Nombre transcendant
En mathématiques, un nombre transcendant sur les rationnels est un nombre réel ou complexe qui n'est racine d'aucun polynôme non nul
où Modèle:Math est un entier naturel et les coefficients Modèle:Math sont des rationnels non tous nuls, ou encore (en multipliant ces Modèle:Math rationnels par un dénominateur commun) qui n'est racine d'aucun polynôme non nul à coefficients entiers. Un nombre réel ou complexe est donc transcendant si et seulement s’il n'est pas algébrique.
Comme tout nombre rationnel est algébrique, tout nombre transcendant est donc un nombre irrationnel. La réciproque est fausse : par exemple [[racine carrée de deux|Modèle:Sqrt]] est irrationnel mais n'est pas transcendant, puisqu'il est solution de l'équation polynomiale Modèle:Math.
Puisque l'ensemble des nombres algébriques est dénombrable, l'ensemble des réels transcendants est non dénombrable (il a la puissance du continu), et presque tout nombre (parmi les réels ou les complexes) est transcendant. Néanmoins, seulement peu de classes de nombres transcendants sont connues et prouver qu'un nombre donné est transcendant peut être extrêmement difficile.
Les exemples les plus connus de nombres transcendants sont [[Pi|Modèle:Math]] et [[e (nombre)|Modèle:Math]].
Histoire
Leibniz Modèle:Évasif de nombres transcendants. Le nom « transcendant » vient de sa publication de 1682, où il démontra que sinus n'est pas une fonction algébrique. L'existence des nombres transcendants fut prouvée pour la première fois en 1844 par Joseph Liouville<ref group=N name=NombreLiouville>Voir l'article « Nombre de Liouville ».</ref>, qui exhiba des exemples, incluant la constante de Liouville :
- <math>
c = \sum_{j=1}^\infty 10^{-j!} = 0{,}110001000000000000000001000\ldots </math>
dans laquelle le n-ième chiffre après la virgule est 1 si n est une factorielle (l'un des nombres 1, 2, 2×3 = 6, 2×3×4 = 24, etc.) et 0 sinon ; ce nombre est particulièrement bien approché par les nombres rationnels. Joseph Liouville montra que les nombres ayant cette propriété (que nous nommons maintenant nombres de Liouville) sont tous transcendants<ref group=N>Voir l'article « Théorème de Liouville (approximation diophantienne) ».</ref>.
Jean-Henri Lambert, prouvant entre autres<ref group=N>Pour plus de détails sur les résultats de Lambert, voir la section « Irrationalité » de l'article « Fraction continue et approximation diophantienne ».</ref> l'irrationalité de Modèle:Math et redémontrant celle de Modèle:Math, conjectura qu'ils étaient même transcendants. Le premier nombre à avoir été démontré transcendant sans avoir été construit spécialement pour cela fut Modèle:Math, par Charles Hermite en 1873<ref group=N name=HermiteLindemann>Voir l'article « Théorème d'Hermite-Lindemann ».</ref>.
En 1874, Georg Cantor démontra que les nombres algébriques réels sont dénombrables et les nombres réels sont non dénombrables ; il fournit également une nouvelle méthode permettant de construire des nombres transcendants<ref>Über eine Eigenschaft des Inbegriffes aller reellen algebraischen Zahlen. Traduction française : Sur une propriété du système de tous les nombres algébriques réels.</ref>. En 1878, Cantor publia une construction démontrant qu'il y a « autant » de nombres transcendants que de nombres réels<ref>En 1878, Cantor ne construisit qu'une bijection entre l'ensemble des nombres irrationnels et l'ensemble des nombres réels (voir Une contribution à la théorie des ensembles, Modèle:P.323-324). Toutefois, l'année suivante, il indiqua que sa construction s'applique à tout ensemble formé en supprimant une quantité dénombrable de nombres d'un intervalle réel (voir Sur ensembles infinis et linéaires de points, Modèle:P.353).</ref>. Ces résultats établissant l'ubiquité des nombres transcendants.
En 1882, Ferdinand von Lindemann démontra que Modèle:Math à n'importe quelle puissance algébrique non nulle est transcendant, prouvant ainsi entre autres la transcendance de Modèle:Math<ref group=N name=HermiteLindemann/>. Cette approche fut généralisée par Karl Weierstrass avec le théorème de Lindemann-Weierstrass (en 1885).
La transcendance de Modèle:Math a permis la démonstration de l'impossibilité de résoudre plusieurs problèmes anciens de construction géométrique à la règle et au compas, incluant le plus célèbre d'entre eux, la quadrature du cercle.
En 1900, David Hilbert a posé une importante question à propos des nombres transcendants, connue sous le nom de septième problème de Hilbert : « Si a est un nombre algébrique non nul et différent de 1 et si b est un nombre algébrique irrationnel, alors le nombre ab est-il nécessairement transcendant ? » La réponse, affirmative, fut donnée en 1934 par le théorème de Gelfond-Schneider. On peut obtenir facilement des nombres transcendants grâce à lui, par exemple 2Modèle:Racine.
Ce travail fut étendu par Alan Baker dans les années 1960.
Quelques nombres transcendants connus
- Par le théorème d'Hermite-Lindemann,
- le [[e (nombre)|nombre Modèle:Math]] (base des logarithmes népériens), et plus généralement
- les nombres Modèle:Matha pour tout nombre a algébrique non nul ;
- le nombre sin(1), et plus généralement
- les nombres cos(a) et sin(a), pour tout nombre a algébrique non nul.
- le [[e (nombre)|nombre Modèle:Math]] (base des logarithmes népériens), et plus généralement
- Par la contraposée de ce même théorème,
- le [[pi|nombre Modèle:Math]],
- les nombres log(a) si a est un réel algébrique strictement positif et différent de 1,
- le nombre de Dottie.
- Par le théorème de Gelfond-Schneider,
- le nombre 2Modèle:Racine (constante de Gelfond-Schneider),
- le nombre réel Modèle:Math (constante de Gelfond),
- le nombre réel Modèle:Math (racine carrée de l'inverse du précédent),
- plus généralement les nombres ab où a est un nombre algébrique différent de 0 et de 1 et où b est algébrique mais non rationnel.
- Par la contraposée de ce même théorème,
- des nombres tels que log(3)/log(2).
- Des nombres tels que xlog(2) + ylog(3) + zlog(5) avec x, y, z algébriques non tous nuls (voir le théorème de Baker).
- Modèle:Math, Modèle:Math et Modèle:Math, où Modèle:Math est la fonction gamma d'Euler (chacun de ces nombres est même algébriquement indépendant de Modèle:Math).
- Le nombre de Champernowne 0,12345678910111213… obtenu en écrivant à la suite les entiers naturels en base dix (théorème de Mahler, 1961)
- Les nombres de Liouville, comme <math>\sum_{k=0}^{+\infty} 10^{-\lfloor \beta^{k} \rfloor};\qquad \beta > 1\; , </math>
où ⌊x⌋ est la partie entière du réel x. Par exemple, si <math>\beta=2</math>, ce nombre est 0,11010001000000010000000000000001000… - Les sommes de certaines séries à convergence rapide, mais moins que celle des nombres de Liouville, ont été montrées transcendantes par des généralisations de son résultat ; c'est par exemple le cas de la série des inverses des nombres de Fermat<ref>Modèle:Article</ref> ou des nombres de Fredholm de deuxième espèce<ref>Modèle:Article</ref>.
- À l'aide de suites automatiques :
- les nombres dont le développement décimal (ou dans une autre base) est défini par une suite automatique<ref name=ab>Modèle:Article.</ref> qui n'est pas périodique à partir d'un certain rang<ref group = N>Les nombres dont le développement décimal est périodique sont les nombres rationnels.</ref> ;
- les fractions continues dont la suite des quotients partiels est automatique<ref>Modèle:Article.</ref> mais n'est pas<ref group=N>D'après un théorème de Lagrange, les fractions continues périodiques à partir d'un certain rang correspondent aux irrationnels quadratiques.</ref> périodique à partir d'un certain rang.
- Modèle:Math, constante de Chaitin, et plus généralement : chaque nombre non calculable est transcendant (puisque tous les nombres algébriques sont calculables).
- La constante de Prouhet-Thue-Morse
Toute fonction algébrique non constante à une variable donne une valeur transcendante lorsqu'on lui applique une valeur transcendante. Donc, par exemple, en sachant que Modèle:Math est transcendant, nous pouvons immédiatement déduire que Modèle:Math, Modèle:Sfrac, (Modèle:Racine – Modèle:Racine)8 et (Modèle:Math5+7)Modèle:ExpInd sont aussi transcendants.
Néanmoins, une fonction algébrique à plusieurs variables peut donner un nombre algébrique lorsqu'elle est appliquée aux nombres transcendants si ces nombres ne sont pas algébriquement indépendants<ref group=N name=SommeProduit/>. On ignore si Modèle:Math, par exemple est transcendant, mais au moins l'un des deux nombres Modèle:Math et Modèle:Math est transcendant. Plus généralement, pour deux nombres transcendants a et b, au moins l'un des nombres a + b et ab est transcendant. Pour voir cela, considérons le polynôme Modèle:Nobr si a + b et ab étaient tous deux algébriques, alors ce polynôme serait à coefficients algébriques. Comme les nombres algébriques forment un corps algébriquement clos, ceci impliquerait que les racines du polynôme, a et b soient algébriques. Mais ceci est une contradiction et ainsi, au moins un des deux coefficients est transcendant.
Classification des nombres transcendants
Kurt Mahler a introduit en 1932 une partition des nombres transcendants en trois ensembles, qu'il note S, T, et U<ref name=Bug250>Modèle:Ouvrage.</ref>. La définition de ces classes repose sur une généralisation de la notion de mesure d'irrationalité.
Mesure de transcendance d'un nombre complexe
Soit <math>z</math> un nombre complexe. On cherche à évaluer à quel point il est possible d'approcher <math>z</math> par une racine d'un polynôme à coefficients entiers en fonction de son degré (inférieur ou égal à un entier <math>n</math>) et de ses coefficients (de module majoré par un entier <math>H</math>).
Soit <math>m(z,n,H)</math> la plus petite valeur non nulle prise par <math>|P(z)|</math> quand <math>P</math> parcourt cet ensemble fini de polynômes. On note (avec <math>\limsup</math> désignant la limite supérieure) :
- <math>\omega(z, n, H) = - \frac{\log m(z, n, H)}{n\log H}</math>
- <math>\omega(z, n)= \limsup_{H\to\infty} \omega(z,n,H)</math>.
Dans le cas où <math>n = 1</math> on reconnaît le logarithme de la mesure d'irrationalité. On définit trois classes<ref name = "boyer">Modèle:Ouvrage.</ref>
- U est l'ensemble des nombres complexes <math>z</math> tels que <math>\omega(z, n)= +\infty</math> au-delà d'un certain <math>n</math> (qu’on appelle le degré de <math>z</math>) ;
- T est l'ensemble des nombres complexes <math>z</math> tels que la suite <math>\left(\omega(z, n)\right)</math> est à valeurs finies mais n'est pas bornée ;
- S est l'ensemble des nombres complexes <math>z</math> tels que la suite <math>\left(\omega(z, n)\right)</math> est bornée.
Exemples
Tout nombre transcendant est dans l'une des classes S, T ou U ; mais la classification précise est parfois difficile à établir. On ne sait par exemple pas si <math>\pi</math> est dans S ou dans T<ref>Modèle:Ouvrage.</ref>. En revanche dans certains cas particuliers il est possible de conclure plus finement.
Éléments de la classe U
- Par définition, un nombre de Liouville <math>\lambda</math> est tel que <math>\omega(\lambda, 1)= +\infty</math>, la classe U contient donc l'ensemble des nombres de Liouville<ref name = "boyer"/>, qui a la puissance du continu<ref group=N name=NombreLiouville/>.
- Pour tout entier <math>n</math>, la racine n-ième Modèle:Sqrt de tout nombre de Liouville λ est un élément de U de degré <math>n</math><ref>Modèle:Harvsp.</ref>.
Éléments de la classe S
La fonction exponentielle envoie tout nombre algébrique non nul sur un élément de S<ref name="BurgerTubbs">Modèle:Harvsp.</ref>, ce qui précise le théorème d'Hermite-Lindemann. D'après le théorème de Lindemann-Weierstrass, S contient donc un ensemble dénombrable algébriquement libre (sur <math>\Q</math>).
Le cardinal de S (égal à son degré de transcendance) est en fait la puissance du continu, et même : presque tout réel appartient à S<ref>Modèle:Harvsp.</ref>.
Éléments de la classe T
Lorsque Mahler publia sa partition des nombres transcendants, il conjecturait que T est non vide. Cette conjecture ne fut démontrée que 35 ans plus tard, par Wolfgang M. Schmidt<ref>{{#invoke:Langue|indicationDeLangue}} W. M. Schmidt, « T-numbers do exist », Symposia Math. IV, Modèle:Lien, Rome, 1968, Academic Press, 1970, Modèle:P..</ref>,<ref>Modèle:Chapitre.</ref>,<ref name = "boyer"/>. La classe T a même la puissance du continu<ref>Modèle:Ouvrage.</ref>.
Propriétés algébriques
La somme ou le produit de deux nombres transcendants peuvent ne pas être transcendants, ni même irrationnels<ref group="N" name="SommeProduit">Par exemple <math>\pi + (- \pi) =0</math> et <math>\pi\times\frac1\pi=1</math>.</ref>. La partition de Mahler offre cependant une condition suffisante d'indépendance algébrique : Modèle:Théorème
Problèmes ouverts
On ignore si les nombres suivants sont ou non transcendants :
- Modèle:Math, Modèle:Math, Modèle:Math, Modèle:Math<ref>Modèle:Ouvrage.</ref> ;
- Modèle:Math, Modèle:Math, Modèle:Math ;
- la constante d'Euler-Mascheroni Modèle:Math, la constante de Catalan et la constante de Brun (dont on ignore même si elles sont irrationnelles) ;
- la constante d'Apéry Modèle:Math (dont on sait qu'elle est irrationnelle).
Tous les nombres de Liouville sont transcendants mais les nombres transcendants ne sont pas tous des nombres de Liouville. Tout nombre de Liouville doit avoir des termes non bornés dans son développement en fraction continue, donc en utilisant un argument de dénombrement, on peut montrer qu'il existe des nombres transcendants qui ne sont pas des nombres de Liouville. En utilisant le développement explicite en fraction continue de Modèle:Math, on peut montrer que Modèle:Math n'est pas un nombre de Liouville. Kurt Mahler montra en 1953 que Modèle:Math n'est pas non plus un nombre de Liouville. On conjecture souvent<ref>Modèle:Article.</ref> que toutes les fractions continues à quotients partiels bornés qui ne sont pas périodiques à partir d'un certain rang sont transcendantes.
La généralisation du septième problème de Hilbert qui serait de caractériser les transcendants parmi tous les nombres ab lorsque a ≠ 0 et a ≠ 1 est algébrique, Modèle:Refsou. On sait que si b est rationnel alors ab est algébrique, et (d'après le théorème de Gelfond-Schneider mentionné plus haut) que si b est algébrique irrationnel alors ab est transcendant, mais qu'en est-il si b est transcendant ? (Il peut arriver que ab soit algébrique, comme dans l'exemple a = 2, b = log(3)/log(2).)
Généralisations
Si L est une extension de corps de K, un élément de L est dit transcendant sur K s’il n'est pas algébrique sur K. C’est en particulier le cas des fonctions transcendantes.