn. Dans une note complémentaire, André Prévost précise : « "Udépotie", du mot grec, oὐδέποτε, jamais. Joignant le burlesque à la contrepèterie, Budé fait de l'Île-de-nulle-part, Oὐτοπος, l'Île-de-jamaisModèle:Sfn. »

Il faut ajouter que la question de la « meilleure forme de communauté », ou du « meilleur régime », est une question politique fortement présente dans la tradition philosophique convoquée par More : de Platon<ref group="n">Trois dialogues de Platon traitent directement et sous différentes approches la question du « meilleur régime » ou la « meilleure forme de gouvernement » : La République, Le Politique et Les Lois.</ref> à Aristote<ref group="n">Chez Aristote les questions politiques sont abordées dans la « science pratique », l'ouvrage Politique traite directement la question du « meilleur régime » ou de la « meilleure forme de gouvernement » en décrivant les différentes sortes de politeia, tandis que la Constitution des Athéniens décrit le régime politique dans l'Athènes antique.</ref> en passant par Cicéron<ref group="n">C'est dans ses écrits politiques, De Republica et De legibus, que Cicéron abordent les questions liées au « meilleur régime » et à la « meilleure forme de gouvernement ».</ref>. D'ailleurs, More rend hommage au début de La République de Platon<ref>Modèle:Ouvrage</ref> lorsque, au Livre I de l'Utopie, le personnage de Raphaël Hythlodée entre en scène : « Je me trouvais un jour dans l'église Notre-Dame, monument admirable et toujours plein de fidèles ; j'avais assisté à la messe, et, l'office terminé, je m'apprêtais à rentrer à mon logis, quand je vis Pierre Gilles en conversation avec un étranger, […] »Modèle:Sfn.

Composition

Fichier:Thomas More Utopia 1517 Marque d'imprimeur de Gilles de Gourmont (John Carter Brown).png
Marque d'imprimeur de Gilles de Gourmont, à la dernière page de la deuxième édition du livre Utopie publié en 1517. (« Courtesy of the John Carter Brown Library »)

Dès l'édition princeps de 1516, le texte de Thomas More est accompagné de paratextes et de parerga (page de titre et marque d'imprimeur, lettres et poèmes, une carte et un alphabet). Tous ces éléments font partie de l'Utopie. Comme l'indique Michèle Madonna-Desbazeille, les lettres sont issues d'« une correspondance entre [des] humanistes de l'époque, pour la plupart amis d'Érasme et de More »Modèle:Sfn,<ref group="n">Pierre Gilles envoya sa lettre à Jérôme de Busleyden avec un exemplaire de l'Utopie ; Guillaume Budé et Jérôme De Busleyden écrivirent leur lettres après avoir lu l'Utopie.</ref>, ces « humanistes prennent l'Utopie au sérieux et la considèrent comme un modèle à suivre pour réformer l'Angleterre de leur époqueModèle:Sfn. »

Concernant le texte de More, le manuscrit de l'Utopie est perduModèle:Sfn ou comme le dit André Prévost : « Le manuscrit de l'Utopie de More n'a pas été découvertModèle:Sfn. » Néanmoins, l'établissement de la correspondance de More et de celle d'Érasme au cours du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècleModèle:Sfn, ainsi que de nouveaux établissements du texte latin accompagnés de nouvelles traductions, ont permis de découvrir les étapes de la rédaction du texte de l'Utopie. Succinctement : le Livre II de l'Utopie devait être le second volume d'un diptyque formé avec l'Éloge de la folie d'ÉrasmeModèle:Sfn, il fut rédigé en 1515 lorsque More était en mission diplomatique aux Pays-Bas. Le Livre I fut rédigé par More à son retour en 1516 et la « Lettre » fut écrite en dernierModèle:Sfn.

La composition du livre est la suivante : au Livre I, après une brève présentation du contexte (la mission diplomatique de More et la rencontre avec Raphaël Hythlodée), un dialogue auquel participent More, Pierre Gilles et Raphaël Hythlodée se tient dans le jardin de la résidence de More à Anvers « assis sur un banc de gazon »Modèle:Sfn, un second dialogue à la table du cardinal Morton (rapporté par Raphaël Hythlodée) est enchâssé dans le premier, puis le dialogue dans le jardin reprend jusqu'au déjeuner ; au Livre II, après le repas du midi, Raphaël Hythlodée décrit l'île d'Utopie à More et Pierre Gilles, puis le dialogue dans le jardin reprend très brièvement avant le repas du soir et, pour finir, More conclut sa relation « sur la République d'Utopie »Modèle:Sfn. Selon Michèle Madonna-Desbazeille, More emploie une « technique dramatique » : « Unité de lieu, le jardin ; unité de temps, une journée ; unité d'action, la défense des institutions utopiennesModèle:Sfn. »

Une collection d'illustres personnages

L'Utopie est un texte où il est fait référence à des personnes ayant existé (Platon, Sénèque, Cicéron ou le cardinal John Morton), à des personnages de récits (Palinure, Ulysse, Harpies ou Lestrygons), à des personnes alors en vie (Henri VIII, Georges de Temsecke, Cuthbert Tunstall ou John Clement), à des personnages inventés (le jurisconsulte, le bouffon, les Utopiens et les Utopiennes), enfin, à des entités intrinsèquement autres (Mithra, le Christ ou Dieu).

Parmi tous les personnages présents dans l'Utopie, les principaux sont : Pierre Gilles, Thomas More, Raphaël Hythlodée, Utopus, les Utopiens et les Utopiennes. Néanmoins, trois personnages se distinguent des autres par leur importance : Pierre Gilles, Thomas More et Raphaël Hythlodée. « Tous les trois appartiennent à leur époque et à un milieu bourgeois cossu, cultivé et curieux des choses de l'espritModèle:Sfn. » Ils viennent de trois pays différents, le premier des Pays-Bas, le deuxième d'Angleterre, le troisième du Portugal ; aussi, leur noms et prénoms ne sont pas anodins :

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Thomas Morvs Petro Ægidio S. D. (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 17, première page de la « Lettre-Préface » de More adressée à Pierre Gilles, édition de novembre 1518 chez Johann Froben. (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »)
  • « Petrus Ægidio ». Pierre Gilles est celui qui édita, sous la supervision d'Érasme, l'édition princeps de l'Utopie ; il est celui qui est de mèche avec More : c'est Pierre Gilles qui composa l'alphabet et le quatrain. Le dialogue ayant lieu à Anvers, qui mieux qu'un secrétaire de la ville d'Anvers pourrait attester de la véridicité des propos relatés par un marin portugais puis rapportés par un citoyen londonien. Son prénom, « Petrus », renvoie à l'apôtre Pierre, premier évêque de Rome<ref>Modèle:Lien web</ref>. Son nom de famille dans le texte latin, « Ægidio » parfois orthographié « Ægidius », évoque les mots grecs « ægèᾱdès » et « ægῑdès » qui signifient « Égéate, d'Égæ » et « fils ou descendant d'Égée »<ref>Modèle:Lien web</ref> ; aussi, suivant la traduction de Samuel SorbièreModèle:Sfn, ce nom pourrait renvoyer à l'Égide, un symbole de protection. Pour un lecteur latiniste, « -dio » et « -dius » peuvent évoquer « Dĭo » le tyran de Syracuse<ref>Modèle:Lien web</ref> et « divin, semblable aux dieux »<ref>Modèle:Lien web</ref> ;
  • « Thomas Morus ». Comme le rappellent nombre d'éditeurs et commentateurs de l'UtopieModèle:Sfn,Modèle:Sfn,Modèle:Sfn,Modèle:Sfn,Modèle:Sfn,Modèle:Sfn, il ne faut pas confondre l'homme Thomas More avec : l'auteur Thomas More, le narrateur Thomas More, le rapporteur Thomas More, l'interlocuteur Thomas More, bref, avec le personnage de « Thomas More » dans le texte de l'Utopie. Thomas More utilise son nom pour inscrire son propos dans la réalité, pour donner à son propos une véridicité et de l'autorité ; les traits d'ironie et les propos paradoxaux du texte, ainsi que les propos parfois contradictoires rapportés par le personnage « Thomas More » tout au long de l'Utopie sont là, entre autres, pour rappeler cet artifice. Son prénom, « Thomas », renvoie à l'apôtre Thomas, l'incrédule, qui est aussi surnommé « le sceptique ». Son nom de famille « More », dans le texte, est latinisé en « Morus » ; en latin, « morus » signifie « fou, extravagant »<ref>Modèle:Lien web</ref> ;
  • « Raphaël Hythlodaeus ». Le marin philosophe est celui qui rapporte l'existence de l'île d'Utopie (d'Utopus, des Utopiens et des Utopiennes) en Europe ; c'est son discours, et le sien seulement, qui donne vie à Utopie. Il est appelé Raphaël Hythlodée. Son prénom renvoie à l'archange Raphaël, et précisément à cet épisode du récit biblique : dans le livre de Tobit, Raphaël est envoyé par Dieu pour guérir la cécité de Tobit, le père de Tobie, et l’aider à rencontrer Sarah afin d’assurer la descendance d’Abraham ; il accompagne également le jeune Tobie dans son voyage. Aussi, ce prénom « Raphaël » renvoie aux expéditions maritimes et aux découvertes de nouvelles contrées : lorsque Vasco de Gama ouvrit la Route des Indes en 1498, l'un des quatre navires s'appelait San Rafaël. Le nom de famille « Hythlodée » s'écrit en latin « Hythlodaeus » ; ce nom est formé de deux racines grecques, « uthlos », « balivernes, bavardages » et « daios », « expert, habile ». Ainsi, ce marin philosophe est un « expert en bavardages » ou un « conteur de sornettesModèle:Sfn », ou encore un « archange diseur de non-sensModèle:Sfn » sur le témoignage de qui va se fonder le récit.

À partir de la « Lettre-Préface », pour rappeler qu'ils sont des personnages et évoquer ces significations, Thomas More est nommé Morus, Pierre Gilles est nommé Ægidio ; au Livre I, le marin philosophe est nommé Raphaël pour souligner l'atmosphère amicale de la discussion, il est nommé Hythlodée au Livre II afin de rappeler qu'il est un « expert en bavardages ».

La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie (Édition de novembre 1518)

Frontispice

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Frontispice (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 1, frontispice de l'Utopie de Thomas More réalisé par Hans Holbein le Jeune, quatrième édition ne varietur de novembre 1518 chez Johann Froben. (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »)

À l'ouverture de l'Utopie imprimée en Modèle:Date- chez Johann Froben se trouve un frontispice qui déjà en Modèle:Date-<ref>Modèle:Ouvrage</ref> « apparaissait plus loin, […], pour encadrer le début de la lettre de More à Pierre GillesModèle:Sfn. » Celui-ci correspond plus au propos du livre : « La page de titre est encadrée par la composition au trait signée par Hans Holbein [le Jeune] dont le nom est gravé dans deux cartouches en haut du dessin, indique André Prévost. Le décor architectural, inspiré par les colonnes torses de la Renaissance italienne, est animé par les mouvements ailés de neuf amours. Débarrassés des flèches de Vénus, leurs ébats évoquent l'atmosphère de jeu, de bienveillance et de grâce dans laquelle baigne l'UtopieModèle:Sfn. » Aussi, précise André Prévost : « Dans le bas-relief figurant le combat de cavaliers et de tritons, apparaît la marque d'imprimeur de Froben, le caducéeModèle:Sfn. » Dans cette édition de Modèle:Date-, ce frontispice est aussi réutilisé pour la « Lettre-Préface »Modèle:Sfn.

Le titre du livre, modifié pour l'édition de Modèle:Date-, est ici repris : « DE OPTIMO REIP. STATU, deque noua insula Vtopia. Libellus uere aureus, nec minus salutaris quam festiuus, clarissimi disertissimique uiri THOMAE MORI inclytae ciuitatis Londinensis ciuis & Vicecomitis. » Titre qui peut être traduit ainsi : La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie. Un vrai livre d'or non moins salutaire qu'agréable, par le très éloquent Thomas More citoyen et shérif de l'illustre cité de LondresModèle:Sfn,<ref group="n">L'édition de Yale donne ce titre : The Best State of a Commonwealth and the New Island of Utopia. A Truly Golden Handbook, No Less Beneficial than Entertaining, by the Distinguished and Eloquent Author THOMAS MORE Citizen and Sheriff of the Famous City of London.</ref>.

André Prévost apporte une précision : « Le "sheriff" est l'officier d'administration qui représente la Couronne dans chaque comté d'Angleterre et qui, en particulier, rend la justice au nom du souverain. Le titre de vicecomes donné à l'auteur de l'Utopie ne se justifie que par une courtoisie littéraire : rehausser les titres d'un écrivain pour en imposer au publicModèle:Sfn. » Voici pourquoi : « Les archives de la Cité, au Modèle:Date-, notent en effet l'élection de Thomas More non pas comme shérif, mais à l'une des deux charges de sous-shérif de la Cité de Londres. Il gardera cette office jusqu'au Modèle:Date-, date où il remettra sa démission, considérant ce poste, incompatible avec les obligations de Conseiller du RoiModèle:Sfn,<ref group="n">André Prévost ajoute : « Grâce à cette fonction de sous-shérif More entre de plain-pied dans l'existence des petites gens : leur dur labeur, leur salaire insuffisant, les injustices dont ils sont victimes de la part des puissants et des initiés à la chicane des lois. C'est dans ce contact avec la misère des humbles que l'Utopie a puisé les accents véhéments de ses appels en faveur des laborieux et des opprimés. » (L'Utopie…, op. cit., p.310, note n°1 « La meilleure… »)</ref>. »

La suite du titre annonce des épigrammes de l'auteur et d'Érasme (Epigrammata), ceux-ci sont joints à certaines éditions de Bâle (mars et novembre) et disposés après l'Utopie. Johann Froben signe la préface des épigrammes d'Érasme ; Beatus Rhenanus adresse une lettre à Willibald Pirckheimer qui fait office de préface aux épigrammes de Thomas More, dans cette lettre Beatus Rhenanus évoque brièvement l'Utopie (Voir plus bas « Annexes »). Selon André Prévost, Thomas More rédigea ces épigrammes entre 1497 et 1516 : « Les sujets choisis révèlent les idées qui retenaient alors l'attention de More : vingt-trois épigrammes prennent pour cible les rois et les gouvernements, treize évoquent la mort, onze visent les astrologues, cinq, enfin, critiquent les gens d'ÉgliseModèle:Sfn. »

Lettre d'Érasme à Johann Froben

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Page 2, lettre d'Érasme adressée à Johann Froben, édition de novembre 1518 chez Johann Froben. (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »)

La nouvelle édition de l'Utopie de mars 1518 s'ouvre par une courte lettre d'Érasme dont le destinataire n'est autre que l'imprimeur même du livre, Johann Froben. Cette lettre est reprise à la même place dans l'édition de novembre 1518, avec une nouvelle lettrine et une composition typographique légèrement modifiée.

C'est par ces mots que débute la lettre : « Tout ce qui a paru de mon illustre More a été de mon goût que je ne puis l'exprimerModèle:Sfn. » Érasme fait ici l'éloge de More, mais il n'est pas le seul : « tous les doctes pensent de même », « ils élèvent même beaucoup plus haut le génie de cet homme incomparable »Modèle:Sfn. Ces jugements objectifs, plus louangeurs que celui d'Érasme, permettent d'apporter du crédit à la personne de More. En effet, lorsqu'il achète ou lit un livre, le lecteur ne connaît pas forcément son auteur. Aussi, Érasme inscrit More dans une lignée : « Que n'aurait point pu produire cet esprit admirablement heureux, si l'Italie lui avait donné l'éducation ? Que n'aurait-on point dû espérer de lui s'il s'était consacré tout à fait au culte des Muses ; s'il avait mûri jusqu'à la saison des fruits et jusqu'à son automneModèle:Sfn ? »

Johann Froben fut l'un des principaux imprimeurs et éditeurs de son temps, Érasme joue de cette célébrité pour asseoir l'autorité des propos rapportés par More. « Vous êtes libraire d'une réputation fameuse ; et c'est assez qu'un livre soit connu comme frobénien pour être recherché avec empressement de tous les connaisseursModèle:Sfn. » Lui seul sera capable de donner à ce texte l'écrin qu'il mérite : « voyez si, par votre presse, vous voulez en faire présent au monde et, […] rendre durables [ces Progymnasmata et l'Utopie] dans les siècles futursModèle:Sfn,<ref group="n">Les Progymnasmata sont les épigrammes rédigées par Thomas More qui furent publiées à la suite de l'Utopie dans certaines éditions de Bâle (ou « Epigrammata » sur le frontispice). (Voir en fin d'article, dans la section « Les quatre éditions latines de l’Utopie », les liens proposés vers des reproductions numérisées des éditions de mars et novembre 1518 contenant ces « Epigrammata »)</ref>. »

Lettre de Guillaume Budé à Thomas Lupset

Cette lettre de Guillaume Budé fut jointe à la deuxième édition du texte de l'Utopie en 1517, dont Thomas Lupset supervisa l'édition chez Gilles de Gourmont. Placée en ouverture du livre en 1517, elle est disposée après la lettre d'Érasme dans l'édition de mars 1518. Elle garde cette place dans l'édition de novembre 1518, la lettrine et la composition typographique sont identiques.

Au début de sa lettre Budé remercie Lupset de lui avoir procuré une traduction de Galien réalisée par Thomas Linacre, ainsi que l'Utopie. Il dit même avoir été touché par ce livre : « Tandis que j'étais aux champs et que j'avais ce livre en main, tout en allant et venant, prenant garde à tout, donnant des ordres aux ouvriers […], j'ai été tellement affecté à la lecture de ce livre, quand j'eus connu et pesé les mœurs et institutions des Utopiens, que j'ai quasi interrompu et même délaissé le soin de mes affaires domestiques, voyant que tout l'art et toute l'industrie économiques, qui ne tendent qu'à augmenter le revenu, sont chose vaineModèle:Sfn. »

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Page 3, première page de la lettre de Guillaume Budé adressée à Thomas Lupset, édition de novembre 1518 chez Johann Froben. (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »)

Budé poursuit sa réflexion en critiquant les « sciences juridiques et politiques »Modèle:Sfn qui, sous couvert d'instituer une « communauté établie par le droit civique »Modèle:Sfn ne font qu'exciter les passions des hommes ; quant aux « droits que l'on appelle civil et d'Église »Modèle:Sfn, sous couvert d'équité ces droits sont manipulés par les uns, détournés par les autresModèle:Sfn. Pour Budé, seul « Jésus Christ [lui] semble avoir abrogé, du moins entre les siens, tous ces volumes d'arguties qui composent nos droits civil et canonique, et que nous voyons aujourd'hui être tenus pour le refuge de la prudence et du gouvernementModèle:Sfn. » Est-il le seul ?

Budé ajoute aussitôt : « Pourtant l'île d'Utopie, que j'entends aussi être appelée Udépotie, a par un merveilleux hasard, si nous croyons ce qu'on nous en rapporte, adopté dans la vie tant publique que privée les coutumes vraiment chrétienne et même la vraie sapience, et les a gardées jusqu'à aujourd'hui sans y rien gâter »Modèle:Sfn. Quelles sont ces coutumes ? D'abord, « l'égalité des biens ou des maux »Modèle:Sfn entre ses citoyens ; ensuite, « un constant et persévérant amour de la paix et de la tranquillité »Modèle:Sfn ; enfin, « le mépris de l'or et de l'argentModèle:Sfn. » Ces coutumes, « ces trois piliers des lois utopiennes »Modèle:Sfn, Budé aimerait les voir « fichés dans les sens de tous les hommes »Modèle:Sfn afin de voir disparaître l'orgueil et la convoitise, mais aussi le « grand amas de volumes de droit »Modèle:Sfn. Alors, invoquant Dieu, Budé espère le retour du « siècle doré de Saturne »Modèle:Sfn,<ref group="n">C'est-à-dire : le mythe de l'Âge d'Or.</ref>.

Après ces développements et ces louanges, Budé s'arrête sur un point délicat, abordé par Thomas More et Pierre Gilles dans leurs lettres (parues avec l'édition de 1516), un point qui le chagrine : « je trouve, en y prenant garde de près, qu'Utopie est située hors des bornes du monde connu, et qu'elle est certes une île fortunée, proche par aventure des Champs Élysées — car Hythlodée, comme témoigne More, n'a point encore donné la situation de cette îleModèle:Sfn. » Et il poursuit : « Il a bien dit qu'elle était divisée en villes, lesquelles cependant tendent toutes à ne former qu'une seule cité, qui a pour nom Hagnopolis<ref group="n">« Hagnopolis » : de ἁγνός, pur et πόλις, cité. Pour André Prévost : « Hagnopolis, c'est une Cité-de-l'Innocence. » (L'Utopie…, op. cit., p. 48)</ref>, se repose sur ses observances et ses biens, est heureuse par innocence, et mène une vie pour ainsi dire céleste »Modèle:Sfn. Où trouver l'île d'Utopie ?

C'est une question légitime, puisque : « Nous devons […] la connaissance de cette île à Thomas More »Modèle:Sfn. Certes, cette île fut découverte par Hythlodée « auquel [More] attribue tout ce qu'il en a appris »Modèle:Sfn, pour autant : « À supposer que cet Hythlodée soit l'architecte qui a bâti la cité d'Utopie et composé les mœurs et les instituions »Modèle:Sfn, il n'en reste pas moins que « More a grandement enrichi de son style et de son éloquence l'île et ses saintes ordonnances, […], et y a ajouté toutes les choses par lesquelles un ouvrage magnifique est décoré, embelli et autorisé »Modèle:Sfn. Quand bien même Hythlodée « déciderait un jour d'écrire lui-même ses aventures »Modèle:Sfn, à qui attribuer la paternité de cette Utopie-ci ? Guillaume Budé confesse : « c'est le témoignage de Pierre Gilles d'Anvers, que j'aime, bien que je ne l'aie jamais vu »Modèle:Sfn et le fait « qu'il est l'ami d'Érasme »Modèle:Sfn, qui font qu'il accorde sa foi à MoreModèle:Sfn.

Budé termine sa lettre par des formules de politesse et des recommandations, dont une pour More : « homme que je crois et dis depuis longtemps déjà être enrôlé au nombre des plus savants disciples de Minerve, et que cette Utopie, île du Nouveau Monde, me fait souverainement chérir et honorerModèle:Sfn. »

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Page 11, « Sizain d'Anémolius, poète lauréat » (vraisemblablement écrit par Thomas More), édition de novembre 1518 chez Johann Froben. (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »)

Sizain d'Anemolius

Le sizain d'Anemolius, « poète lauréat et fils de la sœur d'Hythlodée », accompagne le texte de l'Utopie depuis l'édition princeps. Placé après la carte et après l'alphabet et le quatrain utopiens dans l'édition de 1516, le sizain est placé au verso de la page de titre dans l'édition de 1517 ; il est placé après la lettre de Guillaume Budé dans l'édition de mars 1518, précisément au recto de la carte de l'île d'Utopie. Le sizain conserve cette place dans l'édition de novembre 1518, il s'intitule toujours « L'île d'Utopie ». Modèle:VersAprès le titre du livre qui annonce La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie ; après les nouvelles significations (« siècle doré de Saturne », « Hagnopolis »…) et le néologisme (« Udépotie ») imaginés par Guillaume Budé ; Anemolius forge un néologisme qui attribue une nouvelle signification au nom propre « Utopie » : « Eutopie ». Manifestement, le nom de cette île où prospère une république inconnue renferme des trésors de significations.

Carte de l'île d'Utopie

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Page 12, carte de l'île d'Utopie (de la main d'Ambrosius Holbein), édition de novembre 1518 chez Johann Froben (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). Cette carte apparut pour la première fois dans l'édition de mars 1518, chez le même éditeur.

La carte de l'île d'Utopie présente dans l'édition de Bâle en novembre 1518 est l'œuvre d'Ambrosius Holbein, le frère d'Hans Holbein le Jeune. Cette carte remplace celle présente dans l'édition de 1516 et qui disparut de l'édition de 1517 chez Gilles de Gourmont, elle figure déjà dans l'édition de mars 1518 avec un titre qui est ici supprimé (Voir plus bas « Annexes »). Cette nouvelle carte reprend certaines composantes de la première : représentation des détails géographiques donnés au début du Livre II (isolement de l'île, difficultés d'accès, circularité du fleuve, situation de la capitale, répartition équidistante des villes, leurs défenses et leurs fortifications, etc.), reprise du symbolisme et des embarcations<ref name=":6" />.

Les cartouches soutenus par la guirlande portent ces mentions : « Ville d'Amaurote » pour celui du haut (« Amaurotum urbs »), « Source du fleuve Anydre » pour celui de gauche (« Fons Anydri »), « Embouchure du fleuve Anydre » pour celui de droite (« Ostium anydri »)<ref group="n">Sur la carte de 1518, le cartouche « Ostium anydri » censé indiquer l'embouchure du fleuve est placé à sa source ; tandis que le cartouche « Fons Anydri », censé indiquer la source du fleuve, est placé à son embouchure. Est-ce uneanomalie voulue ?</ref>. Il faut noter que, tel un motif répétitif, la guirlande apparaît plusieurs fois dans cette édition ne varietur de 1518 : dès l'ouverture sur le frontispice (un amour sonne le clairon assis dessus, un autre amour semble terminer de l'accrocher), sur la carte-ci-contre, au début de la « Lettre-Préface » qui reprend le frontispice (voir plus haut la reproduction de la « Page 17 »), enfin, à l'ouverture du Livre I dans la gravure représentant la discussion au jardin (voir plus bas la reproduction de la « Page 25 »).

En haut de la carte, deux villes semblent établies de part et d'autre du détroit. Peut-être s'agit-il des peuples voisins d'Utopie dont il est fait mention au Livre II ? Peut-être que ces villes et ces terres apparaissant au lointain symbolisent les rivages du vieux continent européen vus depuis le nouveau monde ?

Sur le rivage, nommément désigné dans le coin inférieur gauche, Raphaël « Hythlodaeus » pointe apparemment<ref group="n">Cette interprétation du geste du personnage représentant Raphaël Hythlodée est la plus répandue parmi les critiques et les commentateurs. Néanmoins, il ne faut pas oublier que cette carte forme avec l'alphabet et le quatrain utopiens une double-page (voir plus bas « Interprétations » pour une reproduction de cette double-page). Cette composition en forme de double-page est réfléchie et voulue par les éditeurs (l'édition de 1516 comportait déjà cette présentation). Partant, il n'est pas exclu de penser que R. Hythlodée pointe en réalité la page de droite. De la sorte, prenant en compte la composition éditoriale des pages 12 et 13, une analyse picturale des lignes de la composition de cette carte à la page 12 pourrait proposer l'hypothèse suivante : lorsqu'on tire une droite depuis le bras de Raphaël Hythlodée, celle-ci se prolonge dans le gréement du navire (grâce à la grand-voile carguée), puis elle termine sa course à la page 13 sur le nom « Utopiensium Alphabetum ». </ref> l'île d'Utopie à un personnage qui pourrait être Thomas More (ce personnage pourrait être aussi un contemporain d'Hythlodée. Peut-être est-ce un lecteur ?). Le personnage dans le coin inférieur droit est un soldat, qui ne semble pas perdre une miette de la conversation. Sur la caravelle au mouillage devant l'île d'Utopie, un homme d'équipage regarde vers le continent, l'autre bateau à voile latine semble voguer vers l'île. Sur le pavillon de la caravelle, il est inscrit « N.O.R. »Modèle:Sfn.

Alphabet utopien et quatrain en langue vernaculaire

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Vtopiensivm Alphabetvm (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 13, « Utopiensium Alphabetum » et « Tetrastichon vernacula utopiensium lingua », édition de novembre 1518 chez Johann Froben. (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). L'alphabet utopien et le quatrain en langue vernaculaire des Utopiens furent vraisemblablement réalisés par Pierre Gilles.

Dans l'édition princeps de l'Utopie, l'alphabet et le quatrain furent placés au tout début du livre, tous deux disparurent de l'édition de 1517 chez Gilles de Gourmont. Dans les éditions de Bâle, ils sont placés en regard de la carte de l'île d'Utopie ; aussi, l'alphabet des Utopiens est retouché : les lettres sont plus fines, mieux tracées et leur présentation est plus soignée. La page reprend la composition de 1516 : en haut de page, l'alphabet latin et sa correspondance en alphabet utopien ; en pleine page, le quatrain en langue vernaculaire transcrit en alphabet latin et légendé de son original en alphabet utopien ; en pied de page, le quatrain est traduit en latin.

Cet alphabet utopien « est une somme de formes géométriques simples, modulées par des segments de droites ou un pointModèle:Sfn. » Comme le remarque Sébastien Hayez, « l'alphabet n'est pas bicaméral, c'est-à-dire qu'il ne comporte pas de différenciation entre les majuscules et les minusculesModèle:Sfn. »

Quant à la langue utopienne, des études menées sur sa morphologie indiquent une parenté avec le persan ; au Livre II, Hythlodée dit de la langue des Utopiens : « Leur langue en effet, très proche au surplus du persan, conserve quelques traces du grec dans les noms des villes et des magistraturesModèle:Sfn. » Ce quatrain en langue utopienne n'a pas de titre. <poem> « Vtopos ha Boccas peula chama polta chamaan Bargol he maglomi bacaan foma gymnofophaon Agrama gymnofophon labarem bacha bodamilomin Voluala barchin heman la lauoluola dramme pagloni<ref>Modèle:Lien web</ref>. » </poem> Voici la traduction de ce quatrain en langue vernaculaire par Louis Marin : <poem> « Utopus, mon prince, de la non-île que j'étais, a fait de moi une île. Moi seule, parmi toutes les provinces du monde, non-philosophiquement J'ai représenté pour les mortels la cité philosophique. Libéralement, je partage ce que je possède ; sans difficulté, j'accepte [des autres] le meilleurModèle:Sfn. » </poem>

Lettre de Pierre Gilles à Jérôme de Busleyden

Cette lettre de Pierre Gilles accompagne l'Utopie depuis l'édition princeps. Toujours placée avant le texte, cette lettre forme comme un couple avec celle de Jérôme de Busleyden adressée à Thomas More<ref group="n">Ce dernier rencontra Jérôme de Busleyden lorsqu'il se rendit à Anvers en 1515.</ref>. Cette lettre, écrite après la rédaction de l'Utopie, contient beaucoup d'éléments. Pierre Gilles prend soin de distiller des indications au lecteur : lignée philosophique, véracité, approche politique et ancrage dans le monde contemporain. Par exemple, au début de sa lettre, Pierre Gilles accuse réception de l'Utopie et poursuit la filiation platonicienne : « Cette bienheureuse île [d'Utopie] est encore étrangère à la plupart des mortels ; mais elle mérite que tout le monde la recherche avec beaucoup plus d'empressement que la République de PlatonModèle:Sfn. »

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Page 14, première page de la lettre de Pierre Gilles adressée à Jérôme de Busleyden, placée avant la Lettre-Préface de Thomas More dans l'édition de novembre 1518 chez Johann Froben.(« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »)

Secrétaire de la ville d'Anvers au moment de la parution de l'Utopie, Pierre Gilles témoigne de l'existence de Raphaël Hythlodée tout au long de sa lettre. Il le présente comme un homme exceptionnel : « cet homme-là a une vaste connaissance — et connaissance expérimentale, qui plus est — des pays, des hommes et des choses »Modèle:Sfn, « Vespuce était un aveugle en comparaison d'HythlodéeModèle:Sfn. » Où rencontrer cet homme : « les uns disent qu'il est péri en chemin ; les autres prétendent qu'il est encore retourné dans son pays, mais qu'en partie dégoûté des mœurs de ses compatriotes, et en partie aussi ayant toujours l'Utopie bien avant dans le cœur, il était reparti pour y faire un nouveau voyageModèle:Sfn. »

Autre question de véracité : Pierre Gilles répond à une demande formulée par Thomas More dans sa « Lettre-Préface » (placée après cette lettre) quant à la position géographique de l'île d'Utopie. Contrairement au souvenir de Thomas More, Raphaël a bien mentionné sa position, « mais malheureusement, dit Pierre Gilles, quelqu'un de l'équipage, qui, à ce que je crois, s'était enrhumé sur l'eau, toussa d'une si grande force, que cela me fit perdre quelques-unes des précieuses paroles d'HythlodéeModèle:Sfn. » Et Thomas More, pourquoi n'a-t-il rien entendu ? Un de ses valets lui « disait je ne sais quoi à l'oreille », écrit Pierre GillesModèle:Sfn. Mais pourquoi s'attarder sur ce détail, semble suggérer Pierre Gilles : « Si le nom de cette île fortunée ne se trouve point chez les cosmographes »Modèle:Sfn, cela ne prouve pas son inexistence ; il rapporte alors une réflexion de Raphaël : « N'a-t-il donc pas pu arriver, [dit Hythlodée], que par le cours du temps, ce pays-là ait perdu son premier nomModèle:Sfn ? » Pierre Gilles ajoute : « Il n'est pas non plus impossible que les Anciens aient ignoré cette île-làModèle:Sfn. » Ou encore : « Combien découvre-t-on tous les jours de nouvelles terres que les géographes de l'Antiquité n'ont pas connuModèle:Sfn ? »

Dès le début de sa lettre, Pierre Gilles joue avec cette question de la véracité des propos rapportés par Thomas More : « En vérité, toutes les fois que je la lis [l'Utopie], il me semble voir encore plus que je n'en entendais lorsque More et moi nous écoutions de toutes nos oreilles narrer et raisonner Raphaël Hythlodée »Modèle:Sfn ; plus troublant encore dit Pierre Gilles : « je crois que Raphaël lui-même n'a pas tant vu de choses dans cette île-là pendant les cinq ans qu'il y a passé, qu'on en peut voir dans la description de MoreModèle:Sfn. » Au moment de conclure sa lettre il tranche : « Mais après tout, à quoi bon se fonder ici sur des raisonnements pour prouver l'existence de l'Utopie, puisque c'est More lui-même qui en est l'auteurModèle:Sfn,<ref group="n">Ici, le mot « auteur » doit être compris dans sa polysémie latine (« auctor ») : autorité, garant, auteur. Thomas More se porte garant des propos de Raphaël Hythlodée : il est l'auteur du texte Utopie et, comme l'indique le titre, il est une autorité reconnue « shérif de la Cité de Londres ».</ref> ? »

À la fin de sa lettre, Pierre Gilles informe Jérôme de Busleyden qu'il participa au livre en reproduisant le quatrain et l'alphabet utopiens que Raphaël Hythlodée lui montra à Anvers, ce après le départ de Thomas More ; aussi, il signale qu'il inscrivit quelques notes dans les marges. Enfin, il sollicite Jérôme de Busleyden : « Ce sera vous, Monsieur, qui contribuerez le plus à mettre ce petit livre en réputationModèle:Sfn. » En effet, « personne n'est plus propre que vous à soutenir par de sages conseils une République, vous qui, depuis plusieurs années, vous y consacrez, digne de tous les éloges qu'on doit donner à une prudence éclairée et à une vraie probitéModèle:Sfn. »

Lettre de Thomas More à Pierre Gilles

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Page 20, édition de novembre 1518 chez Johann Froben (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). La première manchette du livre apparaît ici dans la « Lettre-Préface », il est écrit : « Noter, en théologie, la distinction entre commettre un mensonge et dire un mensongeModèle:Sfn. » Aux trois dernières lignes de la page, il est écrit en latin : « si quid sit in ambiguo, potius mendacium dicam quam mentiar, quod malim bonus esse quam prudens. »

Thomas Morus écrit à son ami Petrus Ægidio<ref group="n">Cette lettre accompagne depuis le début le texte de lUtopie. Pour l'impression à Louvain, Thomas More fit parvenir à Pierre Gilles cette « Lettre-Préface », le Livre I & le Livre II.</ref> pour l'informer qu'il a terminé la rédaction du livre relatant leur rencontre et leur discussion avec Raphaël Hythlodée : « je vous envoie ce petit livre sur la république d'Utopie »Modèle:Sfn. Ce livre, que le lecteur tient entre ses mains, doit être soumis à relecture. Morus s'excuse du retard de son envoi, alors même qu'il n'avait qu'à retranscrire ce que Hythlodée lui dit un an plus tôt<ref group="n">Thomas More écrivit effectivement une partie du livre en 1515 lors d'un séjour aux Pays-Bas . C'est lors de ce séjour pour une réelle et authentique mission diplomatique qu'il place la rencontre (inventée) avec Hythlodée, ainsi que le dialogue et la description que le lecteur va lire dans les pages qui suivent cette « Lettre-Préface ». Le vrai et le faux commence déjà à s'entremêler.</ref> : « Vous saviez en effet que, pour rédiger, j'étais dispensé de tout effort d'invention et de composition, n'ayant qu'à répéter ce qu'en votre compagnie j'avais entendu exposer par RaphaëlModèle:Sfn,<ref group="n">Morus suggère que la rédaction ne lui a demandé aucun effort, or la découverte des étapes de la rédaction du texte montre le contraire. Pierre Gilles, Érasme et quelques lecteurs de lUtopie étaient au courant de la longue gestation de ce livre.</ref>. » Puis Morus, s'adressant toujours à Ægidio, précise : « Je n'avais pas davantage à soigner la forme, car ce discours ne pouvait avoir été travaillé, ayant été improvisé au dépourvu par un homme qui, au surplus, vous le savez également, connaît le latin moins bien que le grecModèle:Sfn,<ref group="n">Ces mots valent avertissement au lecteur : cette langue dans laquelle est écrit le livre, le latin, est truffé de néologismes grecs latinisés, à commencer par l'un des mots du titre de l'œuvre « Utopia ». Le lecteur doit donc prêter attention à l'usage qu'il est fait du latin et du grec dans ce livre, ainsi qu'aux jeux terminologiques distillés au fil du texte et au style même de l'écriture (les nombreuses formules orales directement rapportées par écrit).</ref>. »

Morus attribue ce retard à ses « affaires »Modèle:Sfn et à ses charges, ceci lui permet de montrer ou de rappeler au lecteur qu'il est engagé dans les affaires du monde, un citoyen au service de la chose public et un homme politiqueModèle:Sfn,<ref group="n">Dans sa note complémentaire n°2, Simone Goyard-Fabre indique : « Il faut rappeler l'importance de la vie professionnelle de More, avocat et sous-shérif, mais aussi professeur à l'École de droit de Lincoln's Inn et conseiller juridique en matière économique à Londres. » (Édition « GF », p. 239)</ref>. « Quand arriver à écrireModèle:Sfn ? » S'exclame-t-il. Toutefois ajoute-t-il : « j'ai terminé L'Utopie et je vous l'envoie, cher Pierre »Modèle:Sfn. Morus presse son ami Ægidio de demander à Raphaël Hythlodée de vérifier l'exactitude de la retranscription de leur discussion. En effet, John Clement<ref group="n">Ce dernier, qui fut réellement le secrétaire de Thomas More lors de sa mission aux Pays-bas en 1515, rencontra lui aussi Raphaël Hythlodée. John Clement assista à une partie du dialogue rapporté au Livre I comme domestique ; mais non à la description au Livre II : « […] nous revînmes nous asseoir au même endroit, […], en disant aux domestiques que nous ne voulions pas être interrompus. » (Dernier paragraphe du Livre I, Édition « GF », p. 133) Voir aussi la note « John Clement » de Marie Delcourt. (Édition « GF », Modèle:P.)</ref> émet des doutes sur la largeur du fleuve Anydre qui traverse la capitale de l'île d'Utopie Amaurote. Morus de préciser : « S'il subsiste un doute, je préférerai une erreur à un mensonge, tenant moins à être exact qu'à être loyalModèle:Sfn. » (Ci-contre en latin, page 20<ref group="n">C'est un point capital de cette « Lettre-Préface » : dans l'édition latine, la première manchette du livre apparaît ici. Il est écrit dans la marge : « Noter, en théologie, la distinction entre commettre un mensonge et dire un mensonge. » Dans sa note n°5 associée à cette manchette (L'Utopie…, op. cit., p. 349), André Prévost précise : « "Faire un mensonge", mentiri, relève de l'ordre moral. "Dire un mensonge", mendacium dicere, appartient au style, "l'art de dire". » Ainsi, Thomas More/Morus ne ment-il pas : « mendacium dicam », il se livre à un exercice de style, un exercice d'écriture. Cette « Lettre-Préface » avertit le lecteur au seuil d'entrer en Utopie : certes le vrai et le faux sont entremêlés dans les pages de ce livre, More/Morus reconnaît et annonce ce fait ; mais cet entremêlement n'a pas pour but de tromper le lecteur, ce qui serait un péché et un fait ou un acte moralement condamnable ; plutôt : More/Morus signale au lecteur que cet entremêlement du vrai et du faux relève de l'art du discours. Depuis le début de sa lettre, More/Morus distille des indices sur cet « art de dire » : un mot du titre « Utopia » est le premier indice ; le prénom du marin-philosophe, « Raphaël », est le deuxième ; l'insistance sur l'importance de la langue grecque est le troisième ; le nom du marin-philosophe, « Hythlodée », suivi de deux noms utopiens « Amaurote » et « Anydre », sont le quatrième indice ; « mendacium dicam » est un cinquième indice. (Aussi, en lisant cette « Lettre-Préface », le lecteur doit penser aux indices déjà distillés dans les parerga et les paratextes qui précèdent : le frontispice ; les lettres d'Érasme, de Guillaume Budé et Pierre Gilles ; le « Sizain », la carte et l'alphabet.)</ref>)

Autre embarras, autre malice, Morus ne se souvient plus où est située l'île d'UtopieModèle:Sfn. C'est un problème : « un homme pieux, de chez nous, un théologien de profession, brûle, et il n'est pas le seul, d'un vif désir d'aller en UtopieModèle:Sfn. » Morus relance alors Ægidio : « C'est pourquoi je vous requiers, mon cher Pierre, de presser Hythlodée, oralement si vous le pouvez aisément, sinon par lettres, afin d'obtenir de lui qu'il ne laisse subsister dans mon œuvre rien qui soit inexact, qu'il n'y laisse manquer rien qui soit véritable. Je me demande s'il ne faudrait pas mieux lui faire lire l'ouvrageModèle:Sfn. »

Morus doute même de vouloir publier ce livre, que le lecteur tient pourtant entre ses mains. « À vrai dire, je ne suis pas encore tout à fait décidé à entreprendre cette publicationModèle:Sfn. » Pourquoi ? « Les hommes ont des goûts si différents ; leur humeur est parfois si fâcheuse, leur caractère si difficile, leurs jugements si faux qu'il est plus sage de s'en accommoder pour en rire que de se ronger de soucis à seule fin de publier un écrit capable de servir ou de plaire, alors qu'il sera mal reçu et lu avec ennuiModèle:Sfn. » Morus brosse alors le portrait acide des lecteurs contemporains qui, pour la plupart, sont des lettrés. Une dernière fois, il s'adresse à Ægidio : « Entendez-vous avec Hythlodée, mon cher Pierre, au sujet de ma requête, après quoi je pourrai reprendre la question depuis le début. S'il donne son assentiment, puisque je n'ai vu clair qu'après avoir terminé ma rédaction, je suivrai en ce qui me concerne l'avis de mes amis et le vôtre en premier lieuModèle:Sfn,<ref group="n">Pour la troisième fois dans cette « Lettre-Préface », Morus enjoint Ægidius d'authentifier et de faire préciser les propos et les descriptions rapportés dans ce livre par Raphaël Hyhtlodée ; par un « archange diseur de non-sens ». La récurrence des demandes de précisions et d'authentification dans cette « Lettre-Préface » est un autre indice distillé par More/Morus.</ref>. »

Morus termine sa lettre par une formule de politesse.

Livre I

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Page 25 (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 25, première page du Livre I, édition de novembre 1518 chez Johann Froben (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). La gravure, qui serait de la main d'Hans Holbein le JeuneModèle:Sfn, représente Raphaël Hythlodée, Thomas More et Pierre Gilles discutant dans un jardin : après s'être salués devant l'église Notre-Dame d'Anvers, tous trois se rendent dans le jardin de la résidence de Thomas More à Anvers où ils tiennent la discussion du Livre I « assis sur un banc de gazon »Modèle:Sfn. Le page qui s'avance sur la gauche est John Clement, le secrétaire de Thomas More. (La description de l'île d'Utopie par Hythlodée au Livre II se tient dans ce même jardin, toujours sur le banc mais sans Clement.)

Mission diplomatique

« L'invincible roi d'Angleterre, Henry, huitième du nom, remarquable par tous les dons qui distinguent un prince éminent, eut récemment avec le sérénissime prince Charles de Castille un différend portant sur des questions importantes. Il m'envoya en Flandre comme porte-parole, avec mission de traiter et de régler cette affaire. J'avais pour compagnon et pour collègue l'incomparable Cuthbert Tunstall, à qui le roi, au milieu de l'approbation générale, a récemment confié les archives de l'ÉtatModèle:Sfn. »

C'est par ces mots que débute l'Utopie. Accompagné de Cuthbert Tunstall, il rencontra le Préfet de Bruges et Georges de Temsecke, deux envoyés du Prince CharlesModèle:Sfn,<ref group="n">Voici les noms des personnes composant les deux ambassades, pour celle de Charles de Castille : Guillaume de Croy, Michel de Croy, Jean le Sauvage, Jacques de Halewin, Georges de Temsecke et Philippe Wielant ; pour celle d'Henri VIII : Sir Edward Poynings, Cuthbert Tunstall, William Knight, Richard Sampson, Thomas Spynelly, John Clifford et Thomas More.</ref>. Tandis que ces deux envoyés allèrent à Bruxelles « prendre l'avis du prince », Morus se rendit à Anvers pour ses « affaires »Modèle:Sfn. Les tractations, qui eurent lieu « une ou deux fois »Modèle:Sfn, ne sont pas évoquées.

Rencontre avec Raphaël Hythlodée

Par hasard durant ce séjour il aperçoit Ægidio dans l'église Notre-Dame d'Anvers. Celui-ci converse avec « un étranger, un homme sur le retour de l'âge, au visage hâlé, à la barbe longue, un caban négligemment jeté sur l’épaule, sa figure et sa tenue me parurent celles d'un navigateur » dit MorusModèle:Sfn. Reconnaissant Morus Ægidio le rejoint et, à propos de cet étranger, il lui dit : « s'il a navigué ce ne fut pas comme Palinure, mais comme Ulysse, ou plutôt encore comme PlatonModèle:Sfn. » Et Ægidio précise : il s'appelle Raphaël Hythlodée ; il connait bien le latin et surtout très bien le grecModèle:Sfn ; il est PortugaisModèle:Sfn ; aussi, il « s'est joint à Améric Vespuce pour les trois derniers de ses quatre voyages, dont on lit aujourd'hui la relation un peu partout »Modèle:Sfn ; « il parcourut quantité de pays »Modèle:Sfn avant de rentrer au PortugalModèle:Sfn.

Après des salutations et un échange de « paroles qui conviennent à une première rencontre », Morus invite Ægidio et Raphaël Hythlodée à converser dans sa résidence anversoiseModèle:Sfn.

Discussion au jardin

Ægidio pose la question suivante : « Je me demande vraiment, cher Raphaël, pourquoi vous ne vous attachez pas à la personne d'un roi, […] vous auriez de quoi le charmer par votre savoir, votre expérience des pays et des hommes, et vous pourriez aussi l'instruire par des exemples, le soutenir par votre jugementModèle:Sfn. » Raphaël répond qu'il ne souhaite pas se « mettre en servage auprès des roisModèle:Sfn. » Ægidio précise alors sa question : « Je souhaitais vous voir rendre service au roi, et non vous mettre à leur serviceModèle:Sfn. » Raphaël réplique : « Petite différenceModèle:Sfn. »

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Page 35 (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 35, Livre I, édition de novembre 1518 chez Johann Froben (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). La manchette s'attache aux propos de Raphaël : « …l'inflexible justice que l'on exerçait chez vous… »Modèle:Sfn ; elle dit : « Des lois trop peu conformes à la justiceModèle:Sfn. » Ces lois, ce sont celles en vigueur dans le royaume d'Angleterre à l'époque.

Raphaël pointe le fait que les princes « concentrent leurs pensées sur les arts de la guerre » et non sur ceux de la paixModèle:Sfn. Puis Raphaël éreinte les membres des conseils royaux, dans lesquels la nouveauté est mal vue et la tradition préférée aux améliorations. « C'est sur des préjugés de ce genre, dictés par l'orgueil, la sottise et l'entêtement, que je suis tombé souvent et, une fois, en AngleterreModèle:Sfn. »

À la table du cardinal Morton

« J'étais par hasard à [la] table [de Morton] le jour où s'y trouva aussi un laïque très ferré sur le droit anglais, lequel, à propos de je ne sais quoi, se mit à louer de tout son cœur l'inflexible justice que l'on exerçait chez vous [en Angleterre] à cette époque contre les voleurs », dit RaphaëlModèle:Sfn. Puis il vilipende le moyen employé pour lutter contre ces voleurs, la pendaisonModèle:Sfn ; il évoque ensuite différents motifs de vol, jusqu'à cette tirade :

« Vos moutons, […]. Normalement si doux, si facile à nourrir de peu de chose, les voici devenus, […], si voraces, si féroces, qu'ils dévorent jusqu'aux hommes, qu'ils ravagent et dépeuplent les champs, les fermes, les villagesModèle:Sfn. »

Raphaël se tourne vers un peuple dont il loue la législation, les Polylérites : « ceux qui […] sont convaincus de vol restituent l'objet dérobé à son propriétaire et non, comme cela se fait le plus souvent ailleurs, au prince, car ils estiment que celui-ci n'y a pas plus droit que le voleur lui-même. Si l'objet a cessé d'exister, les biens du voleur sont réalisés [c'est-à-dire convertis en argent liquide, par une vente], la valeur est restituée, le surplus est laissé à la femme et aux enfants. Quant aux voleurs, ils sont condamnés aux travaux forcésModèle:Sfn. »

Raphaël retient de cet échange avec le laïque le comportement des convives à la table du cardinal : chaque proposition et chaque exemple qu'il avance est soit moqué soit discrédité.

Reprise de la discussion au jardin

La discussion entre Raphaël, Ægidio et Morus reprend. Raphaël lance : « Mesurez par là le crédit que mes conseils trouveraient à la CourModèle:Sfn. » Morus est persuadé que Raphaël ferait un excellent conseiller : « votre cher Platon estime que les États n'ont chance d'être heureux que si les philosophes sont rois ou si les rois se mettent à philosopherModèle:Sfn. »

Raphaël déplace la discussion, il la dépayse : il imagine qu'il siège au « Conseil » du roi de France et que, parmi d'autres, il conseille ce dernier au sujet des guerres qu'il mène en ItalieModèle:Sfn. Contrairement aux autres conseillers, Raphaël propose au roi de rester en son royaumeModèle:Sfn. Pour appuyer son argumentation, il prend exemple sur un peuple qui habite « au sud-est de l'île d'Utopie »Modèle:Sfn, les Achoriens : le roi fut forcé par son peuple d'arrêter les guerres de conquête ou de succession et de se préoccuper de son royaumeModèle:Sfn.

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Page 63 (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 63, Livre I, édition de Modèle:Date- chez Johann Froben (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). La manchette dit : « Les institutions des UtopiensModèle:Sfn. » Elle souligne cette phrase du dialogue : « Ah ! si je venais proposer ce que Platon a imaginé dans sa République ou ce que les Utopiens mettent en pratique dans la leur, […]Modèle:Sfn. » (Par ailleurs, il faut noter la taille et le choix des caractères typographiques du nom « CHRISTVS »).

Puis, revenu de France, Raphaël évoque d'autres conseils calamiteux prodigués à différents princes en divers temps et pays. De nouveau, pour appuyer son argumentation, il prend l'exemple d'un « autre peuple voisin de l'Utopie »Modèle:Sfn, les « Macariens » : « le roi, le jour de son avènement, s'interdit par serment, après avoir offert de grands sacrifices, de jamais tenir dans son trésor plus de mille pièces d'or ou l'équivalent en argent »Modèle:Sfn, ce afin d'empêcher une accumulation de ressources qui appauvrirait celles du peupleModèle:Sfn. Raphaël se tourne vers Morus et lui demande si donner cet exemple au sein d'un Conseil ne serait pas comme « conter une histoire à des sourdsModèle:Sfn ? »

« À des sourds surdissimes, répond Morus, et cela n'aurait rien d'étonnantModèle:Sfn. » Morus poursuit en critiquant la façon dont Raphaël donne ses conseils. Il trouve que ceux-ci sont des considérations théoriques qui n'ont « aucune place dans les conseils des princes »Modèle:Sfn. Mais Raphaël campe sur ses positions. Alors Morus objecte à Raphaël que c'est la philosophie telle qu'il la pratique qui ne peut avoir accès aux princes<ref group="n">Simone Goyard-Fabre indique : « Le texte latin parle ici de Philosophia scolastica, désignant une pensée d'école tout opposée aux critères pratiques de l'action politique. » (Édition « GF », note n°34, p. 241)</ref>. Il existe une autre philosophie dont Morus dit qu'elle est « instruite de la vie, qui connaît son théâtre, qui s'adapte à lui et qui, dans la pièce qui se joue, sait exactement son rôle et s'y tient décemmentModèle:Sfn. » Morus revient sur la façon dont Raphaël procède : au lieu d'être intransigeant, il faut savoir faire preuve d'à propos et de doigté. Aussi, Morus suggère une autre façon de procéder :

« Mieux vaut procéder de biais et vous efforcer, autant que vous le pouvez, de recourir à l'adresse, de façon que, si vous n'arrivez pas à obtenir une bonne solution, vous avez du moins acheminé la moins mauvaise possibleModèle:Sfn. »

Raphaël rétorque : « C'est me conseiller là, […], sous couleur de vouloir remédier à la folie des autres, de délirer en leur compagnieModèle:Sfn. » Plus loin, Raphaël semble vouloir livrer le fond de sa pensée : « Mais en toute vérité, mon cher More, à ne vous rien cacher de ce que j'ai dans l'esprit, il me semble que là où existent les propriétés privées, là où tout le monde mesure toutes choses par rapport à l'argent, il est à peine possible d'établir dans les affaires publiques un régime qui soit à la fois juste et prospère »Modèle:Sfn. Cette vision, il la tient de son voyage autour du monde :

« C'est pourquoi je réfléchis à la Constitution si sage, si moralement irréprochable des Utopiens, chez qui, avec un minimum de lois, tout est réglé pour le bien de tous, de telle sorte que le mérite soit récompensé et qu'avec une répartition dont personne n'est exclu, chacun cependant ait une large partModèle:Sfn. »

Tandis qu'en Europe : les lois se succèdent sans que les pays soit mieux gouvernés et les questions de propriété donnent lieu à des contestations interminablesModèle:Sfn. De la sorte, mettant en regard l'île d'Utopie et l'Europe, Raphaël donne raison à Platon : « ce grand sage avait fort bien vu d'avance qu'un seul et unique chemin conduit au salut public, à savoir, l'égale répartition des ressourcesModèle:Sfn. »

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Page 69 (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 69, dernière page du Livre I, édition de novembre 1518 chez Johann Froben. (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »)

Alors que Morus rétorque : « il me semble au contraire impossible d'imaginer une vie satisfaisante là où les biens seraient mis en commun »Modèle:Sfn ; Ægidio manifeste son scepticisme à l'égard des propos de Raphaël : existe-t-il « dans le nouveau monde des peuples mieux gouvernés que dans celui qui nous est connu »Modèle:Sfn ? Ægidio ajoute que les hommes ne sont pas « moins intelligents » en Europe qu'en Utopie et que les États européens sont sans doute « plus anciens que les leurs »Modèle:Sfn. D'autre part, les savoirs accumulés en Europe, « sans compter les inventions dues au hasard », sont sans pareil dans le reste du mondeModèle:Sfn.

Raphaël réplique que selon « les annales de ce nouveau monde »Modèle:Sfn leurs États sont vraisemblablement plus anciens, dont celui de l'île d'Utopie ; « il y avait chez eux des cités avant qu'il y eût des hommes chez nousModèle:Sfn. » Quant aux savoirs accumulés et aux inventions, Raphaël objecte à Ægidio que « le génie humain » est commun à tous les hommesModèle:Sfn. Pour preuve, il y a 1200 ans quelques « Romains » et quelques « Égyptiens » échouèrent sur l'île d'Utopie, les Utopiens surent tirer parti des savoirs transmis par ceux-ci : après cette unique rencontre « ils s'assimilèrent nos meilleures découvertesModèle:Sfn. » En revanche note Raphaël : « Si par un hasard semblable, un Utopien a jamais débarqué chez nous, ce fait est tombé dans un oubli totalModèle:Sfn. » Et il conclut avec pessimisme :

« Il faudra longtemps au contraire, je le crains, avant que nous n'accueillions la moindre des choses par lesquelles ils nous sont supérieurs. Voilà précisément pourquoi, alors que notre intelligence et nos ressources valent les leurs, leur État cependant est administré plus sagement que le nôtre ; et il est plus florissantModèle:Sfn. »

Sur ces mots, Morus prie Raphaël de décrire « cette île » ; il le presse de faire un « tableau complet » des cultures, des fleuves, des villes, des hommes, des mœurs, des institutions et des lois, « enfin de tout ce qu'à votre avis nous désirons connaîtreModèle:Sfn. » Puis Morus déclare : « sachez que nous désirons connaître tout ce que nous ignoronsModèle:Sfn. » Raphaël se dit prêt : « tout cela m'est présent à l'espritModèle:Sfn. » Morus invite alors Raphaël et Ægidio à rentrer dans sa résidence pour manger. La discussion du Livre I s'arrête là.

Morus écrit qu'une fois le repas de midi terminé, ils revinrent s'asseoir « au même endroit, sur le même bancModèle:Sfn. » Il précise qu'il demanda aux domestiques de ne pas les interrompre. « [Raphaël] resta un instant silencieux à réfléchir, puis, nous voyant attentifs et avides de l'entendre, il dit ce qui suitModèle:Sfn. »

Le Livre I se clôt.

Livre II

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Page 70 (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 70, première page du Livre II, édition de novembre 1518 chez Johann Froben (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). La manchette dit : « Situation et forme de la nouvelle île d'UtopieModèle:Sfn. »

« L'île d'Utopie, en sa partie moyenne, et c'est là qu'elle est la plus large, s'étend sur deux cent milles, puis se rétrécit progressivement et symétriquement pour finir en pointe aux deux bouts. Ceux-ci, qui ont l'air tracés au compas sur une longueur de cinq cent milles, donnent à toute l'île l'aspect d'un croissant de luneModèle:Sfn. »

C'est sur ces mots que débute le Livre II de l'Utopie<ref group="n">Dans l'édition de novembre 1518 imprimée chez Johann Froben le Livre II commence à la page 70, il comporte des intertitres répartis ainsi : « Les villes et, en particulier, Amaurote » (Modèle:P.), « Les magistrats » (Modèle:P.), « Les professions » (Modèle:P.), « La vie en société » (Modèle:P.), « Les serviteurs » (Modèle:P.), « L'art de la guerre » (Modèle:P.), « Les religions des Utopiens » (Modèle:P.). (André Prévost, L'Utopie…, op. cit.)</ref>. Hythlodée poursuit en décrivant le bras de mer qui sépare les deux cornes d'environ « onze milles »Modèle:Sfn. Le golfe formé par ce croissant « est comme un seul et vaste port accessible aux navires sur tous les pointsModèle:Sfn. » Mais « l'entrée du port est périlleuse, à cause des bancs de sable d'un côté et des écueils de l'autreModèle:Sfn. » D'après les traditions confirmées par la topographie du terrain, Utopie ne fut pas toujours une île : « Elle s’appelait auparavant AbraxaModèle:Sfn. » Après avoir vaincu les Abraxanéens<ref group="n">Dans l'Éloge de la folie, Érasme fait allusion aux Abraxasiens en LIV ; ces derniers appartiennent à une secte gnostique. Dans l'Utopie, Thomas More supprime le "s" final d'Abraxas pour « Abraxa » (Voir la section « Les noms en Utopie »).</ref>, « Utopus décida de couper un isthme de quinze milles qui rattachait la terre au continent et fit en sorte que la mer l'entourât de tous côtésModèle:Sfn. » Utopus devint son roi et l'île prit son nomModèle:Sfn.

Occupation de l'île

L’île d’Utopie a cinquante-quatre villes spacieuses et magnifiquesModèle:Sfn. Le langage, les mœurs, les institutions, les lois y sont parfaitement identiquesModèle:Sfn. Les cinquante-quatre villes sont bâties sur le même plan, et possèdent les mêmes établissements, les mêmes édifices publics, modifiés suivant les exigences des localitésModèle:Sfn ; à l'extérieur se trouvent : les abattoirsModèle:Sfn et les hôpitauxModèle:Sfn ; les templesModèle:Sfn des prêtres sont en nombre plus réduit. « La distance de l'une à l'autre est au minimum de vingt-quatre milles ; elle n'est jamais si grande qu'elle ne puisse être franchie en une journée de marcheModèle:Sfn. » Les champs sont répartis entre les citésModèle:Sfn.

Connaître l'une des villes d'Utopie, c'est les connaître toutes, « tant elles sont semblables »Modèle:Sfn. Les Utopiens attribuent à Utopus le plan de leurs citésModèle:Sfn. Chaque maison possède un jardinModèle:Sfn, les portes n'ont pas de verrouModèle:Sfn et, « par tirage au sort »Modèle:Sfn, les habitants changent de maison tous les dix ansModèle:Sfn. « Située comme à l'ombilic de l'île »Modèle:Sfn, Amaurote est considérée comme la capitale de l’île ; sa position centrale favorisant un accès rapide à tous les déléguésModèle:Sfn, c'est là que siège le « Sénat » de l'île d'UtopieModèle:Sfn. Les délégués de chaque ville se rendent dans la capitale pour traiter des affaires communesModèle:Sfn. Les citoyens désirant se rendre dans une autre cité que celle où ils résident doivent obtenir « l'autorisation des syphograntes et des traniboresModèle:Sfn. »

Politique

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Page 78 (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 78, Livre II, édition de novembre 1518 chez Johann Froben (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). Voici les manchettes qui accompagnent la description des procédures pour désigner les magistrats utopiensModèle:Sfn. De haut en bas, les manchettes disentModèle:Sfn : « Tranibore, dans la langue des Utopiens, signifie préfet de première classe. » « Merveilleuse façon de créer les magistrats. » « L'État bien organisé déteste les tyrans. » « Trancher au plus vite les controverses : ne pas les prolonger indéfiniment de propos délibéré comme on le fait aujourd'hui. » « Ne rien décréter à la hâte. »

La plus grande égalité règne entre tous les citoyens, les magistrats et les prêtres (tous élus par le peupleModèle:Sfn) n'ont que très peu d'avantages. Les charges politiques sont : au plus bas niveau, les syphograntes ou philarquesModèle:Sfn (des "délégués de quartier") ; au niveau médian, les tranibores ou protophylarquesModèle:Sfn (des "gouverneurs") ; au niveau supérieur les princesModèle:Sfn (des "maires") ; au sommet le roi de l'île d'Utopie ; sans oublier les prêtres, qui peuvent intervenir ou être sollicités à tous les niveaux<ref group="n">"Délégués de quartier", "gouverneurs" et "maires" sont les dénominations et les fonctions qui, aujourd'hui, se rapprocheraient le plus des responsabilités afférentes aux charges des magistrats utopiens.</ref>. L'organisation politique commence au quartier (ou « pâté de maisons »), l'échelon supérieur est un « sénat » pour chaque ville et son territoire, le tout est couronné par le « Sénat » d'AmauroteModèle:Sfn ou « conseil général »Modèle:Sfn et par le Prince dit Barzanès ou AdèmusModèle:Sfn (le "roi" de l'île d'Utopie<ref group="n">Marie Delcourt remarque : Thomas More « ne dit à peu près rien du rôle du roi dans les affaires courantes et dans la vie du peuple. » (Édition « GF », note « Le Prince » p. 152)</ref>).

Les tranibores, les prêtres, les ambassadeurs et le Prince sont choisis et élus parmi les lettrésModèle:Sfn. Les syphograntes sont dispensés de travail, néanmoins ils travaillent pour donner l'exempleModèle:Sfn. Les lois sont peu nombreuses et compréhensibles par tousModèle:Sfn, ainsi chaque citoyen peut se défendre sans avocatModèle:Sfn ; ces lois ne prescrivent pas de peine, c'est le sénat qui, dans chaque ville, s'en charge pour chaque casModèle:Sfn.

Trente familles élisent chaque année le magistrat de leur quartier, le syphogranteModèle:Sfn. Dix syphograntes et les familles qui dépendent d'eux obéissent à un traniboreModèle:Sfn. « Les tranibores sont soumis chaque année à réélection ; leur mandat est souvent renouvelé. Toutes les autres charges sont annuellesModèle:Sfn. » Les procédures électives des syphograntes et des tranibores ne sont pas relatées par Hythlodée.

À l'échelon "communal" : dans chaque cité se trouve un sénat, où siègent les traniboresModèle:Sfn,<ref group="n">André Prévost les compte au nombre de « vingt ». (L'Utopie, op. cit., note n°2 « choisir le candidat », p.678)</ref> ; pour élire le prince dans chaque cité : « Chacun des quatre quartiers de la ville propose un nom au choix du sénat »Modèle:Sfn (la procédure pour choisir ce nom n'est pas relatée par Hythlodée) ; ensuite : « Les deux cents syphograntes […], après avoir juré de fixer leur choix sur le plus capable, élisent le prince [ou "maire"] au suffrage secret, sur une liste de quatre noms désignés par le peupleModèle:Sfn. » « Le principat est accordée à vie, à moins que l'élu ne paraisse aspirer à la tyrannieModèle:Sfn,<ref group="n">Voir le schéma explicatif de Louis Marin, Utopiques : jeux d'espaces, op. cit., p. 167.</ref>. »

À l'échelon "insulaire", la procédure est moins claire. Il semblerait que tout se passe à Amaurote, où siège le « Sénat » ou « conseil général » de l'île d'Utopie<ref group="n">Pour Simone Goyard-Fabre : « Il s'agit du Sénat confédéral de l'Île. » (Édition « GF », note n°44, p. 241)</ref>. Le roi de l'île d'Utopie serait élu, mais cette procédure élective n'est pas relatée par Hythlodée<ref group="n">Marie Delcourt remarque : « More néglige d'exposer les modalités de l'élection royale, qu'il faut imaginer semblable à celle des autres magistrats, c'est-à-dire résultant d'un choix du peuple tempéré par l'influence des plus expérimentés. » (Édition « GF », note « Le Prince » p. 152)</ref>.

Dans chaque sénat de chaque ville « tous les trois jours », en présence de deux syphograntes « convoqués par roulement à chaque séance du sénat », les tranibores débattent avec le prince (ou "maire"), ensemble ils délibèrent sur les affaires publiques et règlent les différends entre citoyensModèle:Sfn. Discuter des affaires publiques, en dehors du sénat et des assemblées, est passible de la peine capitale ; ceci pour éviter qu'un prince et des tranibores n'établissent une tyrannie ou renverse le régime établiModèle:Sfn. Par ailleurs, dans chaque cité : « toute question considérée comme importante est déférée à l'assemblée des syphograntes qui en donnent connaissance aux familles dont ils sont mandataires, en délibèrent entre eux, puis déclarent leur avis au sénatModèle:Sfn. » Aussi : « Il arrive que le problème soit soumis au conseil général de l'îleModèle:Sfn. »

Société

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Page 81 (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 81, Livre II, édition de novembre 1518 chez Johann Froben (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). De haut en bas, les manchettes disentModèle:Sfn : « L'étude des belles-lettres. » « Les récréations aux repas. » « Mais aujourd'hui, les dés sont le jeu des princes ! » « Même les jeux sont utiles. »

De type patriarcaleModèle:Sfn, chaque famille comprend les grands-parents, les parents, les ménages des fils mariésModèle:Sfn,Modèle:Sfn. Les prêtres donnent aux enfants leur première éducationModèle:Sfn. Le mariage a lieu à vingt-deux ans pour les filles et vingt-six ans pour les garçonsModèle:Sfn ; les amours avant le mariage sont punisModèle:Sfn ; les futurs conjoints doivent se montrer nus devant témoin avant de se marierModèle:Sfn. Le mariage est indissoluble, sauf en cas d'adultères ; avec l'autorisation des sénateurs, le divorce par consentement mutuel est possibleModèle:Sfn. À l'organisation familiale se superpose une politique démographique : « Aucune cité ne doit voir diminuer excessivement sa population, ni davantage se trouver surpeupléeModèle:Sfn. »

« La cité se compose de familles » et « chaque cité doit se composer de six mille famillesModèle:Sfn. » Chaque cité « se partage en quatre quartiers égaux »Modèle:Sfn, dans chaque quartier est construit un « hôtel » où loge un syphogranteModèle:Sfn. Les six mille familles sont réparties en « trente familles », celles-ci forment alors une syphograntie dépendant d'un hôtel attitréModèle:Sfn.

Chaque citoyen doit passer deux ans à la campagneModèle:Sfn. Les habitants se considèrent comme des fermiers plutôt que comme des propriétairesModèle:Sfn. Les repas sont pris en commun, à heure fixeModèle:Sfn et au son du « clairon »Modèle:Sfn. Chaque famille confectionne ses vêtements : ils sont identiques et ne diffèrent que pour distinguer les hommes des femmes, « les gens mariés des célibatairesModèle:Sfn. » Tous les citoyens peuvent suivre des cours le matin avant le travail et se distraire le soir après le repasModèle:Sfn. L'or est employé à faire « des vases de nuit », des chaînes pour les esclaves<ref group="n">« Dans la pensée de More, la connotation du mot servus est plus proche de service que d'esclavage. […]. Ici servus est mis en opposition à liber qui désigne les Utopiens qui jouissent des droits de pleine citoyenneté. » (André Prévost, L'Utopie…, op. cit., p. 698, note°6 « la servitude »)</ref> et « des anneaux » d'or pour certains condamnésModèle:Sfn. Les esclaves sont des Utopiens condamnés, des étrangers achetés parmi les condamnés, des « soldats capturés lors d'une guerre où Utopie fut attaquée » ou des émigrés venus travailler volontairement et temporairementModèle:Sfn. Les Utopiens condamnés et devenus esclaves peuvent être libérés par les magistratsModèle:Sfn, ceux qui se révoltent sont tuésModèle:Sfn.

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Page 103 (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 103, Livre II, édition de novembre 1518 chez Johann Froben (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). De haut en bas, les manchettes disentModèle:Sfn : « Finalité des biens. Les Utopiens font consister le bonheur dans le plaisir honnête. » « Les principes de la philosophie doivent être demandés à la religion. » « La théologie des Utopiens. » « L'immortalité des âmes que nombre de personnes, même chrétiennes, mettent en doute aujourd'hui. » « Il ne faut pas aspirer à n'importe quel plaisir ni aimer la douleur si elle n'est pas justifiée par la vertu. »

Économie

L'économie s'organise principalement autour d'une ville et du territoire qui la nourritModèle:Sfn ; la production artisanale se fait dans les familles, chacune spécialisée dans un métierModèle:Sfn. La journée de travail est limitée à six heuresModèle:Sfn. Tout le monde travaille, sauf les malades et les personnes âgées. Des esclaves accomplissent les travaux les plus pénibles et les plus repoussantsModèle:Sfn,Modèle:Sfn,Modèle:Sfn. Les paysans cultivent la terre, élèvent des bestiaux, procurent du boisModèle:Sfn, ils élèvent des volaillesModèle:Sfn ainsi que des chevaux mais « uniquement pour faire apprendre l'équitation aux jeunes gensModèle:Sfn. » « L'ensemble du labourage et des transports est exécuté entièrement par des bœufsModèle:Sfn. » Le grain récolté est utilisé pour faire du painModèle:Sfn. Les Utopiens boivent « du vin de raisin, du cidre, du poiré et de l'eau, souvent pure, parfois aussi mêlée à une décoction de miel et de réglisse qu'ils ont en abondanceModèle:Sfn. » Les produits, déposés d’abord dans des entrepôts, sont ensuite classés dans des magasins suivant leur espèceModèle:Sfn. Des marchés procurent tout ce qu'il faut aux UtopiensModèle:Sfn. Il y a des provisions pour « deux années »Modèle:Sfn. L'abondance des produits permet de constituer des réserves pour l'exportationModèle:Sfn. Aussi, ils sèment et élèvent du bétail plus que nécessaire « afin d'avoir un surplus à donner à leurs voisinsModèle:Sfn. »

Les premières séances au Sénat d'Amaurote, où chaque année se rendent des déléguées de chaque cité, sont consacrées à dresser la statistique économique des diverses parties de l’île ; dès que sont identifiés les régions où il y a trop et celles où il n’y a pas assez, telle région « compense par ses surplus la pénurie d'une autreModèle:Sfn. » Et cette compensation est gratuiteModèle:Sfn. Il n'existe pas de monnaie sur l'île d'UtopieModèle:Sfn,Modèle:Sfn. L'or et les pierres précieuses, obtenues par la vente de production agricole ou par tribut, servent de réserve en cas de guerre ou pour commercer avec des États voisinsModèle:Sfn. Les Utopiens n'hésitent pas à envahir les pays limitrophes qui laisseraient leurs terres inexploitéesModèle:Sfn. En effet, selon les lois utopiennes, la population de l'île ne doit pas excéder un certain seuil, dès que ce seuil est franchi des Utopiens sont envoyés à l'étranger fonder des « colonies », gouvernées « d'après les lois utopiennes », et ils « chassent du territoire » les « indigènes qui refusent d'accepter leurs lois », s'il le faut « ils luttent à main armée contre ceux qui leur résistentModèle:Sfn. »

Guerre

Les Utopiens détestent la guerre, ils l'évitent autant que possibleModèle:Sfn. Pour autant, hommes et femmes pratiquent des exercices militaires régulièrement pour pouvoir se défendreModèle:Sfn si le pays est attaquéModèle:Sfn et si un pays allié est envahi ; mais parfois, par pitié envers un peuple tyrannisé, « et c'est pour l'amour de l'humanité qu'ils agissent dans ce cas »Modèle:Sfn, les Utopiens n'hésitent pas à aller à la guerre. Aussi, ils n'hésitent pas à engager des mercenaires, les ZapolètesModèle:Sfn ; parfois ils font assassiner les princes ennemis ou sèment la discorde parmi ses prochesModèle:Sfn. Les Utopiens se montrent humains envers les prisonniers ; dès que le prince ennemi est tué à la bataille le combat cesse, des prêtres utopiens présents (au nombre de sept) sur les champs de bataille s'assurent de l'arrêt du combatModèle:Sfn.

Tradition, Culture et Religion

Les citoyens utopiens pratiquent et adhèrent à différentes religions, mais ils partagent tous la même vertu fondamentale. Cette vertu est une vie conforme à la nature qui remplit l'âme de majesté divine et incline au plaisir en même temps qu'à aider les autres à l'obtenirModèle:Sfn. En quelque sorte, les Utopiens ont une morale épicurienne, elle est fondée sur un calcul des plaisirs qui élimine tous les excès car ceux-ci causent les plus grands mauxModèle:Sfn. À côté des plaisirs de l'âme, à savoir : de l'intelligence et de la connaissanceModèle:Sfn,Modèle:Sfn, les Utopiens reconnaissent l'importance des plaisirs physiques comme la bonne chère et l'exercice corporelModèle:Sfn. « Les Utopiens ignorent complètement les dés et les jeux de ce genre, absurdes et dangereux. Mais ils pratiquent deux divertissements qui ne sont pas sans ressemblance avec les échecsModèle:Sfn. »

Les Utopiens croient en un Dieu (qu'ils nomment MythraModèle:Sfn) bon et créateur de toute chose, en l'immortalité de l'âme, aux châtiments et aux récompenses après la mortModèle:Sfn,Modèle:Sfn. Ceux qui ne partagent pas ces croyances sont exclus du vote et des magistraturesModèle:Sfn ; ils ne peuvent partager leurs idées avec leurs concitoyens, sauf avec les prêtresModèle:Sfn. C'est Utopus qui décréta la liberté de religionModèle:Sfn. Certains « Utopiens adorent le soleil, d'autres la lune ou quelques planètes »Modèle:Sfn ; d'autres ont comme dieu suprême « un homme qui a brillé »Modèle:Sfn ; d'autres encore un « dieu unique, inconnu, éternel, incommensurable, impénétrable, inaccessible à la raison humaine » et ils n'accordent « d'honneurs divins qu'à lui seulModèle:Sfn. » Chaque Utopien est libre de célébrer les rites de sa religion dans sa maison. Étant donné la variété des religions, il n'y a aucune image de Dieu dans les temples présents dans chaque villeModèle:Sfn. Les prêtres, appelés ButhresquesModèle:Sfn, président aux cérémonies religieuses. Voyant que le Christ « avait conseillé aux siens de mettre toutes leurs ressources en commun »Modèle:Sfn, beaucoup d'Utopiens commencent à adopter le christianismeModèle:Sfn.

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Page 162 (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 162, dernière page du Livre II, édition de novembre 1518 chez Johann Froben (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). Thomas More vient de prononcer ses dernières réflexions, le livre se clôt sur la formule suivante (en lettres capitales) : « Fin du discours d'après-midi de Raphaël Hythlodée sur les lois et les institutions de l'île d'Utopie, peu connue jusqu'à présent, par le très célèbre et très savant Thomas Morus, citoyen et vice-shérif de la cité de LondresModèle:Sfn. »

Fin du discours

« Je vous ai décrit le plus exactement possible la structure de cette république où je vois non seulement la meilleure, mais la seule qui mérite ce nom. Toutes les autres parlent de l'intérêt public et ne veillent qu'aux intérêts privés. Rien ici n'est privé, et ce qui compte est le bien publicModèle:Sfn. »

C'est sur ces mots que Raphaël reprend la discussion au jardin. De suite, il compare la situation en Utopie et celle en Europe : « Quand je reconsidère ou que j'observe les États aujourd'hui florissants, je n'y vois, Dieu me pardonne, qu'une sorte de conspiration des riches pour soigner leurs intérêts personnels sous couleur de gérer l'ÉtatModèle:Sfn. » Raphaël revient une dernière fois sur l'île d'Utopie : « je suis heureux de voir aux Utopiens la forme de Constitution que je souhaiterais à tous les peuplesModèle:Sfn. » Morus couche sur le papier les réflexions qui l'assaillirent : « Bien des choses me revenaient à l'esprit qui, dans les coutumes et les lois de ce peuple, me semblaient des plus absurdes, dans leur façon de faire la guerre, de concevoir le culte et la religion »Modèle:Sfn. Par-dessus tout, il y a un point qui lui sembla plus absurde que tous les autres : « le principe fondamental de leur Constitution, la communauté de la vie et des ressources, sans aucune circulation d'argent, ce qui équivaut à l'écroulement de tout ce qui est brillant, magnifique, grandiose, majestueux, tout ce qui, d'après le sentiment généralement admis, constitue la parure d'un ÉtatModèle:Sfn. » Morus laisse entendre qu'il aurait voulu poser des questions et débattre avec Raphaël ; mais ce dernier était fatigué et Morus ne sait pas si Raphaël aurait admis « la contradiction »Modèle:Sfn. Morus écrit qu'il se contenta de « louer les lois des Utopiens et l'exposé » de Raphaël et, « le prenant par le bras », il l'amena dans la salle à mangerModèle:Sfn. Modèle:Citation bloc

Ces mots forment le dernier paragraphe par lequel Morus rapporte la description de l'île d'Utopie par Raphaël Hythlodée.

Lettre de Jérôme de Busleyden à Thomas More

Placée juste avant le texte de l'Utopie dans l'édition princeps chez Thierry Martens, cette lettre de Jérôme de Busleyden sera placée à la suite du texte dans l'édition de 1517 chez Gilles de Gourmont ; elle conserve cette place dans les éditions de 1518 chez Johann Froben.

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Hieronymvs Bvslidivs Thomae Moro S. D. (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 163, première page de la lettre de Jérôme de Busleyden adressée à Thomas More qui est placée après le Livre II, édition de novembre 1518 chez Johann Froben. (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »)

Après avoir rendu hommage à Thomas More pour son écrit, Jérôme de Busleyden inscrit la République d'Utopie dans une lignée fameuse, et même plus : « Il ne s'est jamais vu plan de politique ni si salutaire, ni plus achevé, ni plus souhaitable. Ce dessein-là l'emporte infiniment au-dessus de ces anciennes Républiques qu'on a tant vantées ; une Lacédémone, une Athènes, une Rome, ce dessein, dis-je, les laisse bien loin derrière soiModèle:Sfn. » Du reste, si ces Républiques avaient suivi les mêmes principes, elles seraient toujours debout et l'on n'en verrait pas les ruinesModèle:Sfn.

Puis, de Busleyden aborde deux points qui lui semblent importants pour une République. Le premier est qu'il ne s'agit pas tant de faire des lois « qu'à travailler principalement à former les meilleurs magistrats possiblesModèle:Sfn. » S'appuyant sur Platon, il ajoute : « C'est avant tout sur l'image de tel magistrats, sur l'exemple de leur probité, de leur justice et de leurs bonnes mœurs, que doit se modeler tout l'État et le gouvernement de toute République parfaiteModèle:Sfn. »

Le second point revient sur le principe politique cardinal de l'île d'Utopie : « toute propriété est abolie, et avec elle tout litige sur ce que chacun possède. Dans votre État tout généralement est commun, en vue du bien commun lui-mêmeModèle:Sfn. » Et de Busleyden d'insister : « N'est-ce pas la possession en propre, la soif brûlante d'avoir, et surtout cette ambition qui est dans le fond le plus misérable chose qu'il y ait chez les hommes, n'est-ce pas tout cela qui entraîne les mortels, même malgré eux, dans l'abîme d'un malheur inexprimableModèle:Sfn ? » Pour étayer et conclure sur ce point, il rappelle l'exemple des Républiques citées plus haut : « Que sont-ils devenus, ces ouvrages des hommes ? Hélas ! À peine en voit-on aujourd'hui quelques matériaux, quelques vestiges ; disons plus : l'histoire la plus ancienne ne saurait en certifier les nomsModèle:Sfn. »

Pour finir, Jérôme de Busleyden espère : « Il ne tiendrait qu'à nos Républiques (si on peut donner ce beau titre-là à aucun État) de prévenir ces pertes, ces désolations, ces ruines, et toutes les horreurs de la guerre : elles n'ont qu'à embrasser le gouvernement des Utopiens, et qu'à s'y attacher avec l'exactitude la plus scrupuleuseModèle:Sfn. »

Poème de Gerhard Geldenhauer

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Gerardvs Noviomagvs & Cornelivs Graphevs (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 167, édition de novembre 1518 chez Johann Froben (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). Sous les dernières lignes de la lettre de Jérôme de Busleyden adressée à Thomas More, se trouvent le poème de Gerhard Geldenhauer puis celui de Cornelis de Schrijver. En lettres capitales (extérieures au poème), « FINIS » indique la « fin » de l'Utopie.

Apparaissant avant le texte de l'Utopie dans l'édition princeps, ce poème de Gerhard Geldenhauer sera placé après le texte dans l'édition suivante de 1517, à la suite de la lettre de Jérôme de Busleyden ; il conserve cette place dans les éditions de 1518. Le titre de ce poème est : « L'Utopie ». <poem> « Aimes-tu, lecteur, les choses agréables ? — Toutes les plus agréables sont ici. Si c'est l'utile que tu recherches, rien ne peut lire de plus utile. Si l'un et l'autre tu désires, les deux en cette île abondent, De quoi parfaire la langue, de quoi instruire l'esprit. Ici les sources du bien et du mal sont révélées par l'éloquence De More, gloire suprême de son Londres natalModèle:Sfn. » </poem>

Poème de Cornelis de Schrijver

Disposé avant le texte de l'Utopie dans l'édition princeps, ce poème de Cornelis de Schrijver sera placé après le texte dans l'édition suivante de 1517, à la suite de la lettre de Jérôme de Busleyden ; il conserve cette place dans les éditions de 1518. Le titre de ce poème est en fait une adresse au lecteur : « Au lecteur ». <poem> « Veux-tu voir des prodiges nouveaux, maintenant qu'un nouveau monde vient d'être découvert ? Veux-tu connaître des façons de vivre de nature différente ? Veux-tu savoir quelles sont les sources des vertus ? Veux-tu savoir d'où viennent de nos maux Les principes ? et déceler l'inanité cachée au fond des choses ? Lis tout cela qu'en différentes couleurs More nous a donné, More, l'honneur de la noblesse de LondresModèle:Sfn. » </poem>

Marque d'imprimeur de Johann Froben

La marque d'imprimeur de Johann Froben fut apposée aux deux éditions du texte de l'Utopie que son atelier imprima en mars puis en Modèle:Date-. Ici, elle apparaît en arrière-plan des colonnes.

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Basileæ Apud Ioannem Frobenivm (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 168, au verso des poèmes de Gerhard Geldenhauer et Cornelis de Schrijver, la marque d'imprimeur de Johann Froben clôt l'œuvre dans son édition ne varietur de novembre 1518. (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »)

Pour Suzanne Gély, la marque de Johann Froben témoigne « d'un ésotérisme dérivé de symbolismes antiques, métamorphosés sous l'influence de la méditation de textes bibliques »Modèle:Sfn. De fait, les maximes ou adages qui entourent « l'image d'inspiration hermétique, sont empruntés on le voit à l'Ancien et au Nouveau Testament dans les trois langues, hébraïque, grecque et latine par lesquelles ils ont été transmisModèle:Sfn. » Elle rappelle au lecteur d'aujourd'hui : « La présence d'éléments ou de connotations ésotériques ne devrait pas trop surprendre dans une œuvre pourtant marquée au coin du bon sens le plus pragmatique lors même qu'elle s'élève au-dessus du monde comme il vaModèle:Sfn. »

En grec, au-dessus et en dessous de l'emblème de Johann Froben : « Soyez avisés comme les serpents, simples comme des colombesModèle:Sfn. » La phrase latine, à gauche, se traduit : « Prudente simplicité, et amour de ce qui est droitModèle:Sfn. » L'hébreu, à droite, se traduit : « Fais du bien, Seigneur, aux gens de bien et à ceux qui ont au cœur la droitureModèle:Sfn. »

André Prévost apporte quelques précisions sur la phrase grecque. Concernant le mot « avisés » : la « traduction traditionnelle » par « prudence » correspond à la « prudentia » latine, « une vertu cardinale que Thomas d'Aquin définit : la vertu à la fois intellectuelle et pratique qui dirige l'action vers sa finModèle:Sfn. ». La « traduction mystique », poursuit André Prévost, insiste sur la connotation de « contemplation » et se traduit par sagesse. « Avisé est donc celui qui voit à l'avance et devant soi et qui prend les moyens d'atteindre son butModèle:Sfn. » Concernant le mot « simple » : « Simple » dans le sens « qui n'est pas mélangé » est une âme simple, « celle qui a gardé sa vertu originelle », « intègre, intacte »Modèle:Sfn.

Sinon, plus généralement : « L'observation de la gravure révèle que le caducée de Mercure a été transformé, remarque André Prévost. Pour avoir séparé deux serpents qui se battaient, la verge devint l'emblème de la concorde. Fait de bois d'olivier ou de laurier, le caducée rendait inviolable ceux qui le portaient : ambassadeurs, héraults, ici, Froben, porte-parole de la connaissance par le livreModèle:Sfn. » Et Prévost ajoute : « La couronne royale qui coiffe les serpents symbolise la ville royale "basilea", BâleModèle:Sfn. »

Interprétations

Le livre de Thomas More cinq siècles plus tard

Fichier:1518 Thomas More Utopia Book (Back) (The Folger Shakespeare Library).jpg
Utopia. Dos de l'exemplaire conservé à la Folger Shakespeare Library. Il est indiqué sur la pièce de titre ; « MORI UTOPIA 1518 ». (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »)

Interpréter La meilleure communauté politique et la nouvelle île d'Utopie de Thomas More, au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, c'est rencontrer deux difficultés. D'abord, la variété et la stratification des interprétations passées (pour ne pas dire leur empilement Modèle:Sfn,Modèle:Sfn,Modèle:Sfn), sans oublier les interprétations contemporaines<ref group="n">Au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, pour bien lire lUtopie, il faut aussi lire une grande partie de la littérature académique consacrée à lUtopie et à Thomas More (sans oublier les biographies).</ref> : « Il n'est pas un colloque sur le sujet sans que surgissent des interprétations nouvelles, des études inédites, des interrogations contradictoires, et bien sûr des comparaisons audacieuses avec telle ou telle entreprise utopique, tel plan de ville inspiré de L'UtopieModèle:Sfn. » La seconde difficulté, outre l'éloignement temporel et culturel, réside dans ces quelques faits : le manuscrit de Thomas More est manquant, les jugements de More sur son œuvre sont difficiles à jauger, ses prises de positions et ses actions politiques semblent parfois entrer en contradiction avec le texte de l'Utopie.

Première difficulté : la variété et la profusion des interprétations de lUtopie, qui résultent de sa réception (c'est-à-dire : des personnes par qui elle fut lue et des époques où elle fut lueModèle:Sfn), ne peuvent être présentées ni résumées ni mêmes esquissées ici. Par exemple, dès sa parution la réception de l'Utopie ne fut pas la même dans le cercle des humanistes proche de Thomas More<ref group="n">Les paratextes et les parerga de La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie (exceptés ceux rédigés par l'auteur) témoignent des diverses interprétations et réceptions de lUtopie dans le cercle humaniste proche de Thomas More.</ref> et dans le cercle élargi des humanistesModèle:Sfn. Cette réception fut différente en France aux Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle et au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle. Autre exemple, cette réception est contrastée au sein du marxisme : à la fin du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, distinguant le communisme de Thomas More de celui de Platon, l'allemand Karl Kautsky réserve une place d'honneur à l'auteur anglais dans l'histoire du socialismeModèle:Sfn ; en 1918 à Moscou, le nom de Thomas More est inscrit sur l'Obélisque dédié aux penseurs désignés comme précurseurs de l'idéologie socialiste<ref group="n">Voici les noms inscrits sur cet Obélisque (de bas en haut) : Gueorgui Plekhanov, Nikolaï Mikhaïlovski, Piotr Lavrov, Nikolaï Tchernychesvki, Mikhaïl Bakounine, Pierre-Joseph Proudhon, Jean Jaurès, Charles Fourier, Édouard Vaillant, Claude Henri de Rouvroy de Saint-Simon, Thomas More, Gerrard Winstanley, Jean Meslier, Tommaso Campanella, August Bebel, Ferdinand Lassalle, Wilhelm Liebknecht, Friedrich Engels et Karl Marx.</ref> ; en pleine vogue marxiste en France au milieu du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, les Éditions sociales rééditèrent l'UtopieModèle:Sfn précédée d'une introduction réaffirmant le socialisme de More<ref group="n">Ainsi, Marcelle Bottigelli-Tisserand voit dans l'abolition de la propriété privée « l'idée maîtresse de L'Utopie qui situe cette œuvre dans la lignée des théories socialistes » (1982 ; p. 54). Elle écrit plus loin (1982 ; p. 68-69) : « Dans la longue et fertile tradition anglaise de l'utopie, l'ouvrage de Thomas More apparaît comme l'anticipation la plus audacieuse, la plus passionnée et la plus raisonnée à la fois. L'essentiel de cette œuvre, qui reste si jeune après plus de quatre siècles et demi, c'est l'analyse des causes de la pauvreté et la construction d'une société sans classes reposant sur une vaste économie communiste. » Déjà présents dans l'édition de 1966, ces mots constituent le paragraphe conclusif de l'introduction à la nouvelle édition de 1982. (Pour l'anecdote : en 1966 le film A Man For All Seasons, qui présentait l'auteur de lUtopie sous un autre jour, reçu l'Oscar du meilleur film)</ref> ; au début du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, Ellen Meiksins Wood biffa cet auteur de la lignéeModèle:Sfn. Dernier exemple, la réception et la lecture de l'Utopie sont loin d'être uniformes au sein de la communauté catholique (les croyants, le clergé, la curie et les papes, les penseurs, les critiques et les commentateurs)Modèle:Sfn,<ref group="n">Outre l'exégèse du texte même abordé plus bas, ce sont aussi la lecture et l'usage de lUtopie dans certains contextes qui doivent être relevés. Par exemple en Pologne au cours du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle : alors que Thomas More est érigé en penseur du socialisme par le régime soviétique (pour son Utopie seulement), les lecteurs catholiques polonais réfléchissent, eux, sur les écrits d'un saint de l'Église catholique ; par suite, insistant sur le message chrétien de lUtopie, ces lecteurs interprètent le « communisme » de Thomas More comme étant fidèle au message du Christ prônant la « communauté de biens » et ils le dissocient de la lignée socialiste constituée par la pensée marxiste.</ref>.

Fichier:1518 Thomas More Utopia Book (Front Cover) (The Folger Shakespeare Library).jpg
Utopia. Plat de l'exemplaire conservé à la Folger Shakespeare Library. (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »)

Concernant la seconde difficulté, la découverte et l'établissement de la correspondance de Thomas More et de celle d'Érasme (ou d'autres humanistes) offrent parfois un substitut à l'absence du manuscrit<ref group="n">Occasionnellement citées dans cet article, certaines lettres échangées entre Thomas More et Érasme permettent de retracer la rédaction de lUtopie et de connaître l'état d'esprit de son auteur.</ref>, parfois cette correspondance garde les traces des jugements de More sur son Utopie : à Antonio Bonvisi il écrit « C'est par amitié que vous me dites du bien de lUtopie : ce livre n'aurait pas dû quitter son île » ; à William Warham il écrit « c'était un ouvrage qui m'a échappé avant qu'il n'eût été vraiment retravaillé »Modèle:Sfn. Quant aux opinions de More et à ses agissements au cours de sa carrière politique, ceux-ci sont diversement interprétés par les commentateurs lorsqu'ils sont comparés au texte de lUtopie. Pour n'évoquer qu'une controverse qui divise toujours la critique : l'instauration par Utopus d'une certaine tolérance religieuse sur l'île d'Utopie mise en regard avec l'intransigeance de More dans les faits. Deux exemples : lors de l'« affaire Hunne » à Londres en 1514<ref group="n">Richard Hunne, lors de l'enterrement de son bébé, refusa de faire un « cadeau mortuaire » au prêtre qui organisa la cérémonie (une pratique alors traditionnelle mais de plus en plus contestée). Il fut enfermé en prison et retrouvé pendu dans sa cellule avant son procès, un suicide fut annoncé mais tout indiqua qu'il ne se pendit pas. Malgré tout, le procès (relevant d'une cour ecclésiastique) se poursuivit et Richard Hunne fut condamné pour hérésie de manière posthume.</ref>, More assista au déroulement du procès et approuva le verdict ; après la publication des 95 thèses de Martin Luther, More lutta avec acharnement contre le protestantisme et les hérétiques, dont plusieurs furent brûlés vifs lorsqu'il était chancelier.

Enfin, comme le rappelle Edward L. Surtz, il ne faut pas oublier l'originalité de cette œuvre : « Utopia, as a typical product of the English Renaissance, strives not only to profit readers by its teaching, but also to amuse them by its humor, irony, and cleverness. The fact that it is a subtle and imaginative piece of literature and not a mere sober political, social, or economic treatise must never be forgottenModèle:Sfn. » (« Utopia, en tant que produit typique de la renaissance anglaise, s'efforce non seulement de faire profiter les lecteurs de son enseignement, mais aussi de les amuser par son humour, son ironie, et son intelligence. Le fait que ce soit un texte subtil et imaginatif et non un sobre traité politique, social, ou économique ne devra jamais être oublié. »). Pour James Colin Davis, toutes ces difficultés expliquent en partie pourquoi « controversy has raged unabated about the correct interpretation of the text and, for many, Utopia has come to seem a question without an answerModèle:Sfn. » (« [pourquoi] la controverse a fait rage sans relâche à propos de l'interprétation correcte du texte et, pour beaucoup, Utopia est devenu une question sans réponse. »). En ce début de Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, cette phrase de Davis résume la position majoritaire des critiques et des commentateurs après avoir lu La meilleure communauté politique et la nouvelle île d'Utopie ; néanmoins, même pour ces critiques, ces commentateurs et ces spécialistes, cette position ne clôt nullement les supputations sur le livre<ref group="n">Comme l'indique Marie-Claire Phélippeau (rédactrice en chef de la revue Moreana), de nouvelles études consacrées à lUtopie paraissent régulièrement et parfois certaines affirment avoir trouvé réponse à la question " Quelle fut l'intention de Thomas More lorsqu'il rédigea La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie ? " (i.e. : Quelle est la signification de lUtopie ? Ainsi, dans son long article paru en 2016 « The Prince of Utopia. Thomas More's "Utopia" and the Low Countries » (voir la bibliographie), Maarten Vermeir suggère de replacer lUtopie aux Pays-Bas et de lire le texte de Thomas More dans une perspective hollandaise. Certes, de nombreux commentateurs et spécialistes ont déjà souligné qu'il fallait placer le texte de Thomas More dans le cercle humaniste érasmien (ainsi qu'avoir les textes d'Érasme sous la main pendant la lecture de lUtopie) ; Maarten Vermeir va plus loin, il considère que Thomas More a composé un textecontinental : ainsi, bien qu'il fasse allusion à la politique du royaume d'Angleterre dans son Utopie, ce serait la politique menée par les humanistes continentaux aux Pays-Bas qui innerverait l'intégralité de La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie. Par exemple : l'organisation du régime politique de l'île d'Utopie en différents comtés (chacun possédant une assemblée élective) surplombés par un sénat serait directement inspirée de l'organisation politique des Pays-Bas. Pour supporter sa thèse, Maarten Vermeir s'appuie sur les nombreuses mentions et allusions faites à la personne et aux idées de Jean le Sauvage (chancelier du Brabant) dans les parerga et le texte de lUtopie. Maarten Vermeir écrit à la page 423 de son article (traduction depuis l'anglais) : « Nous pouvons dire que les plans de le Sauvage regardant l'avenir des royaumes espagnols s'inscrivent dans le programme de promotion et de diffusion de la culture et du système politique du Brabant via l’Utopie dans toute la Respublica Christiana et aussi, conséquemment, dans les deux royaumes espagnols où saboter la réunion dynastique et politique de la Castille et de l’Aragon avec les Pays-Bas bourguignons soutiendrait le souhait politique exprimé par Érasme dans son Institutio Principis Christiani, écrit à l’invitation de Jean le Sauvage, de ne pas agréger les états européens en empires menaçants au moyen de réunions dynastiques royales. »</ref>. Ci-après, sont exclusivement citées et mentionnées des interprétations de lUtopie formulées au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle et au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle : certaines sont devenues incontournables, certaines tentèrent de renouveler la lecture du livre et certaines, bien que contestées, marquent toujours la réception de ce texte au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle.

Exégèses religieuses

Thomas More fut un fervent chrétien. Il est vénéré comme saint par l'Église catholique (saint Thomas More), béatifié, en 1886, par le pape Léon XIII et canonisé, en 1935, par le pape Pie XI<ref name="Watson2">Keith Watson, Sir Thomas More, dans Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée (Paris, Unesco : Bureau international d’éducation), vol. XXIV, Modèle:N°1-2, 1994, Modèle:P. Modèle:Lire en ligne.</ref>. Dans le calendrier liturgique, à partir de 1970, son culte et sa fête sont étendus à l'Église universelle par le pape Paul VI. En l'an 2000, le pape Jean-Paul II le fait saint patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques<ref>Motu proprio du pape Jean-Paul II pour la proclamation de saint Thomas More comme patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques le 31 octobre 2000.</ref>,<ref>Saint Thomas More, patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques.</ref>. Parmi ses écrits et ses ouvrages qui témoignent d'une spiritualité profonde, on peut citer son Dialogue du réconfort dans les tribulations<ref>Voir sur livres-mystiques.com.</ref>.

LUtopie, sans être un écrit proprement religieux, est un texte qui fourmille de référence aux écrits religieux, notamment à la Bible. Dans son édition de lUtopieModèle:Sfn, André Prévost recense toutes ces références (voir ses notes complémentaires), et il propose une exégèse religieuse du texte de Thomas More dans son introduction au texte.

Lectures politiques

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Page 25, Dialogue of Counsel (The Folger Shakespeare Library).jpg
La discussion au jardin (détail de la page 25). (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »)

Quelle est la politique, quelle est la visée politique ou quel est le propos politique de Thomas MoreModèle:Sfn ? Peut-on réellement y voir les prémices du socialisme ou du communisme ? S'adressait-il directement au peuple ? Les lectures politiques faites de l'Utopie se sont attardées sur l'une ou plusieurs de ces questions, certains commentateurs ne s'attardèrent que sur le Livre I ou sur le Livre II, certains commentateurs s'attardèrent sur un point politique précis traversant tout l'Utopie, quand d'autres commentateurs s'attardèrent à la manière dont l'Utopie fut rédigée et présentée au lecteur. Schématiquement, il y a deux façons d'aborder politiquement l'Utopie : la présentation des propos et des propositions politiques (écriture, éditions, formulations, etc.) ; les propos, les propositions et les réalisations politiques en elle-même (leurs principes, leurs contenus, leurs faisabilités, etc).

Une écriture politique

Pour commencer, il faut peut-être s'attarder sur la rhétorique qui innerve ce livre. Selon Laurent Cantagrel : Modèle:Citation bloc Pour Miguel Abensour, c'est l'écriture même de l'Utopie qui est politique, pas simplement sa forme ni la tradition dans laquelle elle s'inscritModèle:Sfn.

Des propositions politiques

Dans l'Utopie, les personnages Thomas More et Raphaël Hythlodée tiennent un grand nombre de propos politiques et ils exposent un nombre impressionnant de réalisations politiques. Tout ou partie de ces propos et réalisations politiques furent questionnés par les commentateurs.

Observations philosophiques

Thomas More étudia à Oxford, il y eut comme maîtres William Grocyn et Thomas Linacre. Ce dernier forma le Cercle d'Oxford, une brillante coterie de lettrés qui comptait parmi ses membres John Colet, William Latimer et Grocyn. Auprès de ce dernier, More reçu des leçons de philologie, de critique et d'exégèse ; tandis que Linacre lui enseigna et lui expliqua AristoteModèle:Sfn. Le clin d'œil à Platon dans le « Sizain d'Anémolius » signale que More fut familier de ses écrits, et quelques allusions dans L'Utopie signalent que More lut les écrits d'Augustin. Sans être un écrit proprement philosophique, il y a de la philosophie dans le texte de l'Utopie, certains interprètes de ce texte firent quelques observations philosophiques à ce sujet (Marie Delcourt, Simone Goyard-Fabre, Jean-Yves Lacroix).

Approches littéraires

LUtopie a donné naissance à un genre littéraire à part entière, le genre utopique. Ce genre naquit de l'essor de la littérature au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle et au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, un essor permis, entre autres, par le développement de l'imprimerie et l'augmentation progressive de la diffusion des livres dans les différentes couches de la société. Par ses caractères singuliers et pluriels (au croisement des récits de voyage, des propos et propositions politiques, de la vérité et de la fausseté, du sérieux et du futile), le genre utopique, l'Utopie, sont étudiés aujourd'hui sous le genre littéraire narratif. LUtopie est alors abordée comme une fiction : l'épopée d'Utopus qui conquiert Abraxa ou le récit de voyage de Raphaël Hythlodée.

Toutefois, la composition et l'écriture de l'Utopie emprunte à d'autres genres littéraires : épistolaire (la simple correspondance exemplifiée par la lettre d'Érasme à Johann Froben, le genre épistolaire avec l'échange entre Pierre Gilles et Jérôme de Busleyden, enfin l'épître avec la lettre-préface de Guillaume Budé), poétique (les épigrammes conclusifs de l'édition de 1518), argumentatif (nombre de paraboles sont présentes dans lUtopie, l'influence des fabliaux ne peut être exclue). Pour finir, une autre branche des études littéraires s'est penchée sur une composante importante de lUtopie : la rhétorique. Et il ne faut pas oublier la satire ou le dialogue philosophique.

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Vtopiae Insvla + Vtopiensivm Alphabetvm (The Folger Shakespeare Library).jpg
Pages 12 et 13 de l'Utopie dans l'édition de novembre 1518 chez Johann Froben. À gauche se trouve la carte de l'île d'Utopie (de la main d'Ambrosius Holbein), à droite se trouve l'« Utopiensium Alphabetum » et le « Tetrastichon vernacula utopiensium lingua » (vraisemblablement composés par Pierre Gilles). (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »)

Traditions et inspirations

Lorsqu'il rédige lUtopie, Thomas More emprunte et singe de nombreuses forme d'écrits dont il avait connaissance, par exemple : l'épopée, le fabliau, le récit de voyage, le dialogue philosophique ou la satire. Il met à profit toutes les dimensions de l'art rhétorique : sa tradition, ses composantes et la façon dont il est enseigné dans les écoles d'alors. Une dimension essentielle de l'art rhétorique est présente dans lUtopie : l'oralité. À l'époque les livres sont lus à voix haute, ainsi chaque lecteur de lUtopie lisait ce texte à voix haute.

Novations

L'Utopie est un livre fondateur pour la pensée utopiste. Cette œuvre, ce livre, sont devenus la matrice littéraire d'un genre littéraire : l'utopie. Différentes formes d'écrits sont articulés différemment et créent ainsi une nouvelle forme d'écrit. C'est cette articulation qui fait le noyau d'un écrit utopique : la description d'un pays autre et la discussion de ses institutions. Rétrospectivement, ce sont ces deux éléments qui forment le genre utopique, ces deux éléments qui font d'une fiction littéraire : une utopie.

Ainsi, Raymond Trousson dans son Voyages au pays de nulle part, sous-titré : Histoire littéraire de la pensée utopique.

Abords de l'imagination et de l'imaginaire

Dans l'Utopie, Thomas More semble faire preuve d'une inventivité sans limite. Mais il ne fut pas le seul auteur à décrire une cité idéale, d'autres le firent avant lui et d'autres après lui. Aussi, certains interprètes ont vu dans cette récurrence des descriptions de cités idéales (certes fort diverses) une constante de l'imagination, une sorte de schème réflexif. (Claude Gilbert Dubois, Jean-Jacques Wunenburger).

D'autres interprètes se sont attachés à étudier cet imaginaire à l'œuvre dans l'Utopie (Louis Marin).

Influence

Perspective générale

Modèle:Article détaillé Pour le dire vite, esquisser l'histoire des œuvres influencées par l'Utopie au cours des siècles, c'est retracer l'histoire de différentes interprétations et réceptions des quatre éditions de La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie réalisées par Thomas More en compagnie d'un groupe d'humanistes de 1516 à 1518. Aussi faut-il rappeler quelques faits : imprimée après l'affichage des 95 thèses de Martin Luther dans un contexte social, politique et religieux européen totalement différent, l'édition ne varietur de l'Utopie vit la réception et l'interprétation de son message chrétien irrémédiablement altérées (la décapitation de son auteur fit le reste) ; diffusé hors des cercles humanistes proches des centres de pouvoir, le texte de l'Utopie tomba dans les mains d'un lectorat auquel il ne fut pas adressé (les siècles suivants accentuèrent cet écart) ; enfin, traduit dès le Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle dans plusieurs langues vernaculaires, les qualités et les singularités du texte latin de l'Utopie furent inévitablement perdues, sans parler des motivations des traducteurs successifs ni de la composition des éditions dans lesquelles ces traductions furent publiées (avec tout ou partie des Livres I et II, avec ou sans les parerga et les paratextes originelsModèle:Sfn)<ref group="n">Ceci étant rappelé, cela n'enlève rien à l'originalité ni aux qualités des œuvres trop brièvement présentées dans cette section « Influence ». Thomas More lui-même interpréta l'œuvre de Platon à la lumière du christianisme, quant à sa réception des textes de Platon elle fut tributaire de ses maîtres oxfordiens et des traductions de Marcile Ficin. De fait, le " Platon " de Thomas More n'est pas notre " Platon " du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle (et encore moins Platon lui-même). Bref, pour être clair : lorsqu'un auteur crée une œuvre qui procède d'une interprétation et d'une réception plus ou moins fidèles du travail d'autrui, cela ne disqualifie pas l'œuvre nouvellement créée. Cela vaut pour l'Utopie comme pour toutes les œuvres mentionnées ci-après.</ref>.

L'Utopie de More influença un grand nombre d'auteurs : certains mentionnèrent l'île d'Utopie dans leurs textes ou rendirent grâce à son auteur ; d'autres s'en inspirèrent librement, ne retenant qu'une idée ou qu'un détail de l'Utopie ; d'autres encore imitèrent tout ou partie de la composition de l'Utopie ; d'autres enfin prirent l'Utopie à la lettre et tentèrent de passer du texte à l'action. Depuis notre Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, il est possible de distinguer deux sortes d'œuvres influencées par l'Utopie de Thomas More : celles qui sont listées dans les histoires ou les dictionnaires de l'utopie et les autres.

Quelques dernières précisions en forme de chronologie synthétique : avec le temps, l'influence du texte et du livre La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie diminue jusqu'à presque disparaître au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle ; depuis le Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle l'influence de l'utopie comme genre littéraire prend le relais<ref group="n">Le succès de genres littéraires comme la contre-utopie, l'anti-utopie, la dystopie ou la science-fiction prouvent que l'utopie littéraire influence toujours certains auteurs, ne serait-ce que négativement (c'est-à-dire comme genre littéraire à ne pas ou ne plus suivre).</ref> ; depuis le Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle le concept philosophique d'utopie ne cesse d'être raffiné et critiqué ; enfin, depuis le Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle l'idée sociale-politique d'utopie ne cesse de se répandre et d'influencer nombre d'auteurs, de penseurs et de citoyens<ref group="n">Depuis le Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle la diffusion, les emplois et les contextes d'usage du mot « utopie » sont si variés qu'ils sont le plus souvent fort éloignés du livre et du texte de Thomas More.</ref>.

Sinon, le texte et les personnages d'Utopie ont inspiré de nombreuses créations et improvisations, non seulement cinématographiques (ou télévisées), mais aussi musicales et théâtrales ; enfin, de nombreuses Modèle:Page h' ont repris son nom paradoxal.

L'Utopie en France au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle

Fichier:1525-1535 Fraçois Rabelais Pantagruel.jpg
Frontispice de Pantagruel (1525-1535), livre écrit par François Rabelais. (« Source : Gallica — Bibliothèque Nationale de France »)

Pour faire court, Thomas More est connu en France au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle. Claire Pierrot rappelle que « More [eut] maille à partir avec un érudit, Germain de Brie, qui publi[a] l'Antimorus, libelle qui s'attaque à la fois au goût de More pour le comique, son maniement libre du latin et sa façon de concevoir le genre de l'élogeModèle:Sfn. » Mais, comme l'indique Jean Céard, « c'est au chancelier d'Angleterre, martyr de la foi, que vont la plupart des mentionsModèle:Sfn. » Il ajoute : « fugitives ou détaillées, ces mentions sont le plus souvent silencieuses sur l'UtopieModèle:Sfn. »

Toutefois, quelques livres montrent que l'Utopie est connu et lu. Ainsi, un pamphlet contre les théologiens de la Sorbonne publié aux alentours de 1526 est intitulé Misocacus ciuis utopiensis Philaletis ex sorore nepotis Dialogi tres, l'adresse de l'imprimeur est Apud Utopiæ Aurotum et « l'explicit précise : Amauroti in metropoli UtopiæModèle:Sfn. » Jean Céard souligne : « Pour que l'on ait choisi d'accumuler ainsi les références à l'Utopie de More dans un texte polémique, on devait être bien certain qu'elles seraient tout de suite perçues des lecteurs et qu'ils étaient assez bien informés du livre pour en saisir la portéeModèle:Sfn. » Dans l'article qu'il consacre aux premiers lecteurs français de l'Utopie au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, Jean Céard observe que le livre de Thomas More rencontra « un certain intérêt en France et [que] l’ouvrage y a été vraiment luModèle:Sfn. » Parmi les noms relevés par Jean Céard, on trouve : Guillaume Budé, Jean Le Blond, Barthélemy Aneau, Jean Bodin, Guillaume de La Perrière, Loys Le Roy et Jean de SerresModèle:Sfn, ainsi que Gratien du Pont et Théodore Agrippa d'AubignéModèle:Sfn. De son côté, Claire Pierrot note : « C'est Rabelais qui favoris[a] la vulgarisation de l'Utopie par le succès de ses romans et des productions autour de la geste gargantuineModèle:Sfn. »

En effet, dans son livre intitulé Pantagruel<ref>Modèle:Ouvrage</ref> (1532), François Rabelais fait deux clins d'œil à l'ouvrage de Thomas MoreModèle:Sfn : la mère de Pantagruel est « fille du roi des Amaurotes en Utopie » ; aussi, Gargantua signe sa fameuse lettre dressant un programme éducatif idéal, qu'il adresse à Pantagruel, depuis « Utopie »Modèle:Sfn. Pour Verdun-Louis Saulnier : « On a le droit de penser que l'Utopie fut parmi les livres qui stimulèrent la pensée de Rabelais. Il n'en est que plus remarquable que Morus ne soit jamais cité dans son œuvre, accueillante aux noms de ses maîtresModèle:Sfn. » Parfois, un lieu du livre Gargantua est considéré comme une utopie (une micro-société utopique), il s'agit de l'Abbaye de Thélème.

Fichier:Geoffroy Tory Champ fleury p.LXXVIII « Lettres Utopiques & Voluntaires ».jpg
« Lettres Vtopiques & Voluntaires », planche réalisée par Geoffroy Tory pour son livre Champ fleury paru en 1529. (« Source : Gallica — Bibliothèque Nationale de France »)

À comparer les dates, c'est l'imprimeur et libraire Geoffroy Tory qui fit entrer le premier dérivé du mot latin Utopia dans la langue française en 1529 dans son traité de dessin de caractères intitulé Champ fleury. Au quel est contenu L'art & Science de la deue & vraye Proportion des Lettres Attiques, qu'on dit autrement Lettres Antiques, & vulgairement Lettres Romaines proportionnées selon le Corps & Visage humain<ref>Modèle:Ouvrage</ref> (graphie légèrement modernisée). En hommage à Thomas More, Tory publia sur une page entière le dessin des lettres de l'alphabet utopien légèrement reprises et nommées « Lettres Utopiques & Voluntaires » (voir ci-contre à gauche). Tory rajouta même une lettre à cet alphabet utopien : le « z ». En guise de présentation de ces lettres, Tory écrit : « j'appelle Utopiques pource que Morus L'anglois les a baillées & figurées en son Livre qu'il a faict & intitule Insula Vtopia, L'isle Utopique. Ce sont Lettres que nous pouvons appeller Lettres volutnaires /& faictes à plaisir » (Feuil. LXXIII, verso ; graphie légèrement modernisée).

Sinon, un autre livre publié en France au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle comporte une utopie (un passage utopique), il s'agit d'un « roman fort peu connu »Modèle:Sfn de Barthélemy Aneau intitulé Alector. Kirsti Sellevold remarque qu'Aneau rédigea Alector alors qu'il fut en pleine révision et correction de la première traduction française de l'Utopie réalisée par Jean Le BlondModèle:Sfn. Verdun-Louis Saulnier observe : « Si le Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle français a peu connu, à la suite de More, de créations authentiquement utopiques, c'est qu'il préfère ordinairement le voyage imaginaire, et à l'occasion le contraire de l'utopie, à savoir la position satirique positive, procédant par une représentation allégorique et critique du réel (là où l'utopie donne un négatif flatteur)Modèle:Sfn. »

Pour finir, un avocat du Parlement de Paris, René Choppin, loua Thomas More et son Utopie dans son ouvrage intitulé De Privilegiis Rusticorum Libri Tres. C'est au sud de Paris dans sa propriété de Cachan que René Choppin tenta d'appliquer une loi utopienne qu'il affectionnait tout particulièrement : celle selon laquelle tout Utopien et Utopienne doit tous les deux ans travailler aux champs. Cependant, comme le résume Natalie Zemon Davies : « One lawyer dreamed of a society in which peasants would be more effectively exploited than before ; the other of a society in which both peasants and exploiters had disappearedModèle:Sfn. » Le premier fut René Choppin, le second Thomas More. Zemon Davies écrit : « More described a society in which the separation between rural and urban life was broken down for everyone and in which agricultural tasks were not despised. Choppin intended a society in which the separation between rural and urban life was broken down for wealthy townsmen, lawyers and magistrates and in which agricultural administration was taken more seriouslyModèle:Sfn. » Il n'en reste pas moins que René Choppin appliqua la loi utopienne dans sa propriété ; malheureusement, lorsqu'il s'absentait les serfs et les contremaîtres songeaient plus à le voler qu'à travailler pour luiModèle:Sfn.

Première traduction en langue française

En 1550 paraît la première traduction de l'Utopie en langue française qui est due à l'humaniste normand Jean Le Blond, voici son titre : La description de l'isle d'Utopie, où est comprins le miroer des républicques du monde, & l'exemplaire de vie heureuseModèle:Sfn (à Paris, édition de Charles L'Angelier, un in-8 de 112 feuillets). Cette traduction est précédée de l'épître de Guillaume Budé parue dans l'édition de 1517 chez Gilles de Gourmont (les autres parerga et paratextes ne furent pas repris), un portrait gravé de Thomas More suit la page de titre et le traducteur joint un poème de sa main, la « Lettre-Préface » de Thomas More adressée à Pierre Gilles a disparu et est remplacée par une présentation de Raphaël HythlodéeModèle:Sfn.

Annexes

Paratextes et parerga éliminés

Le livre résumé dans cet article correspond à la dernière édition de l'Utopie à laquelle participa Thomas More. Aujourd'hui, cette édition est considérée comme celle qui fixe, pour toujours, à la fois le texte définitif et la présentation définitive du livre intitulé La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie. Comme il est expliqué plus haut (« Quatre éditions »), les première et deuxième éditions du texte Utopie publiées en 1516 et en 1517 ne furent pas présentées de la sorte, ni composées des mêmes parerga et paratextes. Ci-dessous, les paratextes et les parerga qui furent publiés dans ces deux éditions mais non reproduits par la suite sont brièvement présentés et résumés. (Pour le détail de ces éditions voir en fin d'annexe « Les quatre éditions latines de l'Utopie »)

Après ces paratextes et parerga, un passage d'une lettre de Beatus Rhenanus adressée à Willibald Pirckheimer est résumé en quelques mots ; des noms de lieux et de personnages de l'Utopie sont succinctement explicités ; enfin, l'extrait d'une lettre de Thomas More envoyée à Érasme, dans laquelle il se rêve en prince d'Utopie, est rapporté.

La page de titre de 1516

Dans l'édition princeps supervisée par Érasme et Pierre Gilles chez Thierry Martens, la page de titre est une longue phrase présentant le titre de l'œuvre, le nom de son auteur, le nom de l'éditeur, celui de l'imprimeur et celui du lieu d'édition. La composition typographique met en avant les premiers mots de cette phrase (« Libellus vere aureus… ») qui, telle une formule liminaire, sont peut-être destinés « à solliciter chalands curieux ou lecteurs décidésModèle:Sfn. » Voici la traduction de cette page de titre :

Fichier:Thomas More Utopia 1516 Libellus vere aureus nec minus salutaris quam festivus. De Optimo reipublicae Statu, deque nova Insula Utopia (Bibliothèque Mazarine).jpg
Page de titre de la première édition parue en 1516 chez Thierry Martens. (« Source : Bibliothèque Mazarine »)

Modèle:Vers

Ainsi, la formule « libellus uere aureus » occupe « la première ligne en belles grasses gothiques »Modèle:Sfn. Suzanne Gély rappelle la définition de « Libellus » : c'est un petit livre, « de dimensions, voire de prétentions modestes » ; mais ce peut être aussi un « bref écrit de combat », un « libelle »Modèle:Sfn.

De son côté, Jean-François Vallée relève une coïncidence qui n'est sans doute pas fortuite : « Le début de l’édition Froben de 1515 de L’Éloge de la folie (Moria encomium) se lit comme suit : Stulticiaelaus, libellus vere aureus, nec minus eruditus, & salutaris, quam festivus<ref>Modèle:Ouvrage</ref>. Tandis que le titre de l’édition de Louvain de L’Utopie commence ainsi : Libellus vere aureus nec minus salutaris quam festivus. Seule l’absence de l'érudition distingue donc le livre de More de celui de son ami Érasme…Modèle:Sfn » Par ailleurs, Il faut noter que ce frontispice de 1515 est utilisé comme frontispice aux Epigrammata de Thomas More dans l'édition de l'Utopie de novembre 1518 (voir plus bas « 1518 La lettre de Beatus Rhenanus à Willibald Pirckheimer (Extrait) »).

La page de titre de 1517

Imprimée à Paris chez Gilles de Gourmont en 1517, la deuxième édition de l'Utopie supervisée par Thomas Lupset (en suivant les instructions d'Érasme) propose une nouvelle page de titre. La phrase est devenue un paragraphe, outre le nom de l'auteur deux nouveaux noms apparaissent : Érasme (à qui des annotations son attribuées), Budé (dont une lettre est ajoutée à cette édition). Ce nom de Guillaume Budé figurant sur la page de titre : « quel meilleur garant pour un public français de la République des LettresModèle:Sfn ? »

Mais il n'y a pas que la page de titre qui est modifiée, c'est la composition même du livre qui est revue : « Les deux amis [More et Érasme] décidèrent de donner à l'édition de Paris un ton plus sévère, écrit André Prévost. Le mot festivus du titre de Louvain serait remplacé par celui d'elegans ; les jeux de l'alphabet utopien, du poème en langue utopienne, de la carte disparaîtraientModèle:Sfn. » En sus, Thomas More ajouterait une seconde lettre annoncée à la fin de cette nouvelle page de titre. Voici la traduction de cette page de tire :

Fichier:Thomas More Utopia 1517 Page de titre (John Carter Brown).png
Page de titre de la deuxième édition parue en 1517 chez Gilles de Gourmont. (« Courtesy of the John Carter Brown Library »)

Modèle:Vers

Dans cette nouvelle formulation, Suzanne Gély remarque ceci : « Libellus, s'est ici neutralisé en opusculum, en troisième ligne et en minuscules, cependant toujours accompagné de l'épithète qui lui attribue l'éclat d'orModèle:Sfn. » Peut-être faudrait-il rapprocher cette remarque de celle d'André Prévost : « L'édition a été faite sous forme de manuel. Budé est l'un de ces notables qui ont recommandé le format maniableModèle:Sfn. » En latin, « opusculum » signifie « petit ouvrage ».

Le frontispice de mars 1518

Fichier:Thomas More Utopia 1518 March De Optimo reip. statu deque noua insula Vtopia (Universitätsbibliothek Basel).jpg
Frontispice de la troisième édition parue en mars 1518 chez Johann Froben. (« Source e-rara.ch / Universitätsbibliothek Basel »)

Les éditions de l'Utopie imprimées chez Johann Froben sont regardées par les critiques et les commentateurs contemporains comme les plus abouties, l'édition de mars 1518 fut utilisée par Edward L. Surtz et Jack H. Hexter pour établir l'édition de référence anglaiseModèle:Sfn, tandis que l'édition de novembre 1518 fut utilisée par André Prévost pour établir l'édition de référence françaiseModèle:Sfn. La supervision de ces deux éditions fut confiée par Érasme à Beatus Rhenanus : l'ordonnancement des paratextes et des parerga fut revu pour l'édition de mars puis conservé dans celle de novembre ; de nouvelles lettrines font leur apparitions, la mise en page du texte n'est pas identique dans l'édition de mars et celle de novembre ; Thomas More eut l'occasion de revoir son texte et d'effectuer quelques corrections pour les deux impressions. Quant à la présentation extérieure du livre, « elle fait entrer l'Utopie dans la classe des éditions de luxe, écrit André Prévost. Grâce à la présence d'Ambrosius Holbein et de Hans Holbein [le Jeune] à Bâle, Froben fait exécuter pour les titres et les grandes divisions du texte : frontispices, illustrations de scènes typiques, initiales, des gravures sur bois qui rehaussent singulièrement le charme de l'œuvreModèle:Sfn. »

Ainsi, dans l'édition de mars 1518 un frontispiceModèle:Sfn remplace les pages de titre des précédentes éditions. Ce frontispice, remarque André Prévost, n'a « aucun rapport avec le texteModèle:Sfn. » En fait, ce frontispice dessiné par Hans Holbein le Jeune « avait déjà servi de page de titre à d'autres œuvres d'Érasme publiées l'année précédenteModèle:Sfn. » André Prévost décrit brièvement ce frontispice : dans le haut, « une "Véronique" »Modèle:Sfn avec, au sommet, « une tête de Christ couronné d'épines »Modèle:Sfn ; dans le bas, « une scène tragique, le suicide de Lucrèce », le tout « encadré d'amours et de grotesques diversModèle:Sfn. »

En mars 1518, le titre de l'ouvrage change de nouveau. Suzanne Gély relève que « le terme libellus qui figurait en première place dans le titre de l'édition de Louvain » passe définitivement au second planModèle:Sfn. En effet, voici le nouveau titre : DE OPTIMO REIP. STATU, deque noua insula Vtopia. Libellus uere aureus, nec minus salutaris quam festiuus, clarissimi disertissimique uiri THOMAE MORI inclytae ciuitatis Londinensis ciuis & Vicecomitis. Ce titre est repris tel quel dans l'édition de novembre 1518.

1516 La première carte de l'île d'Utopie

La gravure de la carte présente dans l'édition princeps est attribuée à un « peintre éminent » par Gerhard Geldenhauer dans une lettre à Érasme datée du Modèle:Date-Modèle:Sfn ; André Prévost, suivant en cela Edward L. Surtz, attribue le dessin de la carte à Gerhard Geldenhauer lui-mêmeModèle:Sfn. Selon Edward L. Surtz, les lettres « NO » inscrites sur le pavillon de la caravelle sont celles de l'alias que Gerhard Geldenhauer utilise pour signer sa correspondance : « No. », soit « Noviomagus »Modèle:Sfn,<ref group="n">De l'édition princeps de 1516 à l'édition ne varietur de novembre 1518, le poème de Gerhard Geldenhauer est signé du nom de « Gerardus Noviomagus ».</ref>. Dès la première édition, la carte est placée en regard de l'alphabet utopien ; plus exactement : la carte de l'île d'Utopie, l'alphabet et le poème utopien forment une double-page ; cette composition est voulue et recherchée, elle est reprise dans les deux éditions de 1518.

Fichier:Thomas More Utopia 1516 VTOPIAE INSVLAE FIGVRA (Bibliothèque Mazarine).jpg
Carte de l'île d'Utopie gravée pour la première édition chez Thierry Martens en 1516, titrée « VTOPIAE INSVLAE FIGVRA ». Elle disparut de l'édition de 1517 imprimée chez Gilles de Gourmont. (« Source : Bibliothèque Mazarine »)
Fichier:Thomas More Utopia 1518 March VTOPIAE INSVLAE TABULA (Universitätsbibliothek Basel).jpg
Carte de l'île d'Utopie gravée pour l'édition de mars 1518 chez Johann Froben, elle est reprise dans l'édition de novembre sans le titre « VTOPIAE INSVLAE TABVLA ». (« Source e-rara.ch / Universitätsbibliothek Basel »)

Concernant la gravure (ci-contre à gauche), la carte représente certains des détails rapportés au début du Livre II de l'Utopie : l'isolement de l'île est représenté (l'isthme est déjà creusé), la forme de croissant est suggérée, les difficultés d'accès sont indiquées (le rocher qui se dresse à l'entrée de la baie), la circularité du fleuve est respectée, la répartition équidistante des villes est symbolisée, la capitale est située au centre de l'île (bien que son nom soit écrit juste au-dessus), les défenses et les fortifications sont représentées (la tour de défense qui se dresse sur le rocher, les murailles de la capitale), le commerce maritime est rappelé (un bateau est au mouillage, un autre arrive ou quitte l'île, tandis qu'on aperçoit des voiles à l'horizon en haut à droite de la carte). La composition et la représentation de cette première carte sont plus ou moins reprises dans la carte de 1518 (voir ci-contre à droite).

Quelques brèves remarques sur les différences entre ces deux cartes : les trois bateaux présents sur la carte de 1516 (la caravelle, le bateau à voile latine et la barque masquée par la caravelle) sont reproduits comme en miroir sur celle de 1518 (sur la caravelle le personnage fait désormais face au lecteur, alors qu'en 1516 il semblait regarder l'île d'Utopie) ; sur la carte de 1518, des personnages sont présents sur le rivage (Hythlodée, possiblement Thomas More, un soldat) ; la ville imposante visible en arrière plan sur la carte de 1516 a disparu de celle de 1518 ; comme accrochée au cadre qui ceint la gravure, une guirlande passe au devant de l'île d'Utopie sur la gravure de 1518 ; dernière remarque : des croix sont visibles sur les clochers des églises sur la carte de 1518. Quant à l'image de l'île d'Utopie, est-elle véritablement inversée ? Les noms de la source et de l'embouchure du fleuve Anydre n'ont pas changé de place, mais leur sites oui. Sinon, l'entrée de la mer intérieure semble désormais s'effectuer par l'Ouest, où se dirige le bateau à voile latine, et non plus par l'Est.

Fichier:Thomas More Utopia 1517 Lettre de Jean Desmarais (John Carter Brown).png
Première page de la lettre de Jean Desmarais, édition de 1517 chez Gilles de Gourmont (« Courtesy of the John Carter Brown Library »).

1516 La lettre et le poème de Jean Desmarais

Cette lettre et ce poème de Jean Desmarais figurent dans les deux premières éditions de l'Utopie, la princeps de 1516 chez Thierry Martens et celle de 1517 chez Gilles de Gourmont ; ces deux parerga seront supprimées des éditions de Bâle en 1518. Jean Desmarais, originaire de Cassel, fut « rhéteur et secrétaire général de l'Académie de LouvainModèle:Sfn. »

Dans sa lettre adressée à Pierre Gilles, Desmarais tisse des liens entre les cultures passées et présentes en évoquant de grands écrivains du passé et ceux du présent. Ainsi, « les Grecs et les Romains n'ont pas eu tout l'honneur. L'érudition a brillé aussi dans d'autres régions. L’Espagne a quelques noms célèbres desquels elle s’enorgueillit. La sauvage Scythie a son Anacharsis<ref group="n">Anacharsis fut un sage scythe renommé du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle.</ref>. Le Danemark a son Saxo<ref group="n">« Saxo » est vraisemblablement Saxo Grammaticus, qui rédigea la première histoire du Danemark au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle.</ref>. La France a son Budé. L’Allemagne aussi a nombre d’hommes célébrés pour leurs écrits, l’Angleterre également, et des notables<ref name=":7">Modèle:Lien web</ref>. » Alors, Desmarais s'attache à louer les mérites de Thomas More et à le distinguer : « Mais est-il besoin de parler des autres ? Tenons-nous en à More, car c'est lui qui excelle au suprême degré. Toujours dans la fleur de l'âge, et alors même qu'il fut distrait par les affaires publiques aussi bien que domestiques, il achève tout ce qu'il entreprend plus facilement que ses écrits<ref name=":7" />. »

Ensuite, Desmarais prend du recul, puis il se met en retrait face au talent de Thomas More ; aussi, il évoque les mécènes Charles de Castille et Jean le Sauvage. Pour finir, Desmarais s'adresse directement à Pierre Gilles et le presse de publier l'Utopie rapidement : « je vous demande, savantissime Pierre Gilles, de veiller, dès que possible, à ce que l'Utopie soit publiée. Car dans ce travail, comme dans un miroir, on y verra tout ce qui sera nécessaire pour fonder une République parfaitement ordonnée. Daignât vouloir le Ciel que comme les Utopiens ont commencé d'embrasser notre religion, nous pussions, en échange, emprunter d'eux la forme d'un bon et heureux Gouvernement<ref name=":7" /> ! » Dans le poème (sans titre) qui suit sa lettre, Jean Desmarais s'intéresse aux vertus, un aspect essentiel de l'éthique des Utopiens.

Fichier:Thomas More Utopia 1517 Poème de Jean Desmarais (John Carter Brown).png
Poème de Jean Desmarais, édition de 1517 chez Gilles de Gourmont (« Courtesy of the John Carter Brown Library »). (En haut de la page se trouvent les dernières lignes de la lettre de Desmarais.)

<poem> « Rome donna des hommes courageux, et l'honorable Grèce donna des hommes éloquents, Des hommes stricts donnèrent la renommée Sparte. Marseille donna des hommes honnêtes, et l’Allemagne, elle, des hommes robustes. Des hommes courtois et charmants, l'Attique donna. L'illustre France, un temps, donna des hommes pieux, l’Afrique des hommes prudents. Des hommes munificents, autrefois, les Britanniques donnèrent. Des exemples d’autres vertus sont recherchés chez différents peuples, et ce qui est absent chez l’un, abonde chez l’autre. Une seule région du monde donna la totalité des vertus aux hommes, l’île d’Utopie<ref name=":7" />. » </poem>

1517 La seconde lettre de Thomas More à Pierre Gilles

La seconde lettre de Thomas More, aussi nommée « Impendio », fut jointe à l'édition imprimée en 1517 chez Gilles de Gourmont et supervisée par Thomas Lupset<ref group="n">C'est une « lettre réputée écrite après la première édition et destinée à la fois à affirmer le caractère original de la deuxième [édition] et à répondre aux questions soulevées par l'authenticité du personnage Hythlodée. » (André Prévost, L'Utopie…, op. cit., p. 225)</ref>. Tandis que furent retirés de cette édition la carte de l'île d'Utopie, l'alphabet des Utopiens et le quatrain en langue vernaculaire, la lettre de Guillaume Budé adressée à Thomas Lupset fit son apparition ; quant au texte de l'Utopie, il prit place au centre de la publication (la lettre de Jérôme de Busleyden, le poème de Gerhard Geldenhauer et celui de Cornelis de Schrijver furent déplacés après le texte de l'Utopie).

Cette seconde lettre fut placée juste après la fin du Livre II. Sur la forme : après avoir lu l'Utopie un lecteur (non nommé) a formulé des critiques, Pierre Gilles (Ægidio) les a faites parvenir à Thomas More (Morus) qui prend la plume pour y répondre. Sur le fond : nombre de passages font échos à la « Lettre-Préface », ainsi au sortir du texte de l'Utopie Thomas More prend soin d'accompagner le lecteur. Voici, cité par Morus, ce qu'a écrit le lecteur anonyme : « Si la chose est rapportée comme vraie, j'y vois quelques absurdités ; mais si elle est fictive, alors je regrette en certains endroits de ne pas y retrouver toute l'exactitude du jugement de MoreModèle:Sfn. » À cette critique, Morus répond d'abord qu'il ne voit pas en quoi « on devrait s'estimer clairvoyant en découvrant qu'il y a quelques absurdités dans les institutions des Utopiens, ou qu'en façonnant [sa] République [il n'a] pas toujours inventé les solutions les plus expédiantes : ne voit-on rien d'absurde nulle part ailleurs dans le monde ? Et quel philosophe a-t-il jamais organisé une République, gouverné un prince ou dirigée une maisonnée sans qu'il y ait rien à améliorer dans ses institutionsModèle:Sfn ? »

Fichier:Thomas More Utopia 1517 Seconde Lettre de Thomas More (John Carter Brown).png
Première page de la seconde lettre (dit « Impendio ») de Thomas More adressée à Pierre Gilles, édition de 1517 chez Gilles de Gourmont. (« Courtesy of the John Carter Brown Library »)

Puis, Morus poursuit sa défense sur le terrain de l'écriture : « si j'avais pris la décision d'écrire sur la République, et qu'une telle fable me fût venue à l'esprit, je n'aurais peut-être pas répugné à cette fiction qui, enveloppant le vrai comme du miel, lui permet de s'insinuer un peu plus suavement dans les espritsModèle:Sfn. » N'est-ce pas, justement, ce qu'il fit ? Ensuite, Morus devient plus explicite quant à l'invention et à la fabulation qui parcourt le texte de l'Utopie : « j'aurais […] semé pour les plus lettrés quelques indices qu'il eût été aisé de suivre à la trace pour percer mon desseinModèle:Sfn. » Quels types d'indices ? Par exemple, il aurait donné au prince, au fleuve, à la ville et à l'île des noms singuliers. « Cela n'aurait pas été difficile à faire, et aurait été bien plus spirituel que ce que j'ai fait ; car, si je n'y avais pas été contraint par la fidélité historique, je n'aurais pas poussé la stupidité jusqu'à choisir d'employer ces noms barbares et qui ne signifient rien : Utopie, Anydre, Amaurote, AdèmusModèle:Sfn. » N'est-ce pas, précisément, ce qu'il fit ?

Enfin, Morus termine sa défense en parlant de Raphaël Hythlodée. D'abord, il répète ce qu'il écrivit dans sa « Lettre-Préface » : « je n'ai fait que reproduire par écrit, en homme simple et crédule que je suis »Modèle:Sfn. Après, il déclare que Raphaël raconta son histoire à « beaucoup d'hommes d'une extrême honnêteté et du plus grand sérieux »Modèle:Sfn. Pour finir, Morus affirme que des voyageurs tout juste revenus du Portugal ont croisé Raphaël et qu'il était « aussi vivant et en bonne santé qu'il fut jamaisModèle:Sfn. » Ainsi : « Que [les incrédules] aillent donc s'enquérir de la vérité auprès de lui en personne, ou qu'ils aillent la lui arracher en le soumettant, s'il leur plaît, à un interrogatoire serré — pourvu qu'ils comprennent que je ne saurais répondre que de mon œuvre, et non de la bonne foi d'un autreModèle:Sfn. »

1518 La lettre de Beatus Rhenanus à Willibald Pirckheimer (Extrait)

Cette lettre de Beatus Rhenanus apparaît pour la première fois dans l'édition de mars 1518 chez Johann Froben, elle fut reprise dans l'édition de novembre 1518. Adressée à Willibald Pirckheimer, cette lettre fait office de préface aux Epigrammata de Thomas More ; de fait, elle n'apparaît que dans les éditions de 1518 auxquelles furent reliés ces Epigrammata. (Voir les liens vers les reproductions numérisées dans « Les quatre éditions en latines de lUtopie ») Dans les éditions de référence de lUtopie en langue anglaise, un extrait de cette lettre évoquant le livre de Thomas More est souvent proposé car Beatus Rhenanus y rapporte la réception du texte Utopie par certains lecteurs contemporains. Cet extrait est brièvement résumé ci-dessous.

Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Epigrammata (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 169, édition de novembre 1518 chez Johann Froben (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). Frontispice des Epigrammata de Thomas More<ref group="n">Ce frontispice fut déjà utilisé par Johan Froben en 1515 : lorsqu'il imprima l'Éloge de la folie d'Érasme. (Voir la reproduction dans l'article de Jean-François Vallée, « Le livre utopique »)</ref>.
Fichier:Thomas More Utopia November 1518 Beatvs Rhenanvs Bilibaldo Pircheimero Page 173 (The Folger Shakespeare Library).jpg
Page 169 (en fait : 173), édition de novembre 1518 chez Johann Froben (« Courtesy of the Folger Shakespeare Library »). Passage de la lettre de Beatus Rhenanus adressée à Willibald Pirckheimer dans lequel il est question de l'Utopie. (Dans la marge, un lecteur a écrit « budeus ».)

Rhenanus introduit les propos qu'il va rapporter en comparant les Epigrammata qu'il préface avec le texte de l'Utopie : « tout comme ces [épigrammes] permettent de montrer l’esprit de More et sa noble érudition, ainsi la vivacité de son jugement dans les affaires pratiques devient lumineuse dans l'Utopie<ref name=":8">Modèle:Lien web</ref>. » Rhenanus ne s'étend point sur le sujet, il rappelle que Budé a déjà salué ce livre « dans une splendide préface » et il écrit : « Le livre de More contient des principes tels qu'on ne les trouve pas dans Platon, ni Aristote, ni même dans les Pandectes de Justinien. Son enseignement est peut-être moins philosophique que ces derniers, mais il est plus chrétien<ref name=":8" />. »

Sur ces brèves remarques, Rhenanus rapporte « une bonne histoire » qui eut lieu lorsque lUtopie « fut mentionnée lors d'un rassemblement de divers hommes importants »<ref name=":8" />. Au cours d'une discussion, alors que Rhenanus louait lUtopie, « un fou dit que More ne méritait pas plus de crédit qu’un scribe, qui écrit simplement ce que les autres disent tel un gratte-papier […], qui peut assister à une réunion, mais qui n’exprime pas ses propres idées<ref name=":8" />. » Ce « fou » ajouta : « Dans le livre tout vient de la bouche d'Hythlodée ; More ne fit que l’écrire. À ce titre More ne mérite pas plus de crédit que celui accordé à une bonne retranscription<ref name=":8" />. »

Ensuite Rhenanus rapporte que, parmi les hommes présents, « nombreux sont ceux qui donnèrent leur approbation au jugement de cet homme comme s’il eut parlé le plus correctement<ref name=":8" />. » Rhenanus termine sa « bonne histoire » par ces mots écrits en grec (voir illustration) : « N’admirez-vous pas à présent l’esprit rusé de More qui conduit ces hommes égarés, pas seulement des imbéciles ordinaires mais des hommes importants, et des théologiens à ces jugements<ref name=":8" /> ? »

Les noms en Utopie

Par antiphrase, dans sa seconde lettre adressée à Pierre Gilles, Thomas More reconnaît qu'il a semé « pour les plus lettrés quelques indices » dans son texte. Ainsi, outre les références littéraires et historiques, More a forgé des « noms barbares et qui ne signifient rien ». Ci-dessous, ces noms sont très brièvement présentésModèle:Sfn,Modèle:Sfn.

Modèle:Boîte déroulante/début

  • «Abraxa » : nom forgé par le gnostique Basilide d'Alexandrie ; suivant la numérotation grecque, la somme des lettres du mot Abraxas donne 365, comme le nombre de jours d'une année calendaire (α, 1 ; β, 2 ; ρ, 100 ; α, 1 ; ξ, 60 ; α, 1 ; σ, 200) ; dans l'Utopie Thomas More orthographie « Abraxas » ainsi « Abraxa », pour les plus érudits de ses lecteurs cette orthographe laisse entendre que, avant l'intervention d'Utopus, cette île n'était pas "achevée" ;
  • « Achorien » : du grec χωρἰoν, chôrion, lieu, précédé du α privatif ; ce nom traduit donne « Peuple-sans-pays » ;
  • « Adèmus » : du grec δἦμoς, dèmos, peuple, précédé du α privatif ; ce nom traduit donne « Chef-sans-peuple » ;
  • « Alaopolite » : du grec λαός, laόs, peuple et, πoλἰτης, polἰtès, habitant de la cité, précédé du α privatif ; ce nom traduit donne « Citoyens-d'une-ville-sans-peuple » ;
  • « Amaurote » : du grec άμαυρωτόν, amaurôton, signifiant qui est rendu obscur ; ce nom traduit donne « Ville-mirage » ou « Ville-invisible » ;
  • « Anémolien » : du grec ἄνεμoς, anemos, vent ; ce nom traduit donne « Peuple-léger-comme-le-vent », où il faut entendre les Anémoliens sont un peuple vaniteux (Anémolius, l'auteur du « Sizain », est un anémolien) ;
  • « Anydre » : du grec ὒδωρ, hudôr, eau, précédé du α privatif ; ce nom traduit donne « Fleuve-sans-eau » ;
  • « Barzanès » : de l'araméen Bar, qui signifie « fils de » et de Ζάνoς, Zànos, forme dorique et poétique de Zeus ; du temps d'Abraxa, le chef était nommé « Fils-de-Zeus » ;
  • « Buthresque » : du grec βoυ, Bou, énorme et θρῆσχος, religieux ; le mot signifie ainsi le religieux par excellence, il est uniquement appliqué au grand prêtre d'Utopie ;
  • « Macarien » : du grec μάκρ, makar, bienheureux ; dans la pensée grecque, les morts habitent les îles des Bienheureux ;
  • « Néphélogète » : du grec νεφέλη, néphelé, nuage et, γενέτς, genétês, engendré ; ce nom traduit donne « Fils-des-nuages » ;
  • « Phylarque » : du grec φύλαρκος, phylarkos, chef de tribu, pouvant s'entendre φἰλαρκος, « Ami-du-pouvoir » ;
  • « Polylérite » : du grec πολύς, polys, beaucoup et λἦρος, lêros, radotage ; ce nom traduit donne « Peuple-qui-parle-beaucoup » ou « Peuple-qui-divague » ;
  • « Protophylarque » : « Proto- » du grec πρωτο, prôto, premier ; le Protophylarque est le chef de plusieurs Phylarques ;
  • « Syphogrante » : du grec σoφός, sophόs, sage, s'écrivant en dialecte éolien σύφός, syphos, et du grec γέρων, vieillard ou ancien ; ce nom traduit donne « Sage-d'âge-mûr » ;
  • « Tranibore » : du grec θρἄνος, thrânos, le siège le plus haut et βορέας, Borèas, le vent du nord ; ce nom traduit donne « Chef-aussi-insaisissable-que-le-vent » ;
  • « Utopia/Utopie » : du grec οὐ, ou, « non », et τοπος, topos, « lieu » ; l'île d'« Utopie » est l'île de « Non-lieu » (Utopus est le nom du fondateur de l'île d'Utopie) ;
  • « Zapolète » : du grec ζα, za, une particule d'intensité et πωλητής, pôletis, trafiquant ; ce nom traduit donne « Trafiquants-par-excellence » (…auxquels font appel les Utopiens).

Comme il est expliqué plus haut à la suite de Louis Marin (« Un titre non moins politique que plaisant »), pour bien saisir la singularité de certains noms propres inventés par Thomas More (notamment les noms de lieux : « Amaurote », « Anydre » et « Utopia »), il ne faut pas oublier que la « négation n'affecte pas la référent du nom ». Ainsi, l'île d'Utopie est bien traversée par un fleuve dont le nom est « Fleuve-sans-eau ». Quant aux Alaopolites (« Citoyens-d'une-ville-sans-peuple »), ces derniers sont bien un peuple, ils occupent un territoire et ils ont fondé plusieurs cités.Modèle:Boîte déroulante/fin

Thomas More se rêve en prince d'Utopie

Lors des mois qui précédèrent la publication de l'édition princeps de l'Utopie, Thomas More n'était pas sûr de la qualité de son texte, ainsi ouvre-t-il une lettre qu'il envoie à Érasme : « Je t'envoie notre Nulle-part, qui n'est nulle part bien écrite, je la fais précéder d'une lettre à mon cher PeterModèle:Sfn. » Pour le rassurer, Érasme lui écrit : « Pierre Gillis est vraiment épris de toi. Tu es constamment en notre présence. C'est fou, l'intérêt qu'il porte à ta Nusquama et il t'envoie mille salutations ainsi qu'à tous les tiensModèle:Sfn. » Thomas More lui répond : « Je me réjouis d'apprendre que notre Nusquama, mon cher Pierre l'approuve ; si elle plaît à des gens de cette qualité, elle va commencer à me plaire à moi aussiModèle:Sfn. »

Ses soucis écartés, Thomas More raconte à Érasme un étrange rêve dans une lettre datée du 4 décembre 1516 : « Je ne saurais dire combien j'exulte à présent, à quel point je me sens grandi, à quel point je me fais de moi-même une plus haute idée. J'ai constamment devant les yeux la preuve que le premier rang m'est à jamais réservé par mes Utopiens ; bien plus, j'ai déjà aujourd'hui l'impression de m'avancer, couronné de cet insigne diadème de froment, attirant les regards par ma bure franciscaine, tenant en guise de spectre auguste la gerbe de blé, entouré d'une insigne escorte d'AmauratesModèle:Sfn. » Et il poursuit : « en grande pompe je marche au-devant des ambassadeurs et des princes des autres nations, qui nous font vraiment pitié avec leur sot orgueil, j'entends, de s'en venir parés comme des gamins, alourdis de toilettes efféminées, enchaînés avec cet or méprisable, et prêtant à rire avec leur pourpre, leurs pierres précieuses et autres babioles creusesModèle:Sfn. »

Arrivé à la fin de sa lettre Thomas More écrit : « J'allais poursuivre plus longtemps ce très doux rêve, mais l'aurore qui se lève, hélas ! a dissipé mon rêve et m'a dépouillé de ma souveraineté et me ramène à mon pétrin, c'est-à-dire au tribunal. Une chose me console pourtant : c'est que les royaumes réels, je le constate, ne durent pas beaucoup plus longtemps. Porte-toi bien, très cher ÉrasmeModèle:Sfn. »

Les quatre éditions latines de l'Utopie

Ci-dessous sont présentées en détail les quatre compositions de l'Utopie. L'édition princeps de 1516 imprimée à Louvain fut supervisée par Érasme assisté de Pierre Gilles ; Érasme prépara l'édition de 1517 qui fut supervisée par Thomas Lupset à Paris ; pour les éditions de mars et de novembre 1518 à Bâle, Érasme après avoir préparé les deux éditions délégua leur supervision à Beatus Rhenanus. Il est parfois fait mention d'une cinquième édition chez Johann Froben datée de décembre 1518, en réalité il s'agit d'une nouvelle mise sous presse de l'édition de novembre 1518. D'après Reginald Walter Gibson, au moins cent exemplaires des quatre premières éditions revues par More ou ses collaborateurs directs sont parvenus jusqu'à nous (voir l'inventaire qu'il propose dans son livre St Thomas More : A preliminary bibliography of his works and of Moreana to to the year 1750). Certains de ses exemplaires appartiennent à des collectionneurs privés ou à des fondations, la majeure partie se trouve dans des bibliothèques nationales, municipales et universitaires ou dans des bibliothèques rattachées à des institutions publiques. À titre d'exemple : la Bibliothèque nationale de France et la Bibliothèque Sainte-Geneviève possèdent chacune un exemplaire de l'édition princeps et un exemplaire de l'édition de novembre 1518, tandis que la Bibliothèque Diderot de Lyon possède un exemplaire de l'édition de 1517.

Des liens vers des reproductions numérisées réalisées par différentes institutions sont proposés sous le détail de chaque édition (Certaines éditions de mars et de novembre 1518 contenaient à la suite du texte Utopie des Epigrammata de Thomas More et d'Érasme ; parmi les liens ci-après, se trouvent des reproductions numérisées avec ou sans ces Epigrammata.).

Modèle:Boîte déroulante/début L'édition princeps d'Utopie chez Thierry Martens, intitulée Libellus vere aureus nec minus salutaris quam festivus de optimo reip. statu deque nova Insula Utopia…, se présente ainsi :

  • une page de titre débute par la mention « Libellus vere aureus… » ;
  • une carte de l'île d'Utopie (peut-être due à Gerhard Geldenhauer) ;
  • un alphabet utopien et un quatrain en langue vernaculaire des Utopiens (vraisemblablement réalisés par Pierre Gilles) ;
  • un « Sizain d'Anémolius, poète lauréat, neveu de Hythlodée par sa sœur » (vraisemblablement rédigé par Thomas More) ;
  • une lettre de Pierre Gilles adressée à Jérôme de Busleyden ;
  • une lettre de Jean Desmarais adressée à Pierre Gilles ;
  • un poème de Jean Desmarais ;
  • un poème de Cornelis de Schrijver ;
  • un poème de Gerhars Geldenhauer ;
  • une lettre de Jérôme de Busleyden adressée à Thomas More ;
  • une « Lettre-Préface » de Thomas More adressée à Pierre Gilles (avec quelques manchettes attribuées à Pierre Gilles et/ou à Érasme) ;
  • le Livre I & le Livre II (avec plus de 150 manchettes attribuées à. Pierre Gilles et/ou à Érasme) ;
  • enfin, la marque d'imprimeur de Thierry Martens.

Quelques reproductions numérisées de cette édition princeps :

Modèle:Boîte déroulante/début La deuxième édition imprimée chez Gilles de Gourmont, intitulée Ad lectorem. HABES CANDIDE LECTOR opusculum illud vere aureum Thomæ Mori non minus utile quam elegans, de optimo reipublicae statu, deque nova Insula Utopia…, est composée ainsi :

  • une nouvelle page de titre est composée, « Ad lectorem. HABES CANDIDE LECTOR… » ;
  • « Sizain d'Anémolius, poète lauréat, neveu de Hythlodée par sa sœur » ;
  • une lettre de Guillaume Budé adressée à Thomas Lupset est ajoutée ;
  • lettre de Pierre Gilles adressée à Jérôme de Busleyden ;
  • lettre de Jean Desmarais adressée à Pierre Gilles ;
  • poème de Jean Desmarais ;
  • « Lettre-Préface » de Thomas More à Pierre Gilles (+ les manchettes) ;
  • le Livre I & le Livre II occupent à présent le centre de la publication (+ les manchettes) ;
  • une nouvelle lettre de Thomas More adressée à Pierre Gilles est ajoutée après le Livre II (« Impendio ») ;
  • lettre de Jérôme de Busleyden adressée à Thomas More ;
  • poème de Gerhard Geldenhauer ;
  • poème de Cornelis de Schrijver ;
  • enfin, la marque d'imprimeur de Gilles de Gourmont.

Quelques reproductions numérisées de cette édition :

Modèle:Boîte déroulante/début La troisième édition imprimée chez Johann Froben, intitulée De optimo reipublicae statu, deqve noua insula Utopia, libellus uere aureus, nec minus salutaris quam festivus…, est composée ainsi :

  • un frontispice remplace les précédentes pages de titre, désormais le titre devient « De Optimo Reip. Statv Deqve noua insula Vtopia… » ;
  • une lettre d'Érasme adressée à Johann Froben est ajoutée ;
  • lettre de Guillaume Budé adressée à Thomas Lupset ;
  • « Sizain d'Anémolius, poète lauréat, neveu de Hythlodée par sa sœur » ;
  • une nouvelle carte de l'île d'Utopie est gravée par Ambrosius Holbein ;
  • l'alphabet utopien de Pierre Gilles est retouché et repris, ainsi que le quatrain en langue vernaculaire des Utopiens ;
  • lettre de Pierre Gilles adressée à Jérôme de Busleyden ;
  • un frontispice est réalisé par Hans Holbein le Jeune pour la « Lettre-Préface » de Thomas More à Pierre Gilles (+ les manchettes) ;
  • Livre I & Livre II, (+ les manchettes, + une gravure est réalisée au-dessus du titre du Livre I) ;
  • lettre de Jérôme de Busleyden adressée à Thomas More ;
  • poème de Gerhard Geldenhauer ;
  • poème de Cornelis Schrijver ;
  • enfin, la marque d'imprimeur de Jérôme Froben.

Quelques reproductions numérisées de cette édition :

Modèle:Boîte déroulante/début La quatrième édition ne varietur du livre de Thomas More intitulé De optimo reipublicae statu, deqve noua insula Utopia, libellus uere aureus, nec minus salutaris quam festivus…, imprimée chez Johan Froben à Bâle et datée de Modèle:Date-, reprend l'ordonnancement de l'édition précédente :

  • un nouveau frontispice (celui de la « Lettre-Préface » de mars 1518) remplace celui de la troisième édition, le titre demeure « De Optimo Reip. Statv Deqve noua insula Vtopia… » ;
  • lettre d'Érasme adressée à Johann Froben (+ une nouvelle lettrine) ;
  • lettre de Guillaume Budé adressée à Thomas Lupset ;
  • « Sizain d'Anémolius, poète lauréat, neveu de Hythlodée par sa sœur » ;
  • carte de l'île d'Utopie (retrait du titre « VTOPIAE INSVLAE TABVLA ») ;
  • quatrain en langue vernaculaire des Utopiens et l'alphabet utopien ;
  • lettre de Pierre Gilles adressée à Jérôme de Busleyden (+ une nouvelle lettrine) ;
  • « Lettre-Préface » de Thomas More adressée à Pierre Gilles (+ les manchettes) ;
  • Livre I & Livre II, trois nouvelles manchettes sont ajoutées (+ deux nouvelles lettrines) ;
  • lettre de Jérôme de Busleyden adressée à Thomas More ;
  • poème de Gerhard Geldenhauer ;
  • poème de Cornelis de Schrijver ;
  • enfin, la marque d'imprimeur de Johann Froben clôt l'œuvre.

Quelques reproductions numérisées de l'édition ne varietur :

Chronologie des traductions et des éditions de l'Utopie en langue française

Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle
  • Modèle:Ouvrage
  • Modèle:Ouvrage
  • Modèle:Ouvrage, il s'agit du « Livre XXIIII », débutant p. 298, de l'ouvrage de Gabriel Chappuys intitulé L'Estat, Description et Gouvernement des royaumes et republiques du monde, tant anciennes que modernes
Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle
  • Modèle:Ouvrage, il s'agit du « Livre vingt et deuxième » (f. 159) de l'ouvrage de Francesco Tatti da Sansovino intitulé Du Gouvernement et administration de divers estats, Royaume & Republiques, tant anciennes que modernes
  • Modèle:Ouvrage
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Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle
Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle
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  • Modèle:Ouvrage
  • Modèle:Ouvrage
  • Modèle:Ouvrage
  • Modèle:Ouvrage, nouvelle édition en 1982
  • Modèle:Ouvrage, fac similé de l'édition de 1550
  • Thomas More (trad. André Prévost), La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie, Lille, Mame, 1978
  • Modèle:Ouvrage
  • Thomas More (trad. Marie Delcourt), L'Utopie ou Le traité de la meilleure forme de gouvernement, Genève, Droz, coll. « Les Classiques de la pensée politique », 1983a
  • Thomas More (trad. Marie Delcourt), L'Utopie ou Le traité de la meilleure forme de gouvernement, Paris, Flammarion, coll. « GF », 1987
  • Thomas More (trad. Victor Stouvenel), L'Utopie, dans Modèle:Ouvrage
  • Thomas More (trad. Victor Stouvenel), L'Utopie, Paris, Librio, coll. « Philosophie », 1999
Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle
  • Modèle:Ouvrage
  • Thomas More (trad. Jean Leblond, revue par Barthélémy Aneau, révisée et modernisée par Guillaume Navaud) L'Utopie, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2012
  • Modèle:Ouvrage

Notes et références

Notes

Modèle:Références nombreuses

Références

Modèle:Références nombreuses

Bibliographie

Modèle:Autres projets Modèle:Légende plume

Éditions recommandées

Texte Latin

  • Modèle:Lien web Modèle:Pdf, texte édité par Mary Taneyhill, William Farris et Jacquelyn Lee ; il comprend tous les parerga (exceptés la carte, l'alphabet utopien et son poème).

En langue anglaise

Édition de référence

  • Modèle:Ouvrage. Cette édition se présente ainsi : aux pages XV à CXCIV une « Introduction » conséquente où Jack H. Hexter et Edward L. Surtz étudient la composition d'Utopie, ils contextualisent le texte, établissent ses sources et filiations, enfin, ils retracent les éditions du livre et abordent les problèmes du texte latin et les questions de traduction. Ensuite, des pages 1 à 253, le texte de l'Utopie est présenté en latin avec sa traduction anglaise en regard, les manchettes sont présentes. Après, suit un cahier iconographique : gravures, lettrines, marques d'imprimeur, portraits d'humanistes. Enfin, des pages 267 à 570 des notes détaillées apportent des éclairages sur le texte (question de traduction, contexte historique , références littéraires, etc.). Le texte latin est établi en comparant les éditions de 1516, 1517 et Modèle:Date-.
    Voici le détail de la composition du livre l'Utopie proposée dans cette édition, d'ans l'ordre : lettre d'Érasme à Johann Froben ; lettre de Guillaume Budé à Thomas Lupset ; la carte de 1518 et celle de 1516 présentées en regard ; l'alphabet utopien et son quatrain ; le « Sizain » ; la lettre de Pierre Gilles à Jérôme de Busleyden ; la lettre de Jean Desmarais à Pierre Gilles et le poème de Jean Desmarais ; les poèmes de Gerhard Geldenhauer et de Cornelis de Schrijver ; la lettre de Jérôme de Busleyden à Thomas More ; la « Lettre-Préface », les livres I & II, ainsi que les manchettes ; la seconde lettre de Thomas More à Pierre Gilles ; un extrait de la lettre de Beatus Rhenanus où il est question de l'Utopie.

Autres éditions

En format de poche

En langue française

Édition de référence

  • Modèle:Ouvrage. Ce livre de presque 800 pages se présente ainsi : 1) une reproduction d'un portrait de Thomas More (celui d'Hans Holbein le Jeune) et une courte « Préface » de Maurice Schumann (p.17-21) ; 2) une longue présentation d'André Prévost dans laquelle il retrace la formation de More, il détaille les étapes de la rédaction du texte, il étudie la composition et le propos de l'Utopie, il propose son interprétation du texte, il résume l'histoire et la composition de chacune des quatre éditions latines (p. 49-306) ; 3) l'Utopie est éditée avec l'ensemble des parerga et paratextes de l'édition de Modèle:Date- chez Johann Froben dans le bon ordre, le texte original en latin est donné en fac-similé et la traduction française est donnée en regard, des notes sont données pour le texte latin et pour le texte français (p. 307-645) ; 4) après l'Utopie, André Prévost propose un corpus de notes complémentaires détaillées : explicitation des références à la Bible, explicitation des références et des allusions à d'autres ouvrages, explicitation des adages parsemant le texte, aussi il donne les contextes et les repères historiques nécessaires à la bonne compréhension du texte, il présente chaque humaniste et chaque personnalité historique (p. 649-723.), enfin, une bibliographie, un index et des définitions achèvent cette publication (p. 726-776).
    Cette publication reproduit en fac-similé l'édition ne varietur imprimée par Johann Froben en Modèle:Date-. C'est la seule édition en français qui reprend et reproduit, dans le bon ordre et intégralement, le texte latin (avec sa traduction française en regard) et tous les parerga, à savoir : le frontispice réalisé par Hans Holbein le Jeune ; la lettre d'Érasme à Johann Froben ; la lettre de Guillaume Budé à Thomas Lupset ; le « Sizain d'Anémolius, poète lauréat, neveu de Hythlodée par sa sœur » vraisemblablement de Thomas More ; la carte de l'île d'Utopie gravée par Ambrosius Holbein ; le quatrain en langue vernaculaire des Utopiens & l'alphabet utopien vraisemblablement de Pierre Gilles ; la lettre de Pierre Gilles à Jérôme de Busleyden ; la « Lettre-Préface » de Thomas More adressée à Pierre Gilles, le Livre I & le Livre II, ainsi que toutes les manchettes ; la lettre de Jérôme de Busleyden adressée à Thomas More ; le poème de Gerhard Geldenhauer ; le poème de Cornelius Schrijver ; la marque d'imprimeur de Johann Froben qui clôt l'œuvre.

Autres éditions

  • Modèle:Ouvrage. Cette édition réunit : le texte latin de l'Utopie édité par Marie Delcourt, avec des notes explicatives et critiques, paru chez Droz en 1936 ; la traduction en français par Marie Delcourt (du texte latin édité en 1936), accompagné de commentaires, paru chez La Renaissance du livre en 1966. En outre, l'édition de 1983 reprend l'« Introduction » au texte latin de 1936 et l'« Introduction » au texte français de 1966. (Cette édition ne contient aucun parerga)

En format de poche

  • Modèle:Ouvrage, repères chronologiques, introduction, bibliographie sélective, historiques des éditions de l'Utopie et notes complémentaires par Simone Goyard-Fabre. Cette édition reprend la traduction de Marie Delcourt de 1966, avec ses commentaires. Simone Goyard-Fabre signe une introduction, « Thomas More et L'Utopie », à laquelle il est fait renvoi dans cet article. (Cette édition ne comporte aucun parerga)
  • Modèle:Ouvrage. Cette édition est accompagnée d'une préface « Platon au nouveau monde » de Guillaume Navaud, d'une chronologie, d'une notice sur la rédaction du texte et sa traduction, d'une bibliographie et de notes sur le texte. Un dossier en annexe réunit différents parerga composés pour les éditions successives de 1516, 1517 et 1518, soit : quasiment toutes les lettres (Thomas More à Pierre Gilles, Jérôme de Busleyden à Thomas More, Guillaume Budé à Thomas Lupset, la seconde lettre de Thomas More à Pierre Gilles, celle d'Érasme à Johann Froben, il manque celle de Jean Desmarais), l'alphabet, le sizain, deux poèmes de Gerhard Geldenhauer et Cornelis de Schrijver (il manque le poème de Jean Desmarais), ainsi que les deux versions de la carte de l'île d'Utopie (1516 et 1518) ; des extraits de la correspondance entre Thomas More et Érasme sont proposés, ainsi que des extraits d'Amerigo Vespucci.

Sur la vie et la pensée de Thomas More

Correspondance

Sur l'Utopie de Thomas More

Première approche de l'Utopie, des utopies et de l'utopie

Modèle:Colonnes

Études sur l'Utopie

Articles

Introductions

Chapitres d'ouvrages

  • Modèle:Ouvrage (« Thomas Morus ou l'utopie d'un humaniste », pages 141 à 177)
  • Modèle:Ouvrage (« Moreana », pages 51 à 245)
  • Modèle:Ouvrage (« Thomas More (1477-1535) », pages 851 à 877)
  • Modèle:Ouvrage (« Chapitre III. L'essence par l'existence » pages 95 à 129 et « Chapitre V. Les principes de l'harmonie » pages 217 à 248)
  • Modèle:Ouvrage (« Thomas More ou la voie oblique », pages 21 à 62)
  • Modèle:Ouvrage (Outre divers traits de la pensée politique de Thomas More évoqués dans différents chapitres, Quentin Skinner consacre quelques pages au livre de Thomas More : « L'Utopie et la critique de l'humanisme », pages 357 à 367)
  • Modèle:Ouvrage (« Radieux tropiques ? L'Utopie de More », pages 117 à 181)
  • Modèle:Ouvrage (« L'Utopie de Thomas More, paradigme des descriptions de société humanistes », pages 47 à 100)
  • Modèle:Ouvrage (« La critique de l'État chez Thomas More », pages 31 à 102 et « Thomas More et l'utopie », pages 133 à 150)

Ouvrages et revues

Sites internets

  • Modèle:Lien web, Site de référence consacré aux études sur l'œuvre de Thomas More (hébergé par The University of Dallas)
  • Modèle:Lien web, sur ce site, Stephen Duncombe a réalisé une édition complète de l'Utopie en anglais. (Cependant : la disposition des paratextes qu'il propose est arbitraire et injustifiée.)

Autres sources

Articles

Livres

Site internet

Documentation complémentaire

Dossiers en ligne sur l'Utopie

Revues consacrées à Thomas More ou à l'utopie

  • Moreana, revue internationale publiée par l'association Amici Thomae Mori, c'est une revue plurilingue accueillant des recherches sur Thomas More, l'Humanisme et la Renaissance.
  • Utopian Studies, revue internationale publiée par la Society for Utopian Studies, c'est une revue de langue anglaise accueillant des recherches sur l'utopie sous différentes approches (littéraire, sociologique, politique, philosophique, etc.), consacrant des numéros à des auteurs (Ernst Bloch ou Octavia E. Butler par exemple) et d'autres à des thématiques (utopie et architecture, utopie et mode, etc.).
  • Morus - Utopia e Renascimento, site d'une revue brésilienne plurilingue consacrée à l'utopie.

Conférence vidéo

  • Modèle:Lien web. (D'une durée de soixante minutes, cette conférence est une présentation de l'Utopie de Thomas More.)

Émissions de radio

  • Modèle:Lien web. (D'une durée de quarante cinq minutes, cette émission retrace la vie de Thomas More ; l'Utopie est très brièvement abordée.)
  • Modèle:Lien web. (D'une durée de trente minutes, cette émission est consacrée à l'Utopie de Thomas More ; un document rare : André Prévost, auteur de l'édition de référence utilisée dans cet article, expose son interprétation du livre de Thomas More.)
  • Modèle:Lien web. (D'une durée de cinquante minutes, cette émission est la première d'une série de cinq émissions consacrées à l'utopie ; interrogé par Raphaël Enthoven, Miguel Abensour expose son interprétation de l'Utopie de Thomas More.)

Bibliographies supplémentaires

  • Modèle:Lien web ;
  • Modèle:Lien web (Cette page regroupe des bibliographies sur tous les écrits de Thomas More. Les bibliographies consacrées à l'Utopie sont divisées en deux groupes principaux : « Utopia Part A : Editions and Translations » et « Utopia Part B : Studies ».)
  • Modèle:Lien web (Cette bibliographie approche l'exhaustivité, elle recense des travaux : sur l'Utopie, sur des points précis du texte, sur les parerga et les paratextes, sur les traductions de lUtopie, sur les éditions de lUtopie, sur la famille et les amis de Thomas More, etc.)

Crédits pour les illustrations des éditions latines de l'Utopie

Éditions de 1516 :

  • Thomas More, Libellus vere aureus nec minus salutaris quam festivus de Optimo reip. statu deque nova insula Utopia, authore clarissimo viro Thoma Moro, inclytae civitatis Londinensis cive et vicecomite, cura M. Petri Aegidii Antverpiensis et arte Theodorici Martini Alustensis, typographi almae Lovaniensium Academiae nunc primum accuratissime editus, 1516, Bibliothèque Mazarine, cote : Bibliothèque Mazarine, 4° A 10840-2 [Res], permalien : https://mazarinum.bibliotheque-mazarine.fr/idurl/1/2457 ;
  • Thomas More, Libellus vere aureus nec minus salutaris quam festivus de Optimo reip. statu deque nova insula Utopia, authore clarissimo viro Thoma Moro, inclytae civitatis Londinensis cive et vicecomite, cura M. Petri Aegidii Antverpiensis et..., 1516, Bibliothèque nationale de France, permalien : https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30976104g.

Édition de 1517 :

  • Thomas More, Ad lectorem. Habes candide lector opusculum illud vere aureu[m] Thomæ Mori no[n] min[us] vtile q[uam] elega[n]s de optimo reipublic[a]e statu, deq[ue] noua insula Vtopia, iam iteru[m], sed multo correcti[us] q[uam] pri[us], hac enchiridij forma vt vides multo[rum] tu[m] senatoru[m] tu[m] alioru[m] grauissimoru[m] viro[rum] suasu æditu[m], quod sane tibi [a]edisce[n]dum no[n] modo in manib[us] quotidie habendu[m] ce[n]seo. : Cui quide[m] ab innumeris me[n]dis vndequaq[ue] purgatio p[rae]ter Erasmi annotatio[n]es ac Budæi ep[isto]lam: viroru[m] sane qui hoc sæculo nostro extra omnne[m] ingenij aleam positi sunt: addita est etia[m] ipsius Mori ep[isto]la eruditissima., 1517, Brown University Library, permalien : http://josiah.brown.edu/record=b2220232~S7.

Éditions de 1518 :

  • Thomas More, De optimo reip. statu deque nova insula Utopia libellus vere aureus, nec minus salutaris quam festivus, clarissimi disertissimique viri Thomae Mori inclytae civitatis Londinensis civis & vicecomitis : Epigrammata clarissimi disertissimique viri Thomae Mori, pleraque e Graecis versa. Epigrammata / Des. Erasmi Roterodami, 1518, Universitätsbibliothek Basel, cote : VD16 M 6299, permalien : https://doi.org/10.3931/e-rara-30626 ;
  • Thomas More, De optimo reip. statu, deque noua insula Vtopia : libellus uere aureus, nec minus salutaris quàm festiuus, clarissimi disertissimiq[ue] uiri Thomae Mori inclytae ciuitatis Londinensis ciuis & vicecomitis ; Epigrammata clarissimi disertissimiq[ue] uiri Thomae Mori, pleraq[ue] è Graecis uersa. Epigrammata Des. Erasmi Roterodami., 1518, Hamnet Folger Library, permalien : http://hamnet.folger.edu/cgi-bin/Pwebrecon.cgi?BBID=263464.

Chacune de ces notices propose un lien vers la reproduction numérisée de l'ouvrage catalogué. (Ces liens sont proposés ci-dessus dans « Les quatre éditions latines de l'Utopie »)

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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