Tragédie grecque
La tragédie grecque est une manifestation théâtrale caractéristique de l'Athènes antique du Modèle:Lien siècle av JCModèle:Vérification siècle. La date de naissance précise de la tragédie grecque est inconnue : le premier concours tragique des Dionysies se situe vers 534, sous Pisistrate, et la première tragédie conservée, Les Perses d'Eschyle, date de -472<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Mais Eschyle avait été précédé de tragiques illustres dont l'œuvre nous est perdue, comme Thespis, Pratinas et Phrynichos<ref name=rom65>Modèle:Harvsp. ??</ref>.
Représentation théâtrale aux origines religieuses indéniables, la tragédie grecque nous est principalement connue à travers trois grands auteurs aux vies successives et rapprochées : Eschyle (né en -525), Sophocle (né en -495) et Euripide (né vers -485) et grâce aux trente-deux tragédies de ces auteurs qui nous sont parvenues<ref group="note">Sept d'Eschyle, sept de Sophocle et dix-huit d'Euripide.</ref> (voir la liste des tragédies grecques connues). L'âge d'or de la tragédie grecque s'achève dès la fin du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle : aucune pièce complète n'a été conservée après -404<ref group="note">Si l'on met à part le Rhésos, probablement apocryphe.</ref>, et le programme des Dionysies présente la reprise de tragédies anciennes probablement dès -386 : comme l'expose Jacqueline de Romilly, Modèle:Citation<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Caractérisée par des spécificités de jeu, de structure, la tragédie occupe une place particulière au sein de la société athénienne. Les tragédies grecques ont inspiré de nombreux auteurs dans les siècles suivants, et constituent une référence incontournable, qui se traduit par la fréquence de la reprise de sujets et de personnages propres aux tragiques grecs.
Origine religieuse et place dans la société athénienne
L'origine religieuse de la tragédie grecque est une certitude souvent soulignée par les spécialistes<ref name="Bald30">Modèle:Harvsp.</ref>,<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>,<ref>Vernant & Vidal-Naquet II, Modèle:P. et suiv.</ref>. Les tragédies sont en effet jouées à Athènes à l'occasion des fêtes de Dionysos ou dionysies, notamment des Grandes Dionysies célébrées annuellement au début du printemps (mais aussi des Lénéennes de décembre<ref>Baldry, Modèle:P..</ref>). Elles s'inscrivent dans ce culte à travers des concours, comme les concours de récitations homériques s'inscrivent dans le cadre du culte d'Athéna<ref name="Bald30" />.
Cette origine religieuse a laissé des traces, comme le nom même du théâtre d'Athènes, dédié à Dionysos, ou encore le mot tragédie, qui semble refléter une signification religieuse. On fait habituellement dériver le grec ancien Modèle:Grec ancien de Modèle:Grec ancien, Modèle:Cita, et de Modèle:Grec ancien, Modèle:Cita. Le mot signifierait donc Modèle:Cita<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>,<ref>Jean Hatzfeld, Histoire de la Grèce ancienne, rééd. Petite Bibliothèque Payot, 2002, Modèle:P..</ref>,<ref group="note">La signification du mot a ensuite évolué et l'adjectif Modèle:Grec ancien ne signifie, à l’ère classique, que Modèle:Cita. En grec moderne, le terme Modèle:Grec ancien, désigne une chanson populaire et le verbe Modèle:Grec ancien signifie Modèle:Cita. La notion principale initiale désignant un ensemble de règles de mise en scène a complètement disparu. En revanche, les thèmes développés dans ces Modèle:Grec ancien trouvant habituellement le dénouement par la mort sont directement à l'origine de la famille de mots français Modèle:Cita, Modèle:Cita, etc.</ref>. Le terme tragédie pourrait donc désigner une forme de dithyrambe joué par des acteurs déguisés en satyres et vêtus de peaux de boucs, hypothèse reprise par Aristote<ref name=po1449a>Poétique (1449a) [lire en ligne].</ref>. D'autres hypothèses, elles-mêmes défendues par certains auteurs antiques<ref>Eusèbe de Césarée, Chronique, Olympiade 47, 2</ref>,<ref>Horace, Art poétique, 220, [lire en ligne].</ref>, voient en cette évocation du bouc la récompense offerte au gagnant du concours, ou la victime d'un sacrifice effectué à cette occasion<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>.
Jane Ellen Harrison est à l'origine d'une autre hypothèse<ref>Modèle:Ouvrage.</ref>. Dionysos, dieu du vin (boisson des couches aisées), s'est substitué tardivement à Dionysos dieu de la bière (boisson des couches populaires) ou Sabazios, dont l'animal emblématique chez les Crétois était le cheval (ou le centaure). Il se trouve que la bière athénienne était une bière d'épeautre, trágos en grec. Aussi les tragédies auraient-elles été des Modèle:Cita, considérées tardivement, par homonymie et par confusion, comme des Modèle:Cita.
Quoi qu'il en soit, il peut paraître déroutant que les tragédies qui nous sont parvenues ne soient elles-mêmes jamais consacrées à Dionysos, sauf Les Bacchantes, et semblent même fort éloignées de son culte. Mais il n'est pas impossible que le fait même de mettre en scène des pièces d'imagination en soit le principal héritage, comme a tenté de le montrer Jean-Pierre Vernant : Modèle:Citation
Le concours tragique se déroule sur trois jours (un quatrième étant dévolu aux comédies) : chacun des trois poètes concurrents dispose d'une journée au cours de laquelle il présente une tétralogie, c'est-à-dire trois tragédies et un drame satyrique conclusif<ref>Modèle:Harvsp.</ref>, sans doute plus proche du culte de Dionysos<ref group="note">Les hypothèses à ce sujet sont risquées, un seul exemple complet ayant été conservé : Le Cyclope, d'Euripide.</ref>.
Comme le souligne H. C. Baldry, Modèle:Citation Cette place prépondérante dans la société athénienne se traduit par le rôle de l'archonte, auquel est dévolu le choix des trois concurrents annuels du concours tragique parmi les candidats, ou encore par le financement du concours, chaque concurrent étant soutenu par un chorège assumant le coût très lourd des représentations<ref>Modèle:Harvsp.</ref>. Le nombre de spectateurs présents au théâtre de Dionysos est un autre indice de l'importance de la tragédie : on peut l'estimer à au moins dix-sept mille personnes<ref>Modèle:Harvsp.</ref>, et Platon évoque dans Le Banquet<ref>Le Banquet, 175e [lire en ligne]</ref> Modèle:Cita acclamant Agathon en 416, chiffre probablement exagéré<ref name=dl42>Modèle:Harvsp.</ref>. La composition de ce public est large : les droits d'entrée des plus pauvres sont en effet pris en charge, l'accès des métèques et étrangers de passage est autorisé, ainsi que celui des esclaves accompagnant leurs maîtres, et peut-être celui des femmes<ref name=dl42/>,<ref group="note">Pour plus de détails, voir les articles Théâtre grec antique et Dionysies</ref>.
Outre l'origine religieuse de la tragédie, certains auteurs ont souligné que la naissance de l'idée de raison et la constitution de la cité-État d'Athènes sont deux autres phénomènes qui auraient contribué à son émergence<ref>Voir par exemple J.-P. Vernant et P. Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Maspèro, Paris, 1972, notamment p. 13, et Jean-Ernest Joos, « La catharsis et le moment historique de la tragédie grecque », Études françaises, volume 15, numéro 3-4, octobre 1979, p. 21 (lire en ligne).</ref>.
Aspects formels
Chœur et acteurs
La principale caractéristique formelle de la tragédie est la distinction, reprise du dithyrambe, entre le chœur et les personnages interprétés par des acteurs<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Cette division est d'abord spatiale : dans le théâtre grec, face aux gradins, la scène surélevée (proskénion) accueille les acteurs tandis que le chœur est placé devant, en contrebas, dans l’orchestra circulaire au centre duquel est situé l'autel rond dédié à Dionysos (cet autel est appelé le thymélée).
Le chœur
Composé de quatorze choristes et d'un chef de chœur appelé coryphée<ref group="note">Dans la seconde moitié du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle du moins. Ils auraient été douze auparavant. On en trouve théoriquement cinquante dans les Suppliantes d'Eschyle (autant que les cinquante Danaïdes dont est composé le chœur), ce qui a longtemps conduit à considérer que cette pièce était la plus ancienne connue du répertoire tragique. Cette hypothèse est aujourd'hui considérée comme erronée. Cf. Modèle:Harvsp ; Romilly 1970, Modèle:P..</ref>, le chœur chante et danse en relation avec l'action, entre les scènes parlées, et participe bien que son rôle se soit progressivement dévalué<ref>Modèle:Harvsp.</ref> : selon Aristote, il Modèle:Citation<ref name="1456a">Poétique (1456a) [lire en ligne]</ref>. Le chœur s'exprime en vers lyriques, selon des séries de stances en général jumelées ou alternées de manière à supporter des mouvements chorégraphiques : à la strophe (Modèle:Grec ancien, Modèle:Cita) répond l'antistrophe symétrique, une épode pouvant conclure. Le rythme de ces vers constitue l'essentiel du chant, à l'unisson, et accompagné par un aulos. Il n'existe guère d'indices effectifs quant à la musique des tragédies, dont on sait seulement qu'elle était composée par l'auteur lui-même<ref>Modèle:Harvsp.</ref>. Enfin, un chef de chœur, ou coryphée, peut intervenir seul afin de dialoguer avec un personnage.
Au fil de l'évolution du genre tragique, le rôle du chœur évolue. Au fur et à mesure du développement de l'action dans les pièces, le lien entre le héros et le chœur se relâche : les Thébaines terrifiées des Sept contre Thèbes d'Eschyle disparaissent chez Euripide, remplacées par des jeunes filles de passage, Les Phéniciennes. L'ampleur de sa participation se réduit aussi progressivement : de plus de quatre cents vers dans Les Choéphores d'Eschyle (soit plus du tiers d'un ensemble de Modèle:Unité), elle passe à deux cents environ sur 1 510 dans l’Électre de Sophocle, soit moins d'un sixième, et à une proportion comparable dans l’Électre d'Euripide (un peu plus de deux cents sur 1 360)<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>.
Les acteurs
Tous les rôles sans exception sont joués par des hommes adultes, et par un nombre très réduit d'acteurs qui interprètent plusieurs rôles tour à tour. Selon Aristote, c'est Eschyle qui porte le premier le nombre d'acteurs à deux pour une tragédie, et Sophocle qui leur adjoint un troisième acteur<ref name=po1449a/>. Jacqueline de Romilly relève cependant qu'il est difficile d'imaginer que certaines tragédies d'Eschyle aient pu n'être interprétées que par deux acteurs : on peut donc supposer, soit qu'il ait été le premier à innover en ce sens, soit, si Aristote ne se trompe pas, qu'Eschyle ait adopté l'innovation du jeune Sophocle<ref>Romilly 1970, Modèle:P..</ref>. Ce dernier serait également le premier à ne pas jouer lui-même ses pièces : dès lors l'acteur est cité nommément lors des représentations, il est reconnu pour son travail (le prix pour le meilleur acteur est institué en 449), et l'activité se professionnalise<ref>Baldry, Modèle:P..</ref>. Malgré le passage de un à deux, puis trois acteurs, l'acteur principal (le protagoniste) domine la pièce, par opposition au « deutéragoniste » et au « tritagoniste » qui doivent rester au second plan<ref>Il existe une « question » du quatrième acteur ou tétragoniste, qu'on trouve disputée depuis le Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècle.</ref>. Par ailleurs, le nombre d'acteurs ne dépasse jamais trois dans l'histoire de la tragédie grecque : chacun se charge en règle générale de deux ou trois rôles, et des figurants muets peuvent s'y ajouter. Il est toutefois aujourd'hui très difficile de reconstituer la répartition des rôles entre les acteurs<ref>Modèle:Harvsp.</ref>.
Ces règles nécessitent l'usage d'accessoires principalement connus par les peintures de vases. Un masque, d'abord (de tissu, parfois d'écorce ou de bois<ref group="note">Les masques conservés en marbre ou en terre cuite sont des copies destinées non pas à des représentations, mais par exemple à des offrandes. Cf. Baldry, Modèle:P..</ref>) : ce dernier couvre le visage et une grande partie de la tête, et comporte des cheveux. Il ménage des ouvertures pour les yeux et la bouche. L'origine rituelle de l'usage de masques n'est pas attestée: la première raison d'être de cet accessoire est son utilité, que ce soit pour l'interprétation de plusieurs rôles par un acteur, ou pour la perception des émotions exprimées, dans des gradins parfois très éloignés de la scène. L'équipement est complété par un costume souvent richement orné fait pour attirer l'œil, et les attributs propres au personnage (le sceptre du roi, l'épée du guerrier, la couronne du héraut, l'arc d'Apollon, etc.)<ref>Modèle:Harvsp.</ref>.
Mais la principale caractéristique de l'acteur est sans conteste sa voix, qui doit porter jusqu'aux gradins les plus éloignés, ce qui suppose à la fois puissance, clarté, bonne diction, mais aussi capacité à refléter dans la voix le changement de personnage ou d'émotion. Les caractéristiques musicales étaient également sans aucun doute essentielles<ref>Modèle:Harvsp.</ref>.
Structure et langue
La division spatiale entre chœur et acteurs, et l'alternance entre parties parlées, récitées et chantées se reflète dans sa structure, rappelée par Aristote dans sa Poétique<ref name=1452b>Poétique (1452b) [lire en ligne].</ref> et vérifiée dans de nombreux cas<ref>Antigone de Sophocle, Médée d'Euripide, entre autres.</ref>:
- Prologue (parlé) (avant l'entrée du chœur) ;
- Modèle:Grec ancien (chant d’entrée du chœur, souvent sur un rythme de marche) ;
- Épisodes (parlés) coupés par des Modèle:Grec ancien (chants du chœur) ;
- Modèle:Grec ancien (sortie du chœur, parlé).
Plusieurs couples épisode–stasimon se succèdent, dont le nombre varie de trois à cinq<ref group="note">Voire, rarement, deux seulement (Romilly 1970, Modèle:P.25)</ref>. Le schéma d’Aristote est en réalité une simplification : la plupart des tragédies s'en écartent, notamment pour ménager des passages de dialogue entre acteurs et choristes : le Modèle:Grec ancien / kommos<ref group="note">Littéralement, « coup dont on se frappe la poitrine, en signe de deuil »</ref>, « lamentation commune au chœur et aux acteurs en scène » selon les mots d'Aristote<ref name="1452b" />, peut alors se substituer au stasimon ou enrichir un épisode. Par ailleurs la longueur des différentes parties d'une tragédie varie, y compris entre épisodes d'une même pièce<ref group="note">Par exemple, au sein de l’Ajax de Sophocle, le premier épisode, sous forme de kommos, est très long et comporte 395 vers (v. 201-595), le deuxième épisode seulement 47 vers (v. 646-692), le troisième épisode 147 vers (v. 719-865) et le quatrième épisode 211 vers (v. 974-1184).</ref>. Ces variations sont cependant sous-tendues par une architecture numérique très précise<ref group="note">À ce sujet, voir Jean Irigoin, « Architecture métrique et mouvements du chœur dans la lyrique chorale grecque », in Revue des Études grecques 106 (1993)</ref>.
Les dialectes utilisés sont l'ionien-attique (parlé à Athènes) pour les parties parlées ou récitées, et le dorien (dialecte littéraire) pour les parties chantées. Sur le plan métrique, les parties parlées utilisent surtout des rythmes iambiques (trimètre iambique), jugés les plus naturels par Aristote<ref name=po1449a/>, tandis que les parties chorales recourent à une plus grande variété, mêlant souvent iambes et dactyles<ref name=brunet group="note">Pour une étude métrique détaillée, se reporter à Philippe Brunet, La Naissance de la littérature dans la Grèce ancienne, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Références », 1997, Modèle:P.140-146.</ref>.
Conventions, scènes récurrentes et coups de théâtre
L'action tragique suit d'autres contraintes et conventions, en partie liées aux exigences matérielles du théâtre grec, qui débouchent sur certaines scènes typiques. Parfois, la scène évoquée se passe loin, et est racontée par un messager (comme pour le récit de la bataille de Salamine, dans Les Perses) ; ou elle ne peut être montrée, dans le cas des scènes de meurtre notamment, puisqu'on ne doit pas faire couler de sang sur scène : au chœur revient alors le rôle de commenter une scène censée se dérouler à l'intérieur du palais, et qu'il est le seul à entendre (comme pour la mort du roi dans Agamemnon<ref>Modèle:Harvsp</ref>). De même les scènes de reconnaissance sont fréquentes et Aristote y consacre de longs développements<ref>Poétique, 1452a (XI) et 1454b (XVI) [lire en ligne]</ref>.
Aristote fait de la péripétie l'une des caractéristiques de la tragédie ; il la décrit comme Modèle:Citation<ref name="1452a2">Poétique XI (1452a [lire en ligne])</ref>. Et de citer l'exemple du messager qui, dans Œdipe roi, Modèle:Citation. La rupture du schéma attendu est mieux maîtrisée encore par Euripide. Par exemple dans Hécube<ref>Modèle:Harvsp.</ref> : lorsque la vieille reine supplie Ulysse d'épargner sa fille Polyxène, cette dernière surprend les deux personnages et le public en affirmant d'elle-même : Modèle:Citation<ref>v. 346-347, trad. Marie Delcourt-Curvers (voir le détail des éditions).</ref> ; la surprise souligne l'héroïsme du personnage. On pourrait multiplier les exemples, puisque selon Jacqueline de Romilly, Modèle:Citation<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Reconnaissance et péripétie sont pour ces raisons, d'après Aristote, les deux principaux ressorts de la tragédie grecque<ref name="1452a2" />, propres tous deux à soutenir l'art de présenter des situations pathétiques<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>.
Toujours selon Aristote, la tragédie grecque a fonction de catharsis, un phénomène par lequel sont transformées en plaisir des émotions pénibles comme la crainte et la pitié. Ainsi, l'un des effets propres à la tragédie consisterait précisément à soulager les âmes de ces deux sentiments de terreur et de pitié par la force même avec laquelle elle les excite. L’âme n’y est troublée que pour être finalement apaisée.
Les sujets et leur traitement
Si la tragédie est liée, à l'origine, au culte de Dionysos<ref group="note">Voir supra.</ref>, sa matière y est très rarement liée : le seul exemple subsistant est constitué par Les Bacchantes d'Euripide. Pour l'essentiel, les tragédies traitent de la même matière que les grands cycles épiques : les mythes, en particulier la guerre de Troie, les exploits d'Héraclès, le cycle thébain et le destin d'Œdipe.
Des pièces historiques existent pourtant aussi mais elles sont rares (Les Perses est le seul exemple conservé) : représenter des événements récents est un exercice risqué, comme le montre le désastre d'une pièce de Phrynichos, La Prise de Milet, évoqué par Hérodote : Modèle:Citation<ref>Hérodote, VI, 12 [Lire en ligne]</ref>. De fait, alors que la pièce de Phrynichos<ref group="note">Phrynichos fut également auteur de Phéniciennes à sujet historique. Cf. Modèle:Harvsp.</ref> rappelait l'écrasement de Milet en 494<ref group="note">Voir pour plus de détails l'article Révolte de l'Ionie.</ref>, Les Perses évoque une victoire athénienne (Salamine), et ne montre pas le champ de bataille<ref group="note">Comme l'explique Modèle:Harvsp : Modèle:Citation</ref>. Le drame historique ne réapparaît qu'au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle avec le Thémistocle de Moschion, suivi d'une pièce au même titre de Philiscos, au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle<ref>Modèle:Harvsp.</ref>.
Hormis Les Bacchantes et Les Perses, toutes les tragédies qui nous sont parvenues sont donc basées sur des mythes. Encore ceux-ci ne sont-ils pas tous autant représentés. Ainsi, la malédiction des Atrides est elle la plus illustrée par les tragiques : les trois pièces constituant l'Orestie chez Eschyle, Électre chez Sophocle, et, chez Euripide, une Électre, un Oreste, mais aussi deux pièces consacrées à Iphigénie : Iphigénie en Tauride et Iphigénie à Aulis. Une telle coïncidence ne devait pas être rare : un discours de Dion Chrysostome porte ainsi sur trois pièces d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide, toutes trois consacrées à Philoctète<ref>Discours 52, Sur les trois Philoctète {{#invoke:Langue|indicationDeLangue}} [lire en ligne.</ref>. Seul le Philoctète de Sophocle nous est parvenu.
Cette récurrence des thèmes mythiques a pu susciter des critiques, liées au manque de suspense et d'inventivité de la tragédie. Dans la comédie la Poésie d’Antiphane, comique grec du milieu du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle Modèle:Av JCModèle:Vérification siècle, un personnage remarque ainsi : Modèle:Citation<ref group="note">Cité par Modèle:AthDei, 222a. À ce sujet : Benoît Louyest, « Restitution par Athénée du regard des comiques sur la tragédie », CorHaLi/Lille III, juin 2003</ref>. Mais cette critique ne semble guère pouvoir s'appliquer aux tragédies qui nous sont parvenues. En effet, outre la surprise des péripéties<ref name="ref1" group="note">Voir supra.</ref>, les auteurs réservent des variantes au traitement des mythes. Les meurtres de Clytemnestre et d'Égisthe par Oreste connaissent ainsi des changements au gré des exigences de chaque auteur<ref group="note">Les pièces considérées sont Les Choéphores d'Eschyle, Électre de Sophocle et Électre d'Euripide.</ref> : alors que la mort d'Égisthe précède celle de Clytemnestre chez Eschyle et Euripide, l'ordre est inversé chez Sophocle ; quant au personnage d'Électre, alors qu'elle n'est pas mêlée aux meurtres chez Eschyle, elle entend et commente la mort de Clytemnestre et livre Égisthe à son frère chez Sophocle, et participe au meurtre de sa mère chez Euripide. Euripide est habitué aux innovations spectaculaires : on lui attribue l'invention de l'infanticide de Médée<ref group="note" name=eurimedee>Dans la pièce Médée. Voir Aristote (Poétique, 1453b (XIV) [lire en ligne]). Voir aussi la notice de Marie Delcourt-Curvers dans son édition des tragédies d'Euripide (voir le détail des éditions). Robert Graves (156.f) relate la possibilité qu'Euripide ait en cela suivi une commande de Corinthe, afin d'innocenter les Corinthiennes, qui vengent la princesse dans la version plus ancienne du mythe.</ref>. Il utilise également dans son Hélène une version du mythe selon laquelle la femme de Ménélas n'aurait pas suivi Pâris, mais aurait été enlevée par Hermès sur l'ordre de Zeus, et confiée au roi d'Égypte tandis qu'un fantôme prenait sa place à Troie<ref group="note">Cette version est attribuée à Stésichore et ne se retrouve guère ailleurs que chez Euripide. Cf. Robert Graves, 159.v et 159.1.</ref>.
Cette capacité de réinventer les mythes est pour beaucoup dans le succès de la tragédie. Comme le dit Jacqueline de Romilly : Modèle:Citation<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Il n'est ainsi pas rare qu'une tragédie fasse écho à des problématiques d'actualité : l'Orestie d'Eschyle exalte le rôle de l'Aréopage à l'époque même où les pouvoirs viennent d'en être changés ; la pièce prend donc une portée civique et politique<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>.
Les tragiques
Eschyle
Modèle:Article détaillé Le premier grand nom de la tragédie grecque est Eschyle. Sa carrière de poète tragique correspond à la première moitié du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle Modèle:Av JCModèle:Vérification siècle : sa première victoire au concours se situe en 484, mais ses premières pièces dateraient des environs de 500<ref name=rom51>Modèle:Harvsp (1970).</ref> ; et Eschyle termine sa vie en 456 à Géla, en Sicile. Seules sept tragédies d'Eschyle subsistent, mais on sait qu'il composa quatre-vingt-dix tragédies<ref>Les sources varient, mais le minimum cité est de 73. Modèle:Harvsp.</ref> et vingt drames satyriques<ref name=pvnpp>Pierre Vidal-Naquet, « Eschyle, le passé et le présent », préface de l'édition de Paul Mazon, Paris, Gallimard, « Folio », 1982 ; rééd. Vernant & Vidal-Naquet, t. II, Modèle:P.91-114.</ref>.
La plus ancienne tragédie conservée est Les Perses (472), seul exemple de pièce à sujet historique, inspirée à l'auteur par sa propre expérience de la guerre contre les Perses (Eschyle prend part aux batailles de Marathon et de Salamine). Suivent Les Sept contre Thèbes (467), consacrés à l'attaque de Thèbes par les sept chefs et à la rivalité entre Étéocle et son frère Polynice ; puis Les Suppliantes (464-463), dont le personnage principal est le chœur des Danaïdes, qui implorent la protection de Pélasgos contre les Égyptiades. En 458 est représentée l’Orestie : sous ce terme est désigné le seul exemple de trilogie tragique qui nous soit parvenu, consacré à travers les trois pièces qui la composent (Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides) à la malédiction des Atrides et au destin d'Oreste, vengeur de son père Agamemnon et meurtrier de sa mère Clytemnestre. La dernière pièce conservée d'Eschyle, Prométhée enchaîné est assez différente des autres. Elle met en scène uniquement des personnages divins, et se passe après que Prométhée a été cloué au rocher par Héphaïstos, sur l'ordre de Zeus.
Le théâtre d'Eschyle est d'abord caractérisé par certaines innovations formelles comme l'introduction du deuxième acteur que lui attribue Aristote<ref name="acteurs"group="note">Voir supra.</ref>, ou l'invention de la trilogie « liée » par un même thème ou une intrigue commune, comme dans l'exemple de l’Orestie<ref>Modèle:Harvsp.</ref>. Et s'il repose moins sur la psychologie des personnages que celui de ses successeurs, il privilégie en revanche le spectacle des événements. Comme le dit Jacqueline de Romilly, Modèle:Citation<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>, et en tire un monde d'angoisse et d'images intenses, par exemple lors de l'évocation de la guerre, que l'on retrouve dans toutes ses pièces sauf Prométhée.
Les pièces d'Eschyle mettent en évidence les conceptions puissantes du poète sur l'équilibre de la cité, l'ordre civique, la responsabilité des chefs, ainsi que le dégoût de l’hybris qui met en danger cet équilibre. Cette préoccupation civique, sans doute influencée par l'expérience militaire d'Eschyle qui vit Athènes échapper à la destruction, est par exemple illustrée par le rôle qu'il donne à l'aréopage à la fin des Euménides : lorsque le tribunal acquitte Oreste, le public athénien ne pouvait ignorer l'allusion aux réformes d'Éphialte qui en avaient réduit le rôle trois ans plus tôt<ref>Jean Hatzfeld, Histoire de la Grèce ancienne, rééd. Petite Bibliothèque Payot, 2002, Modèle:P.202-203.</ref>,<ref name=pvnpp/>.
Le poids de la décision des dieux dans la conduite des affaires humaines est également essentiel dans le déroulement de ses tragédies, notamment à travers le sort militaire de la cité (la défaite de Xerxès dans Les Perses, la victoire d'Étéocle dans Les Sept), ou la malédiction familiale (celle des fils d'Œdipe dans Les Sept, celle des Atrides dans l’Orestie). Ceci fait du théâtre d'Eschyle, pour reprendre les mots de Jacqueline de Romilly, Modèle:Citation<ref name="rom51" />.
Sophocle
Modèle:Article détaillé La vie de Sophocle correspond à l'âge d'or de la démocratie athénienne : né à Colone en 496 ou 495, contemporain de Périclès, il conduit à seize ans le chœur du triomphe de Salamine<ref>Athénée, I, 20f.</ref>,<ref name="anon">Βίος Σοφοκλέους, éd. Westermann in Vitarum Scriptores Graeci Minores, Brunswick, 1845, Modèle:P. lire en ligne</ref>, et il meurt en 406 ou 405, avant la reddition d'Athènes en 404. Sa carrière de poète tragique débute au plus tôt en 468, lorsque son Triptolème est couronnée du premier prix devant Eschyle. Rival de ce dernier, puis d'Euripide, Sophocle remporte un total inégalé de dix-huit victoires aux grandes Dionysies. Il est l'auteur de cent vingt-trois tragédies<ref name=rom82>Modèle:Harvsp (1970).</ref>, ainsi que de drames satyriques<ref name=romi87>Romilly 1980, p. 87</ref>. De cet ensemble, subsistent les traces de cent quatorze titres<ref>Modèle:Harvsp.</ref> et seulement sept pièces entières, auxquelles on peut ajouter les fragments importants du drame satyrique Les Limiers, retrouvés en 1912<ref name=rom82/>.
Seules trois pièces de Sophocle sont datées avec certitude : Antigone (442), Philoctète (-409, dernière victoire de Sophocle au concours) et Œdipe à Colone (représentation posthume en 401)<ref name=romi87/>. On peut noter que Sophocle aime utiliser les thèmes du cycle troyen et du cycle thébain. Concernant Troie, outre le Philoctète, Ajax est peut-être la plus ancienne pièce conservée de Sophocle<ref group="note">Elle pourrait avoir été représentée en 445. Modèle:Harvsp</ref>, et Électre reprend le sujet des Choéphores d'Eschyle (le retour et la vengeance d'Oreste) en le renouvelant. Concernant Thèbes, outre Antigone et Œdipe à Colone, Œdipe roi est considéré comme le paradigme de la tragédie par Aristote qui cite la pièce à sept reprises dans la Poétique, plus que n'importe quelle autre<ref group="note">On peut voir à ce sujet Michel Magnien, « Sophocle, ou "De la tragédie" », in Introduction à La Poétique, LGF/Livre de Poche, 1990</ref>. Enfin, Les Trachiniennes sont consacrées à la mort d'Héraclès.
Les évolutions formelles de Sophocle par rapport à Eschyle sont assez significatives : introduction du tritagoniste<ref name="acteurs" group="note"/>, réduction de la place du chœur<ref group="note">Voir supra.</ref>, et abandon de la tragédie « liée »<ref>Modèle:Harvsp.</ref>. Ces changements accentuent les enjeux individuels, l'analyse psychologique, les interactions et oppositions entre personnages<ref name=rom39>Modèle:Harvsp (1970).</ref> : il est notable que la plupart des tragédies de Sophocle que nous connaissons portent désormais le nom du personnage principal, et ne désignent plus le chœur (exception faite des Trachiniennes). Ceci correspond à l'importance que représente le héros chez Sophocle. Souvent solitaire, le héros est abandonné voire rejeté, comme Antigone, Ajax, Électre et Philoctète, ou encore plus qu'aucun autre Œdipe, dans Œdipe à Colone (où cette solitude est transfigurée dans une proximité divine après sa mort)<ref name=rom91>Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Cette solitude se traduit par le caractère du héros, obstiné dans ses décisions : parfois, l'obstination relève de l'aveuglement (comme dans les deux pièces consacrées à Œdipe<ref>Jean-Pierre Vernant, « Ambiguïté et renversement. Sur la structure énigmatique d'Œdipe-roi », Vernant & Vidal-Naquet, I, p. 104</ref>), mais le plus souvent elle est liée à un enjeu moral, un choix qui rejette le personnage dans la solitude et participe à son statut de héros<ref name=rom82/> : ainsi d'Antigone, d'Ajax, d'Électre et, dans Philoctète, de Néoptolème.
Cette importance du héros et de sa psychologie conduit Sophocle à reconsidérer la place des dieux dans la tragédie. Ils ne pèsent plus de tout leur poids sur le déroulement et l'atmosphère quasi-rituelle des pièces comme chez Eschyle<ref>Baldry, p. 136</ref>,<ref name=rom97>Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Les dieux de Sophocle sont distants, mais pas pour autant cruels ou indifférents : leur intervention se fait par des oracles dont le sens est souvent l'objet même de l'intrigue. Ainsi de l'oracle sur Héraclès dans Les Trachiniennes<ref>V. 166-168</ref>, de celui sur Ajax<ref>V. 747-782</ref>, ou de celui sur Philoctète<ref>V. 1014-1015</ref> : des oracles vagues qui Modèle:Citation<ref name="rom102">Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Alors que le spectateur connaît souvent le dénouement à l'avance, les personnages eux sont trompés par ces messages trompeurs : Sophocle introduit l'ironie tragique<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>, dont l'illustration la plus aboutie est Œdipe roi, dans lequel le héros, faisant tout pour fuir son destin ignoble, n'a fait que réaliser celui-ci. Le message de ce théâtre est toutefois éminemment religieux : comme Créon dans Antigone, Œdipe est victime de son impiété, lui qui se riait des devins et croyait échapper aux oracles. Chez Sophocle, Modèle:Citation<ref name="rom112">Modèle:Harvsp (1970).</ref>.
Euripide
Modèle:Article détaillé Né une dizaine d'années après Sophocle, Euripide meurt également avant ce dernier (vers 406-405)<ref name=romi96>Romilly 1980, p. 96-97</ref>: pourtant l'homme et son théâtre partagent peu avec son illustre concurrent. Sa vie est pleine de malheurs et il connaît peu de succès comme tragique: sa carrière commence dès 455, mais ne l'amène à remporter son premier concours que treize ans plus tard, un honneur qui ne lui revient en tout que quatre fois, ce qui traduit combien son art, neuf et libre, devait heurter<ref name=romi96/>. On attribue à Euripide quatre-vingt-douze tragédies, dont dix-huit nous sont parvenues<ref name=romi96/> (même si le Rhésos est très certainement apocryphe<ref name=dl141>Modèle:Harvsp.</ref>), ainsi que des drames satyriques dont un, Le Cyclope, est le seul exemple antique à nous être parvenu en entier.
Si l'on s'intéresse aux thèmes des pièces d'Euripide, on peut notamment constater que ce dernier n'hésite pas à écrire des pièces aux implications politiques claires, plus encore qu'Eschyle<ref>Dans Les Perses ou Les Euménides.</ref>. Plus anciennes, Les Héraclides et Les Suppliantes sont tournées vers le patriotisme, que l'on retrouve aussi dans le personnage d'Égée de Médée), et dans Thésée (et que l'on devait retrouver dans certaines pièces perdues)<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>. À l'inverse, des pièces plus récentes déplorent les conséquences de la guerre, la ruine, le deuil et la captivité, sur un ton presque pacifiste ; c'est le cas d’Andromaque, d’Hécube, des Troyennes, et de certains passages de l’Hélène et d’Iphigénie à Aulis<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>.
Le théâtre d'Euripide est également marqué par la peinture réaliste qu'il fait des personnages et de leur psychologie. Comme le note Jacqueline de Romilly, Modèle:Citation : passions, intérêts, bassesses<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Euripide est ainsi le premier à représenter l'amour au théâtre, dans Hippolyte et dans Médée notamment : le poète tragique ne se refuse aucune innovation pour illustrer la passion, créant la version du mythe dans laquelle Médée égorge elle-même ses enfants<ref group="note" name=eurimedee/>. Et, outre les gestes de violence, la passion motive des affrontements verbaux à l'intensité inédite, dans Hécube en particulier<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>, des débordements de toute sorte qui montrent pour la première fois sur scène combien la passion relève de l'irrationnel, à travers des décisions brusques et des revirements répétés (outre Médée, Électre et Oreste dans les deux pièces éponymes, Hermione dans Andromaque, Iphigénie dans Iphigénie à Aulis)<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Impulsions parfois motivées par les sentiments égoïstes de personnages sordides qu'Euripide n'hésite pas à employer : l'Admète d’Alceste, le Ménélas d’Andromaque et d’Iphigénie à Aulis (dans un dialogue avec son frère Agamemnon qui n'y paraît pas sous un meilleur jour). Des figures qui mettent en valeur le contraste avec celles, idéalisées, d'Alceste, de Polyxène (dans Hécube), des Héraclides, de Ménécée (Les Phéniciennes), et bien sûr d'Iphigénie<ref name=rom141>Modèle:Harvsp (1970).</ref>.
Le regard d'Euripide sur les dieux tranche aussi avec ses prédécesseurs. Inspiré par la philosophie rationaliste de son temps, Euripide ne fait plus dépendre l'action de la décision divine : les malheurs ou les péripéties ne sont dues qu'aux hommes, et les fluctuations du sort ne sont plus pourvues d'un sens<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Ce hasard, Euripide l'exploite d'ailleurs particulièrement à travers les scènes de reconnaissance (Ion, Iphigénie en Tauride, Hélène)<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Et quand les dieux parfois interviennent c'est sous un jour cruel, comme Héra dans La Folie d'Héraclès ou Aphrodite dans Hippolyte<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>.
Euripide innove donc dans la représentation que la tragédie fait de la cité, de l'homme et des dieux, comme on peut le voir en comparant Les Phéniciennes aux Sept d'Eschyle, ou Oreste aux Euménides : l'ampleur dramatique a cédé la place à la psychologie, à l'humain<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Enfin, Les Bacchantes, la plus tardive de ses pièces avec Iphigénie à Aulis<ref group="note">Les Bacchantes et Iphigénie à Aulis furent toutes deux jouées après la mort d'Euripide.</ref>, est aussi la plus inhabituelle des tragédies grecques. Rêve d'évasion et illusion d'un ailleurs<ref name=rom141/>, elle montre un dieu, Dionysos, se vengeant sur un homme trop confiant, Penthée, qui finit massacré sur la scène par les bacchantes et notamment par sa mère Agavé, qui finit par s'apercevoir qu'elle tient dans ses mains la tête coupée de son fils. Seule tragédie mettant en scène le dieu de la tragédie parmi celles qui nous sont parvenues, pièce la plus religieuse d'Euripide, elle ne montre qu'un jeu atroce faisant de la misère humaine le plaisir des dieux<ref>Modèle:Harvsp (1970).</ref> et a donné lieu à de nombreuses interprétations parfois contradictoires. Quoi qu'il en soit, comme l'explique H. C. Baldry, Modèle:Citation<ref>Baldry, p. 146</ref>. Certains tragiques ont précédé Eschyle : Thespis, considéré comme le premier auteur tragique ; Pratinas de Phlionte, connu pour ses drames satyriques, ou encore le renommé Phrynichos, qui fit jouer la très décriée Prise de Milet<ref>supra) vers -494 et Les Phéniciennes en -476</ref>,<ref name="rom187">Modèle:Harvsp (1970).</ref>. Chérilos d'Athènes, débute en -521 et compose parmi ses nombreuses tragédies une Alopé. On compte aussi des tragédiques parmi les descendants des trois grands. Euphorion et Évaion, fils d'Eschyle, auraient composé plus de cent tragédies, Philoclès l'Ancien est le neveu d'Eschyle<ref>Modèle:Harvsp</ref> ; le petit-fils de ce dernier, Philoclès le Jeune, est également poète tragique, et Astydamas, quinze fois vainqueur au Modèle:Lien siècle av JCModèle:Vérification siècle, est aussi de la descendance d'Eschyle<ref name="rom187" />. Iophon et Ariston sont fils de Sophocle, et son petit-fils Sophocle le Jeune (fils d'Ariston) composa aussi des tragédies et fit représenter Œdipe à Colone en 401. Plusieurs contemporains d'Euripide sont connus de nom : Nicomaque, Ion de Chios auteur d'une dizaine de trilogies, ou encore Antiphon le Tragique, imitateur d'Euripide et notamment auteur d'un Méléagre. Néophron de Sicyone est l'auteur d'une Médée comparée à celle d'Euripide, poète tragique prolifique (cent-vingt pièces). Agathon, auteur à la mode à la fin du [[Ve siècle av. J.-C.|Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle]], apparaît dans Le Banquet de Platon<ref>Modèle:PlaBan</ref> et Les Thesmophories d'Aristophane. Il est l'auteur d'un Anthée. Plusieurs tragiques du [[IVe siècle av. J.-C.|Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle]] sont connus ; Carcinos, Chérémon, ou encore Mélétos, auteur d'une Œdipedie et surtout connu comme accusateur de Socrate. Critias, oncle de Platon et tyran d'Athènes en 404, est également poète. Parmi ses fragments, l'attribution d'un Pirithoos a été discutée entre lui et Euripide<ref name=rom187/>.
Postérité et influence
La tragédie au Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle Modèle:Av JCModèle:Vérification siècle et à l'époque hellénistique
En dehors même des auteurs grecs connus après le [[Ve siècle av. J.-C.|Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle]]<ref group="note">Voir supra</ref>, c'est surtout l'intérêt éprouvé par certains penseurs les plus influents de leur temps qui retient l'attention, notamment chez Platon et Aristote. Concernant le premier, les livres III et X de La République traitent des différentes formes poétiques, ou arts d'imitation (mimesis), et proclament leur caractère indigne. Aristote quant à lui étudie les formes littéraires de façon plus approfondie dans sa Poétique. Il donne en particulier la première définition du genre tragique : Modèle:Citation bloc
Il examine également précisément les caractères et les ressorts du théâtre tragique (reconnaissance, péripétie)<ref name="ref1" group="note" />. Mais c'est cette « purgation », en grec katharsis, qui a donné lieu au plus nombreuses interprétations<ref group="note">Pour une vision complète du sujet, voir Stephen Halliwell, Aristotle's Poetics, North Carolina University Press/Duckworth, Chapell Hill/Londres, 1986, appendice 5, p. 350-356</ref>. Cette métaphore médicale semble en tout cas désigner la Modèle:Citation<ref>Michel Magnien, introduction à la Poétique, LGF/Livre de Poche, 1990, Modèle:P.41.</ref>, mais la portée morale et physique de la réflexion aristotélicienne est sujette à diverses évaluations. On retrouve le terme de katharsis dans la Politique, cette fois en rapport au chant : pour Aristote, la musique suscite un déchaînement de troubles mais en apporte aussi l'apaisement, comme un remède médical.
Le théâtre grec reste vivant pendant la période hellénistique, à la fois à travers de nouvelles créations, et par la production de pièces anciennes, notamment dues aux trois grands : Eschyle est rejoué dès après sa mort, et la reprise des auteurs anciens est officiellement organisée à partir du Modèle:Lien siècle av JCModèle:Vérification siècle et Lycurgue fait établir le texte officiel des pièces<ref>Modèle:Harvsp.</ref>. Héraclide du Pont consacre aussi aux trois anciens un traité intitulé Sur les trois tragiques. Hormis peut-être le Rhésos, faussement attribué à Euripide<ref name=dl141/>, il ne subsiste en revanche que des fragments de pièces du [[IVe siècle av. J.-C.|Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle]] et au-delà. On connaît aussi l'existence de la « Pléiade tragique » d'Alexandrie, mais il n'en reste guère plus que le souvenir.
La tragédie grecque hors de Grèce
De même que la comédie, la tragédie grecque est introduite à Rome dans des adaptations latines et en costumes grecs à partir de Modèle:An av. J.-C.. Mais c'est surtout Sénèque qui la réintroduit en composant de nouvelles tragédies à sujets grecs au milieu du Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècle de notre ère (Agamemnon, Hercule furieux, Hercule sur l'Œta, Les Phéniciennes, Les Troyennes, Médée, Œdipe, Phèdre et Thyeste).
La Passion du Christ de Grégoire de Nazianze
Cette tragédie byzantine est attribuée à Grégoire de Nazianze docteur et père de l'Église du Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècle, bien que cette attribution soit contestée Modèle:Refsou. C'est une pièce de 2602 vers, inspirés d'Euripide. Elle est constituée d'un prologue et de trois épisodes, la Passion et la Mort du Christ, le Christ au Tombeau, la Résurrection du Christ, épisodes rappelant la trilogie des concours antiques<ref>Modèle:Chapitre</ref>.
Postérité moderne
Les tragédies grecques sont ensuite transmises par des sélections byzantines, notamment le Codex Laurentianus (XXXII, 9) et le Codex Parisinus Graecus (2712), ressurgies à la Renaissance en Italie<ref name=dl215>Modèle:Harvsp.</ref>. En France, au Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècle, Jean Dorat, aidé de Ronsard, Jean-Antoine de Baïf et François Tissard, effectue les premières traductions françaises d'Euripide, puis d'Eschyle et de Sophocle (ainsi que des comédies d'Aristophane). Les premières éditions imprimées sont dues dans les mêmes années à Adrien Turnèbe et à Henri Estienne<ref name=dl215/>.
La résurgence de la tragédie grecque est la source de la renaissance de la tragédie dans l'Angleterre élisabéthaine, et en France avec Robert Garnier, puis les grands dramaturges du Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècle. On voit d'ailleurs la référence grecque subsister à travers les sujets choisis par Jean Rotrou (Antigone), Corneille (Médée, Œdipe) et bien sûr Racine, lui-même helléniste et fervent lecteur des trois grands (surtout Sophocle), ce qui ressort dans ses tragédies à sujet grec (La Thébaïde, Andromaque, Iphigénie, Phèdre)<ref>Modèle:Harvsp.</ref>. Un phénomène qu'on observe aussi en Angleterre (Œdipe de John Dryden) ou un peu plus tard en Italie (Polynice et Antigone de Vittorio Alfieri)<ref name=dl222>Modèle:Harvsp.</ref>.
Enfin, l'Allemagne bénéficie peut-être plus qu'aucun autre pays de ce renouveau de la tragédie grecque. Sur le mode de la réécriture d'abord (Iphigénie de Goethe), puis, surtout, de l'interprétation. Hegel souligne dans son Esthétique l'importance de la tragédie grecque et la perfection particulière de l’Antigone de Sophocle. Hölderlin est du même avis et traduit lui-même Antigone et Œdipe roi. Et à la fin du Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècle, alors que les représentations des tragédies grecques reviennent à la mode<ref name=dl222/>, Friedrich Nietzsche écrit sa Naissance de la tragédie (1872), qui éveille la querelle entre les partisans de l'interprétation musicale de l'histoire du théâtre depuis les Grecs (vision défendue par l'ouvrage, et le clan wagnérien), et les philologues menés par Wilamowitz. Enfin, c'est chez un autrichien, Sigmund Freud, que le traitement par les tragiques des mythes grecs, en particulier du mythe d'Œdipe par Sophocle, stimule les théories psychanalytiques, qui auront elles-mêmes une influence importante sur les mises en scène du théâtre grec antique au Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècle<ref name=dl222/>. Le théâtre de ce siècle continue d'ailleurs de produire des œuvres directement inspirées des tragédies grecques, comme les pièces contemporaines d'André Gide, Jean Giraudoux, Jean-Paul Sartre, Jean Cocteau et Jean Anouilh<ref>Modèle:Ouvrage</ref>.
Notes et références
Notes
Références
Annexes
Bibliographie
Sources antiques
Théâtre
- Éditions intégrales
- Trad. Victor-Henry Debidour, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Pochothèque », 1999
- Trad. Bernard Deforge, François Jouan, 2 vol., Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2001
- Eschyle : Modèle:Voir référence auteur
- Sophocle : Modèle:Voir référence auteur
- Euripide : Modèle:Voir référence auteur
- Fragments : Tragicorum Graecorum Fragmenta, éd. A. Nauck, Modèle:2e, Leipzig, 1964
Sur le théâtre
- Modèle:PlaRép, livres III et X
- Aristote :
- Poétique Modèle:Lire en ligne
- Modèle:AriPol
- Problèmes (attribution douteuse), livre XIX (L'harmonie)
- Modèle:Souda
- Modèle:S.v. Modèle:Grec ancien = Adler alphaiota 357 Modèle:Lire en ligne
- Modèle:S.v. Modèle:Grec ancien = Adler sigma 815 Modèle:Lire en ligne
- Modèle:S.v. Modèle:Grec ancien = Adler epsilon 3695 Modèle:Lire en ligne
Ouvrages généraux
- Modèle:Ouvrage Modèle:Lire sur Wikisource
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- trad. en anglais : Modèle:Ouvrage
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- trad. en français : Modèle:Ouvrage
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- Collectif, « Tragique et tragédie », Études françaises, numéro préparé par Pierre Gravel, vol. 15, nos 3-4, 1979, 199 p. (http://revue-etudesfrancaises.umontreal.ca/volume-15-numero-3-4/)
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- Jean-Ernest Joos, « La ‘‘catharsis’’ et le moment historique de la tragédie grecque », Études françaises, volume 15, numéro 3-4, octobre 1979, p. 21-44 (lire en ligne)
- Papalexiou, Eleni, La tragédie grecque sur la scène contemporaine, Lille : ANRT-Université de Lille, 2005.
Sur les auteurs
Eschyle
- Ismaïl Kadaré, Eschyle ou l'éternel perdant, Paris, Fayard, 1988 ; Modèle:2e éd. revue et augmentée, Eschyle ou le grand perdant, Paris, Fayard, 1995
- Alain Moreau, Eschyle. La Violence et le Chaos, Les Belles Lettres, Paris, 1985
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- Modèle:Ouvrage
Sophocle
- Modèle:Ouvrage
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- Modèle:Ouvrage
- trad. française : Modèle:Ouvrage
- trad. anglaise : Modèle:Ouvrage
- Modèle:Ouvrage
- Modèle:Ouvrage
- Hölderlin, Remarques sur Œdipe et Remarques sur Antigone, Pléiade
- Antigone Sophocle (Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle Modèle:Av JCModèle:Vérification siècle). Traduit du grec : Le livre de poche
Euripide
- Modèle:Ouvrage
- Modèle:Ouvrage
- Modèle:Ouvrage ; éd. revue et corrigée
- Modèle:Ouvrage
- Modèle:Ouvrage ; 2e édition revue, 1975
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- Modèle:Article