Simone Weil

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Modèle:Infobox Biographie2

Simone Weil (Modèle:MSAPI) est une philosophe humaniste française, née à Paris le Modèle:Date de naissance- et morte à Ashford (Angleterre) le Modèle:Date de décès-.

Sans élaborer de système nouveau, elle souhaite faire de la philosophie une manière de vivre, non pour acquérir des connaissances, mais pour être dans la vérité. Dès 1931, elle enseigne la philosophie et s'intéresse aux courants marxistes antistaliniens. Elle est l'une des rares philosophes à avoir tenté de comprendre la « condition ouvrière » par l'expérience concrète du travail en milieu industriel et agricole. Successivement militante syndicale, proche ou sympathisante des groupes révolutionnaires trotskystes et anarchistes et des formations d'extrême-gauche, mais sans toutefois adhérer à aucun parti politiqueModèle:Sfn,<ref name="w">Père Jean-Marie Perrin, Préface à Simone Weil, Attente de Dieu, Fayard, 1977, Modèle:P.6-7.</ref>, écrivant notamment dans les revues La Révolution prolétarienne et La Critique sociale, puis engagée dans la Résistance au sein des milieux gaullistes de Londres, Simone Weil prend ouvertement position à plusieurs reprises dans ses écrits contre le nazisme, et n’a cessé de vivre dans une quête de la justice et de la charité<ref group="Note">Son amie et biographe Simone Pétrement explique cette attitude : Modèle:Citation (La Vie de Simone Weil, Fayard, 1998, Modèle:P.669.)</ref>. S'intéressant à la question du sens du travail et de la dignité des travailleurs, elle postule un régime politique qui Modèle:Citation.

Née dans une famille alsacienne d'origine juive et agnostique, elle se convertit à partir de 1936 à ce qu'elle nomme l'« amour du Christ », et ne cesse d’approfondir sa quête de la spiritualité chrétienne. Bien qu'elle n'ait jamais adhéré par le baptême au catholicisme, elle se considérait, et est aujourd'hui reconnue comme une mystique chrétienne. Elle est aussi parfois vue comme une « anarchiste chrétienne<ref>« Avec Simone Weil et George Orwell, pour un socialisme vraiment populaire », Le Comptoir, 22 juin 2015.</ref> ».

Elle propose une lecture nouvelle de la pensée grecque ; elle commente la philosophie de Platon, en qui elle voit Modèle:Citation ; elle traduit et interprète aussi les grands textes littéraires, philosophiques et religieux grecs, dans lesquels elle découvre des Modèle:Cita, qu’elle met en parallèle avec les écritures sacrées hindoues et avec le catharisme. Ses écrits, où la raison se mêle aux intuitions religieuses et aux éléments scientifiques et politiques, malgré leur caractère apparemment disparate, forment un toutModèle:Sfn,Modèle:Sfn dont le fil directeur est à chercher dans son amour impérieux de la vérité, définie comme le besoin de l'âme humaine le plus sacré.

À bout de forces, elle meurt d’épuisement moral et physique et de tuberculose dans un sanatorium anglais le Modèle:Date-, à 34 ans.

Biographie

Enfance

un homme en habit de militaire, avec képi; devant lui, sa femme assise et deux enfants
La famille Weil en 1916.

Simone Adolphine Weil naît le 3 février 1909 à cinq heures du matin dans le Modèle:10e arrondissement de Paris<ref>Modèle:Lien web.</ref>, dans une famille d'origine juive alsacienne du côté paternel, installée à Paris depuis plusieurs générations. La famille Weil habite alors au 19, boulevard de Strasbourg<ref>André Weil, Souvenirs d'apprentissage, Modèle:P..</ref> : c'est là que Simone Weil voit le jour. Elle a trois ans de moins que son frère, le futur mathématicien André Weil.

Sa mère, Salomea Reinherz, est née à Rostov-sur-le-DonModèle:Sfn et a été élevée en Belgique<ref>Modèle:Ouvrage</ref>. Son père, Bernard Weil, est chirurgien militaire. Il est mobilisé dans le Service de santé pendant la Première Guerre mondiale, et sa famille suit ses différentes affectations : Neufchâteau, puis Menton et Mayenne d'Modèle:Date- à Modèle:Date-, l'Algérie<ref group=Note>La famille le suit dans toutes ses destinations sauf lorsqu'il part en colonne au sud de Constantine.</ref>, Chartres et Laval d'Modèle:Date- à Modèle:Date-<ref group=Note>Son frère y reçoit des cours particuliers d'Émile Sinoir, qu'il cite dans ses mémoires.</ref>.

Simone est une enfant de santé délicate<ref>Thomas R. Nevin, op. cit. Modèle:P.</ref>. Elle fréquente le lycée de jeunes filles de Laval<ref>La vie de Simone Weil, Simone Pétrement, Fayard.</ref>. Elle ne reçoit aucune éducation religieuse, comme elle en témoigne elle-même : Modèle:Citation<ref name="w" />. Un des traits essentiels de sa vie est un amour compatissant pour les malheureux : vers l'âge de cinq ans, découvrant la misère des soldats de la guerre de 1914, elle refuse de prendre un seul morceau de sucre afin de tout envoyer à ceux qui souffrent au front<ref name="w" />.

Études

portrait de Simone Weil (1921)
Simone Weil en 1921.
Fichier:Plaque Simone Weil, lycée Victor-Duruy, Paris 7e.jpg
Plaque sur la façade du lycée Victor-Duruy (Paris).

En 1924-1925, elle suit les cours du philosophe René Le Senne au lycée Victor-Duruy, à Paris, et obtient, au mois de Modèle:Date-, le baccalauréat de philosophie à seize ans.

En Modèle:Date-, elle entre en hypokhâgne au lycée Henri-IV, où elle passe trois ans. Elle a pour professeur de philosophie le philosophe Alain qui demeure son maître<ref name=":1">Modèle:Article.</ref>. Simone de Beauvoir, d'un an son aînée, qui croise son chemin en 1926 dans la cour de la Sorbonne, accompagnée d'une « bande d'anciens élèves d'Alain », avec dans la poche de sa vareuse un numéro des Libres propos et L'Humanité, témoigne de la petite notoriété dont elle bénéficiait déjà : « Elle m'intriguait, à cause de sa réputation d'intelligence et de son accoutrement bizarre... Une grande famine venait de dévaster la Chine, et l'on m'avait raconté qu'en apprenant cette nouvelle, elle avait sangloté : ces larmes forcèrent mon respect plus encore que ses dons philosophiques<ref>Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958.</ref>. »

Elle entre à l’École normale supérieure en 1928, à 19 ans<ref>Modèle:Ouvrage</ref>. Son mémoire de diplôme d'études supérieures en 1930 porte sur Science et Perception dans DescartesModèle:Sfn. Elle est reçue septième à l'agrégation de philosophie en 1931, à 22 ans, et commence une carrière de professeur au lycée du Puy-en-Velay, avant d'autres postes dans divers lycées de province.

L'expérience du malheur des autres

Modèle:Article connexe

Fichier:Bourges-Maison de Simone Weil -7 place Gordaine (1).jpg
Maison où vécut Simone Weil, professeur au lycée de jeunes filles de Bourges en 1935-1936.

Au cours de l'hiver 1932-1933, au Puy-en-Velay, elle est solidaire des syndicats ouvriers, elle se joint au mouvement de grève contre le chômage et les baisses de salaire, ce qui provoque un scandale. Décidée à vivre avec cinq francs par jour, comme les chômeurs du Puy, elle sacrifie tout le reste de ses émoluments de professeur à la Caisse de Solidarité des mineursModèle:Sfn. Syndicaliste de l’enseignement, elle milite dans l'opposition interne à la CGTU, et elle est favorable à l’unification syndicale avec la CGT. Elle écrit dans les revues syndicalistes révolutionnaires L’École émancipée et La Révolution prolétarienne de Pierre Monatte, notamment sous le pseudonyme « S. Galois »<ref>La vie et la grève des ouvrières métallos, dans La Révolution prolétarienne du 10 juin 1936. Elle avait choisi ce pseudonyme en référence au mathématicien Évariste Galois.</ref>. Suivant avec beaucoup d’attention l’évolution de l’expérience communiste en Union soviétique, elle participe à partir de 1932, au Cercle communiste démocratique de Boris Souvarine, qu’elle a connu par l’intermédiaire de l'anarcho-syndicaliste Nicolas Lazarévitch. Elle écrit dans la revue marxiste La Critique sociale, dirigée par Souvarine, en 1933 et 1934. Hostile au régime instauré par Staline, elle critique le communisme et tient tête à Trotski<ref name="T">Modèle:Lien web</ref>.

Elle passe quelques semaines en Allemagne, au cours de l'été 1932, dans le but de comprendre les raisons de la montée en puissance du nazisme. À son retour, elle commente la montée au pouvoir de Hitler dans plusieurs articles, entre autres dans La Révolution prolétarienne. Ayant obtenu un congé d'une année pour études personnelles, elle abandonne provisoirement sa carrière d'enseignante, à partir de septembre 1934 ; elle décide de prendre, dans toute sa dureté, la condition d'ouvrière, non pas à titre de simple expérience, mais comme incarnation totale, afin d'avoir une conscience parfaite du malheur ; elle veut penser le rapport entre la technique moderne, la production de masse et la libertéModèle:Sfn : dès le Modèle:Date-, elle est ouvrière sur presse chez Alsthom dans le Modèle:15e de Paris<ref group=Note>Elle réside de décembre 1934 à avril 1935 au 228 rue Lecourbe, où une plaque commémorative lui rend hommage.</ref>,<ref>« Simone Weil, une philosophe ouvrière d’usine », Résumé d'un article de Jacques Couvreur in Bull. Soc. hist. & arch. du {{#ifeq: | s | Modèle:Siècle | XVe{{#if:|  }} }} arrondt. de Paris, N° 23.</ref>, devenue depuis Alstom, puis elle travaille à la chaîne aux Forges de Basse-Indre, à Boulogne-Billancourt, et enfin, jusqu'au mois d'Modèle:Date-, comme fraiseuse chez Renault. Elle connaît la faim, la fatigue, les rebuffades, l'oppression du travail à la chaîne sur un rythme forcené, l'angoisse du chômage et le licenciement<ref>Jean-Marie Perrin, préface à Attente de Dieu, Fayard, 1977, Modèle:P.7.</ref>,Modèle:Sfn. Elle note ses impressions dans son Journal d'usine<ref>Christian Chevandier, La guerre du travail, de la crise à la croissance, Paris, Belin, 2017, Modèle:P.47-55.</ref>.

Fichier:Plaque Simone Weil rue Auguste-Comte Paris.jpg
Plaque au n°3 de la rue Auguste-Comte (Paris), où elle habite de 1929 à 1940.
Fichier:SimoneWeil (Spain).jpg
Simone Weil pendant la guerre d'Espagne (1936).

L'épreuve surpasse ses forces. Sa mauvaise santé l'empêche de poursuivre le travail en usine. Simone Weil souffre en particulier de maux de tête qui dureront toute sa vie. Elle reprend son métier de professeur de philosophie au lycée de Bourges, à l'automne 1935, et donne une grande partie de ses revenus à des personnes dans le besoin. Elle prend part aux grèves de 1936 et milite avec passion pour un pacifisme intransigeant entre États.

En Modèle:Date-, malgré son pacifisme, elle décide de prendre part à la guerre d’Espagne, expliquant à Georges Bernanos : Modèle:Citation<ref>André A. Devaux, préface aux Œuvres complètes de Simone Weil, Gallimard, 1988, tome I, Modèle:P.15.</ref>. Elle prend le train pour Barcelone et arrive à Portbou le Modèle:Date-<ref>Modèle:Lien web</ref>. Son Journal d'Espagne montre qu'elle est surtout désireuse d'aller au plus près du peuple, des paysans espagnols, sans porter les armesModèle:Sfn ; elle s’engage dans la colonne Durruti au début de la guerre civile espagnole aux côtés des anarchistes et des révolutionnaires, tels Boris Souvarine, Diego Abad de Santillan, Juan Garcia Oliver et Buenaventura Durruti<ref>Charles Jacquier, Simone Weil, l’expérience de la vie et le travail de la pensée, Éditions Sulliver, 1998, page 115.</ref>. Bien qu'intégrée dans une colonne de la CNT anarcho-syndicaliste, elle s'élève contre l'exécution d'un jeune garçon de quinze ans qui affirme avoir été enrôlé de force comme phalangiste<ref>Phil Casoar, Louis Mercier, Simone Weil : retour sur une controverse, in Présence de Louis Mercier, Atelier de création libertaire, 1999, extraits</ref>, et stigmatise la vengeance aveugle et les exécutions arbitraires, ce qu'elle appellera plus tard « la barbarie »Modèle:Sfn. Dans une lettre adressée à Georges Bernanos, elle rappelle comment elle faillit assister à l'exécution d'un prêtre franquiste, et rapporte l'attitude de cynisme tranquille à l'égard du meurtre qu'elle découvre dans les rangs des républicains : Modèle:Citation La même année, elle est gravement brûlée après avoir posé le pied dans une marmite d'huile bouillante posée à ras du sol, elle doit repartir le Modèle:Date- pour la France. En à peine un mois et demi, elle a jeté un regard critique sur la révolution et sur son propre militantisme, et elle a compris l'impossibilité du rêve anarchiste, dans les conflits au sein du Front populaire espagnol, les oppositions entre les différentes gauches et la guerre civile<ref>Présentation du Journal d'Espagne de Simone Weil, Note 1.</ref>. Volontairement, elle ne reviendra plus en Espagne. En 1937, elle collabore aux Nouveaux cahiers, revue économique et politique défendant une collaboration économique franco-allemande.

Après l'expérience de la condition ouvrière, puis la guerre d'Espagne, Simone Weil avoue : Modèle:Citation<ref>Simone Weil, Attente de Dieu, Fayard, 1966, Modèle:P.41-42.</ref> ; ces épreuves l'amènent à rompre avec l'humanisme de la volonté cher à Alain. Car l'homme, irrémédiablement séparé du bien qu'il désire, est faible face au mal et impuissant à se sauver seul : Modèle:Citation, dira Simone Weil en 1941Modèle:Sfn.

L'expérience de la grâce

Dans l'expérience directe de la barbarie en Espagne, Simone Weil a su discerner le phénomène, à l'œuvre dans le totalitarisme moderne, d'identification du bien et de la puissance ; cette identification perverse interdit toute réflexion personnelle par le jeu des passions collectives et l'opinion dominante du plus grand nombre<ref group="Note">C'est ce phénomène de foule assemblée que Platon illustre avec la métaphore du « gros animal » dont il faut se sauver, car il constitue l'obstacle irréductible entre l'homme et Dieu (La République, VI, 492 a - 493 d) : Simone Weil identifie cette bête sociale à la bête de l'Apocalypse, et rapproche cette conception platonicienne de la société des paroles de saint Luc (IV, 5-6) rappelant que la puissance et la gloire des royaumes de la terre ont été abandonnées au diable.</ref> ; pire encore : entraîné par la force collective du groupe, l'individu cède à l'adoration de cette puissanceModèle:Sfn. En abandonnant le rationalisme d'Alain et une philosophie centrée sur l'homme, la pensée de Simone Weil va donc franchir un seuil important, grâce à la révélation que seul l'amour surnaturel est capable de répondre au malheurModèle:Sfn.

Fichier:Assisi z13.jpg
La Portioncule, chapelle de la basilique Sainte-Marie-des-Anges d'Assise.

Née dans une famille agnostique, Simone Weil se rapproche du christianisme, à l'occasion de trois contacts avec la foi catholique qu'elle a elle-même jugés décisifs dans son évolution<ref>Simone Weil, Attente de Dieu, 1966, Modèle:P.41 à 45.</ref> : le premier eut lieu en Modèle:Date-, dans le petit port de Póvoa de Varzim au Portugal, où entendant chanter des cantiques Modèle:Citation, elle a Modèle:Citation, et qu'elle ne peut pas ne pas y adhérer. La deuxième expérience est celle vécue en 1937, alors qu'elle passe deux jours à Assise en Italie, dont elle parle en ces termes : Modèle:Citation Enfin, en 1938, elle assiste à la Semaine sainte à Solesmes en suivant tous les offices, centrés sur la Passion du Christ. Elle éprouve en même temps Modèle:Citation : elle découvre ainsi, par analogie, Modèle:Citation ; quelques mois plus tard, elle connaît l'expérience mystique qui va changer sa vie : Modèle:Citation C’est en récitant le poème Amour de George Herbert<ref>Modèle:Lien web</ref> qu’elle éprouve cette présence du Christ, affirmant : Modèle:Citation<ref>S. Weil, Attente de Dieu, Fayard 1966, Modèle:P.44-45.</ref>. Elle entre en contact avec des prêtres et des religieux, afin de leur poser des questions sur la foi de l'Église catholique. Le père Joseph-Marie Perrin, religieux dominicain, l'accompagne et a un rôle important lorsqu'elle est à Marseille, entre 1940 et 1942. Elle lit la Bhagavad-Gita, s'intéresse aussi aux autres religions, hindouisme, bouddhisme et aux religions anciennes d'Égypte et de la Grèce antique. Mais elle sera toujours opposée au syncrétisme et elle s’est clairement défendue d’être panthéisteModèle:Sfn. Elle reste néanmoins très discrète sur son évolution, et ce n'est qu'après sa mort que ses amis découvrent sa vie spirituelle.

Fichier:Lettre manuscrite de S.Weil oct.1941.png
Première page de la lettre à Xavier Vallat, octobre 1941.

Elle est sans illusion sur ce qui les menace, elle et sa famille, dès le début de la Seconde Guerre mondiale. Au printemps 1940, croyant qu'on se battrait dans la capitale, elle propose aux autorités militaires la formation d'un corps mobile d'infirmières de première ligne, destiné à sauver des soldats : son « Projet d'une formation d'infirmières de première ligne » est approuvé par son ami Joë Bousquet et fait aussi l'objet d'un rapport favorable du ministère de la Guerre en Modèle:Date-. Mais la rapidité de l'avancée allemande empêche de réaliser ce projetModèle:Sfn. Lorsque Paris est déclarée « ville ouverte », le Modèle:Date-, elle se réfugie, avec sa famille, à Marseille où elle participe à des actions de résistance<ref name="T"/>.

C'est à cette époque qu'elle commence la rédaction de ses Cahiers. Chrétienne selon l'Évangile, elle réfléchit aux dogmes du catholicisme, cherchant des réponses à la fois dans les livres sacrés des Égyptiens, des Hébreux, des Hindous, mais aussi chez Jean de la Croix et Thomas d'Aquin. De peur de se tromper sur des questions comme l'Incarnation ou l'Eucharistie, elle va trouver le père Perrin. En Modèle:Date-, le père Perrin écrit à Gustave Thibon pour lui demander d'accueillir Simone Weil dans sa ferme en Ardèche : « Elle est exclue de l'université par les nouvelles lois et désirerait travailler quelque temps à la campagne comme fille de ferme ». Après un premier mouvement de refus, Gustave Thibon accepte finalement ; elle est embauchée comme ouvrière agricole et mène une vie volontairement privée de tout confort durant plusieurs semaines, jeûnant et renonçant à la moitié de ses tickets d'alimentation au profit des résistantsModèle:Sfn. Durant ce séjour à la ferme et jusqu’en 1942, elle fait une lecture intégrale du Nouveau Testament, s’attachant tout particulièrement à l’Hymne sur l'abaissement du Christ dans l'Épître aux Philippiens<ref>Épître aux Philippiens, chap. 2, 5 à 11.</ref> de Paul de TarseModèle:Sfn ; la découverte de la prière du Notre Père l’amène à en rédiger un commentaire spirituel et métaphysique<ref>Simone Weil, Attente de Dieu, Fayard 1966, Modèle:P.215 à 228 ; Lire en ligne, site de l'Université du Québec à Chicoutimi, Modèle:P.151 à 159.</ref> où s'exprime aussi sa conception des relations de l'homme au tempsModèle:Sfn. De retour à Marseille, à l'automne, elle reprend ses discussions avec le père Perrin, avec le projet de réunir les plus beaux textes de tout ce qui a été écrit sur Dieu et sur son amour, sa bonté et les moyens d'aller à lui. Elle traduit alors de nombreux textes du grec ancien (Platon, Anaximandre, Eschyle, Sophocle, mais aussi saint Jean) et du sanskrit, qu'elle lit et commente dans des réunions amicales organisées dans la crypte du monastère dominicainModèle:Sfn. Les études qu'elle rédige ainsi sur la Grèce, sur la philosophie grecque, en particulier sur Platon, sont rassemblées après la guerre dans deux volumes : La Source grecque et Intuitions pré-chrétiennes.

Elle entre en contact avec Les Cahiers du Sud, la revue littéraire la plus importante de la France libre, et y collabore sous le pseudonyme d'Émile Novis, anagramme de son nom. Le Modèle:Date-, elle écrit une lettre de remerciements ironique à Xavier Vallat, où elle dénonce le Modèle:Citation récemment imposé aux Juifs par le régime de Vichy<ref>Modèle:Lien web</ref>. Elle participe à la Résistance en distribuant les Cahiers du Témoignage chrétien, réseau de résistance organisé par les Jésuites de Lyon<ref>Émission sur KTO consacrée à Simone Weil, le 18 octobre 2009, 52 minutes</ref>.

Les dernières années

Modèle:Détail

Fichier:Simone Weil 08.jpg
Le laissez-passer de Simone Weil comme rédactrice au service de la France libre en 1943.

Le Modèle:Date-, elle s'embarque avec ses parents pour les États-Unis mais, refusant de rester à New York, ville qu’elle ressent comme trop confortable en ces temps de guerre, elle fait tout pour se rendre en Grande-Bretagne où elle arrive fin Modèle:Date-. Elle y travaille comme rédactrice dans les services de la France libre, où elle est chargée de rendre un rapport sur la situation morale de la France. Elle rédige plusieurs études sur la nécessaire réorganisation de la France une fois la guerre terminée, en particulier Note sur la suppression générale des partis politiques, Idées essentielles pour une nouvelle Constitution, sa très importante Étude pour une déclaration des obligations envers l'être humain, et son œuvre fondamentale, L'Enracinement ; Albert Camus et Hannah Arendt confirmeront par la suite la valeur de ce travail. Mais ce qu'elle souhaite par-dessus tout, c'est obtenir une mission pénible et dangereuse. Son projet de formation d'un corps d'infirmières de première ligne est pour elle une manière de vivre le rapport à la violence de l'Histoire sans y consentir, mais il est jugé irréalisableModèle:Sfn. Soucieuse de partager les conditions de vie de la France occupée, son intransigeance dérange. Elle démissionne de l'organisation du général de Gaulle en Modèle:Date-, trois mois après son admission à l'hôpital. Elle souhaite rejoindre les réseaux de résistance sur le territoire français et est déçue par le refus de l'entourage de de Gaulle (Maurice Schumann, Jean Cavaillès, André Philip) de la laisser rejoindre ces réseaux de la résistance intérieure. Elle y risque en effet d'être rapidement capturée par la police française, identifiée comme juive puis déportée.

Sa santé est de plus en plus défaillante, elle est déclarée tuberculeuse et admise au Middlesex Hospital de Londres le Modèle:Date-, puis transférée le Modèle:Date- au Grosvenor Sanatorium, à Ashford dans le Kent. C’est là qu’elle meurt, le Modèle:Date-, à l'âge de Modèle:Nb d'une crise cardiaque. Elle est enterrée au cimetière catholique d'Ashford<ref>« Le mystère Simone Weil » Modèle:Pdf</ref>.

Les causes de la mort de Simone Weil ont soulevé des débats. Le médecin légiste a constaté que son corps avait été privé de nourriture, ce qui aurait accéléré sa mort. De ce constat du légiste qui l'a examinée, s'est ensuivie une série de spéculations concernant les causes psychologiques ayant pu entraîner un jeûne. Une hypothèse communément répandue à ce sujet est que Simone Weil souhaitait faire preuve de solidarité envers ses concitoyens en refusant de se nourrir plus que les tickets de rationnement ne le permettaient alors<ref>Alain Dreyfus, « Simone Weil, l'incandescente », Marianne, 28 février 2014 Modèle:Lire en ligne.</ref>. Mais cette charité compatissante n'a pas entraîné chez elle le désir de mourir : Simone Weil a résolument condamné le suicide par désespoir, sans jamais varier sur ce point, comme on le voit dans ses écrits : Modèle:Citation<ref group="Note">Simone Weil a défini une typologie précise des divers cas de suicide dans ses Leçons de Philosophie en 1933-1934, faisant clairement la distinction entre kénose et suicide, « décréation » et suicide, indiquant que dans tous les cas, il fallait respecter le don de la vie et ne pas se servir de la mort pour masquer un dégoût de la vie. Voir le développement complet de ces questions chez Modèle:Harvsp.</ref>,Modèle:Sfn,Modèle:Sfn,Modèle:Sfn. Selon sa principale biographe, Simone Pétrement, des lettres du personnel du sanatorium dans lequel elle se trouvait lors de sa mort prouvent au contraire qu'elle a essayé à diverses reprises de manger durant son hospitalisation ; selon elle, le jeûne aurait en fait simplement été une conséquence de la détérioration de son état de santéModèle:Sfn,<ref>Susanne Martin, Le mystère Simone Weil, Gallimard, 5 octobre 1999, Modèle:P. Modèle:Lire en ligne.</ref>.

L’œuvre écrite de Simone Weil a été publiée après sa mort, à l'exception de plusieurs articles, études et rapports publiés dans des revues entre 1933 et 1942<ref group="Note">Entre autres, l'article « Perspectives, Allons-nous vers la révolution prolétarienne ? » est paru le 25 août 1933 dans le Modèle:N° de Révolution prolétarienne, et « Réflexions concernant la technocratie, le national-socialisme, l'URSS et quelques autres points » est paru en novembre 1933 dans Critique sociale.</ref>.

La philosophie de Simone Weil

Miklós Vető, philosophe spécialiste de l'idéalisme allemand, considère Simone Weil comme un pur produit de la tradition philosophique française, dans ce qu'elle a de plus excellent<ref name=":1" /> : selon sa propre expression, Simone Weil estime que sont de Modèle:Citation Descartes, Jules Lagneau et Alain. Dans la tradition philosophique allemande, Kant l’a profondément influencée. Parmi les penseurs grecs, elle place Platon au-dessus de tout, et cette référence au platonisme traduit la caractéristique centrale de sa pensée : l’harmonie entre la raison et le mystèreModèle:Sfn. Dans son amour pour les sources grecques, Simone Weil fait une exception pour Aristote, qu'elle cite peu, sans doute par méfiance à l'égard des systèmes qui cherchent à éliminer les contradictions Modèle:Incise Pour autant, elle ne conçoit pas la pensée humaine en termes de progrès, mais en termes d'unité et d'éternité : Modèle:Citation, écrit-elle, lors de son séjour à Marseille. Elle fait sienne cette phrase de Descartes : Modèle:Citation. Mais, loin de tout syncrétisme, elle n'en conclut pas que l'on pourrait faire des amalgames de tous les courants de pensée ; bien au contraire, elle affirme qu'il faut se placer au centre de chacun pour le comprendre. À partir de là, elle se permet de fortes originalités de lecture, voire des conceptions aventureuses, par exemple en avançant que Platon serait une synthèse de Descartes et Kant, au mépris de toute chronologie, mais en montrant une logique profonde dans ses explications. C'est Alain, l'un de ses professeurs, qui lui a donné ce goût, et l'a encouragée dans ces interprétations hardies<ref name=":1" />.

Au cours de sa vie, Simone Weil évolue dans sa philosophie, mais sans ruptures dans sa pensée ; elle transpose, elle modifie, mais les grandes structures de sa philosophie restent. Sa façon habituelle de travailler consiste à comprendre un philosophe en proximité avec un autre<ref name=":1" />. Ainsi, Simone Weil commence sa carrière de philosophe avec Descartes qu’elle choisit comme sujet de son mémoire de fin d'étude. Elle en relance la réflexion en 1932, lorsqu'elle approfondit la pensée de Karl Marx : Marx dénonce l'asservissement de l'ouvrier aux conditions de travail, cet asservissement étant une aliénation. Mais, chez Simone Weil, Modèle:Citation : les causes de l'aliénation sont à rechercher non dans la structure de production, comme a tendance à le faire Marx, mais dans l'activité productrice qui réduit l’ouvrier à jouer le rôle d’un outilModèle:Sfn. C'est pourquoi elle fait appel à Descartes qui considère l'être humain comme égal à Dieu dans sa faculté de juger et d'affirmer. Les règles de pensée rationnelle de Descartes ne valent pas seulement pour l'observation du monde, mais elles ont aussi la capacité de le transformer. C'est ainsi que Simone Weil envisage de transformer les conditions de travail concrètes à partir d'une interprétation créatrice à la façon de Descartes, en affirmant que, pour se libérer, les travailleurs doivent mener les différentes étapes de leur travail dans une connaissance libre de leur action, et non dans une série de tâches répétitives<ref name=":1" />.

La source grecque

Les chefs-d'œuvre de la poésie et de la philosophie grecques, que Simone Weil avoue Modèle:Citation, ont nourri sa réflexion sur l'homme aussi bien que sur le devenir de la civilisation européenne après sa déchristianisation. La lecture qu'elle fait de la Grèce l'amène à penser, contre Nietzsche et Heidegger, que l'hellénisme est à la source du christianisme ; cette intuition fut déjà celle de Clément d'Alexandrie<ref group=Note>Clément d'Alexandrie, Stromates, I, 5-7 ; 17-20 ; IV, 42, 66-67, 159.</ref>, pour qui la philosophie grecque est Modèle:Citation ; la même continuité organique entre le paganisme et le christianisme fut également reconnue par Schelling<ref>Miklós Vető, Petit Dictionnaire des philosophes de la religion, Éditions Brepols, 1996, Modèle:P.663-664.</ref> ; enfin, le philosophe Maurice Blondel considéra lui aussi la pensée pythagoricienne comme la première découverte d'une Modèle:CitationModèle:Sfn. Simone Weil estime, comme le grand helléniste Werner Jaeger, que cette source grecque peut seule rendre à l'Europe une spiritualité, et donner à la culture grecque un nouvel universalismeModèle:Sfn ,<ref name=ppp>Modèle:Lien web</ref>.

La science grecque, amour de la sagesse divine

Simone Weil n'a jamais été coupée des milieux et des débats scientifiques, comme le prouve son article sur la théorie des quanta<ref group=Note>Simone Weil, {{#invoke:Biblio | ouvrage |langue = fr |titre = [[s:{{#if:fr | fr: | }}{{#if: Sur la science/09 | Sur la science/09 | « Réflexions à propos de la théorie des quanta » }}|« Réflexions à propos de la théorie des quanta »]] }}{{#if: | Fac-similé disponible sur Wikisource | }}{{#if: | Télécharger cette édition au format ePub Télécharger cette édition au format PDF | }} (Wikisource{{#switch: fr

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}}) dans Sur la science.</ref>. Cette connaissance intime de la science contemporaine, devenue de plus en plus utilitaire, inséparable de l'empire de la technique, lui a permis de ne pas succomber à l'enthousiasme de ceux qu'elle appelle Modèle:Citation<ref>Simone Weil, L'Enracinement, Collection Idées, Gallimard, 1949, Modèle:P.326-327.</ref>. Car c'est la science moderne et les techniques qui en sont issues qui ont donné à l'homme occidental la conscience de sa supériorité ; et cette conscience a présidé au colonialisme, à l'impérialisme militaire, économique et culturel, facteurs d'oppression et de déracinement des peuplesModèle:Sfn,<ref>Simone Weil, L'Enracinement, Collection Idées, Gallimard, 1949, Modèle:P.300-301.</ref>. Tout entière fondée sur la notion unique d'énergie, dérivée de celle de travail appliquée à l'étude de la natureModèle:Sfn, cette science moderne est Modèle:Citation<ref>Simone Weil, L'Enracinement, Collection Idées, Gallimard, 1949, Modèle:P.320.</ref>. Elle accumule des connaissances, mais n'apporte pas de véritésModèle:Sfn, rien qu'une pensée humaine puisse aimer. Ainsi, les mathématiques sont conçues de nos jours comme une façon d’ordonner le monde selon notre raison, une manière de le préparer à l’emprise de notre volonté. « Ils font des mathématiques sans en connaître l’usage », dira-t-elle des mathématiciens modernesModèle:Sfn. Ayant approfondi l’étude des mathématiques auprès de son frère, André Weil, l'un des fondateurs du groupe Bourbaki qu'elle a fréquenté, Simone Weil s'est interrogée sur la relation des mathématiques avec le réel ; pour elle, les mathématiques exercent à la vertu d'attention et revêtent une dimension spirituelle par leur relation avec la vérité : Modèle:Citation. Pour les anciens Grecs, les mathématiques et les sciences en général étaient un pont, un intermédiaire (metaxu) entre la pensée humaine et le cosmos, au sens premier d'un tout harmonieux : « Pour eux, écrit Simone Weil, les mathématiques constituaient, non un exercice de l’esprit, mais une clef de la nature ; clef recherchée non pas en vue de la puissance technique sur la nature, mais afin d’établir une identité de structure entre l’esprit humain et l’universModèle:Sfn. » Peu soucieux en effet d'applications techniques, bien qu'ils en fussent capables comme le montrent les inventions de catapultes et les machines d'Archimède, les savants grecs regardaient la science Modèle:Citation. Car telle est pour Simone Weil la vraie définition de la science grecque : elle est Modèle:Citation<ref>Simone Weil, L'Enracinement, Collection Idées, Gallimard, 1949, Modèle:P.329.</ref>.

Les Tragiques grecs ou l'amour surnaturel

Durant son expérience du travail en usine, en 1934-35, Simone Weil a fait la découverte d'un Modèle:Citation et dans lequel la dignité de l'être humain est brisée sous le poids de la nécessité physique et sociale ; elle note dans son Journal d'usine : Modèle:CitationModèle:Sfn. Les conséquences sur sa réflexion philosophique sont considérables : l'humanisme de son maître Alain, fondé sur la toute-puissance de la volonté (Modèle:Citation), est récuséModèle:Sfn. Car dans leur condition servile, les malheureux écrasés par la vie n'ont plus de volonté propre, ni la force de désirer le bien : si la volonté c'est le bien, les malheureux ne seraient-ils pas alors irrémédiablement abandonnés au mal ? Simone Weil éprouve donc la nécessité de fonder un autre sentiment de dignité, qui serait, lui, inaltérableModèle:Sfn, et de préserver, intact, le désir du Bien, constitutif de tout être humain. Dès 1936, elle relit à cet effet les Tragiques grecs, Eschyle et Sophocle. Chez Sophocle, les figures d'Antigone<ref>Antigone (Sophocle), vers 511 à 525.</ref> et d'Électre<ref>Électre (Sophocle), vers 1218 à 1229.</ref> symbolisent précisément l'être parfaitement pur et innocent, livré au malheur en raison de son désir de justice, et qui Modèle:Citation ; mais Modèle:Citation Leur amour du bien demeure immuable, inconditionnel et sans espoir de consolation, en dépit du malheur. Tel fut aussi l'amour dont Job, dans la Bible, fit preuve<ref>Simone Weil, Attente de Dieu, Fayard, 1966, Modèle:P.170 et Intuitions pré-chrétiennes, Fayard, 1985, Modèle:P.164.</ref> ; c'est l'amour surnaturel, révélateur de la vérité et de la grandeur de l'homme qui, Modèle:Citation Loin d'être stérile, chaque coup du malheur fait comprendre qu'on est néant : c'est l'opération de la grâce<ref>Simone Weil, Intuitions pré-chrétiennes, Fayard, 1985, Modèle:P.20-21.</ref>, la Modèle:Citation, en grec Modèle:Grec ancien, que proclame le chœur dans Agamemnon d'Eschyle<ref>Agamemnon (Eschyle), vers 182.</ref> car Modèle:CitationModèle:Sfn. Modèle:Citation, Modèle:Grec ancien, telle est la loi souveraine du dieu suprême, qu'on l'appelle Zeus ou Modèle:Citation

L'Iliade ou l'empire de la force

Comme chez les Tragiques grecs, Simone Weil constate que le même sentiment de la misère humaine imprègne toute l’Iliade avec la même continuité entre ce poème et l'Évangile. Homère y dépeint l'empire de la force dans la guerre, et montre comment la violence transforme les âmes : qu'il s'agisse du vainqueur qui manie la force, ou du vaincu qui subit les blessures, l'esclavage ou la mort, la force change l'homme en pierre ; le guerrier n'est plus qu'Modèle:Citation, une âme morte : Modèle:Citation Simone Weil observe que Modèle:Citation L'accent d'amertume face à tout ce que la violence fait périr et la pensée de la justice qui éclaire l’Iliade sont la marque d'une inspiration évangéliqueModèle:Sfn car Modèle:Citation Modèle:Citation.

Pythagore et Platon ou la médiation par l'amour

La doctrine pythagoricienne et platonicienne de la médiation est d'une importance philosophique décisive dans la pensée de Simone Weil ; certains y ont même vu le principe unificateur central de cette penséeModèle:Sfn,<ref>E.O. Springsted, Christus Mediator, The Platonic doctrine of Mediation in the Religion and Philosophy of Simone Weil, Princeton 1980.</ref>.
La doctrine pythagoricienne est une mystique où la notion d'harmonie joue un rôle clef<ref>Werner Jaeger, Paideia, La formation de l'homme grec, Gallimard, 1988, Modèle:P.204.</ref>. Dans la cosmologie des Pythagoriciens, cette harmonie se manifeste dans le bel ordonnancement de l'univers, gouverné par des lois rigoureuses et dont toutes les parties composantes sont liées par un accord : elle fait de ce monde un « cosmos » au sens grec, un « ordre », ainsi que l'affirme Platon<ref>Platon, Gorgias, 507 e - 508 a.</ref>. Dans la mathématique pythagoricienne, cette harmonie est définie comme une proportion : c'est une égalité entre deux rapports de nombres, elle introduit donc de l'unité dans la multiplicité. Les Pythagoriciens définissent aussi l'harmonie comme l'unité des contraires, l'union de ce qui limite et de l'illimité<ref>Simone Weil, Intuitions pré-chrétiennes, Fayard, 1985, Modèle:P.127 et 129.</ref> : selon la formule de Philolaos, Modèle:Citation, Modèle:Citation. Or, Simone Weil rappelle que la mathématique des Pythagoriciens et de Platon est une théologie, qui permet de comprendre ce qu'est Dieu<ref>Simone Weil, Intuitions pré-chrétiennes, Fayard, 1985, Modèle:P.120.</ref>,<ref name=ppp/>, comme l'affirmaient déjà Proclus et Philolaos de Crotone<ref group="Note">Proclus : Modèle:Citation ; Philolaos : Modèle:Citation, fragment 11 B, 139-160.</ref>. C'est cette théologie qui éclaire le sens des deux formules essentielles du pythagorisme : Modèle:Citation, Modèle:Grec ancien, et Modèle:Citation, Modèle:Grec ancien. Pour Simone Weil, Modèle:Citation : les nombres qui sont des puissances secondes ou des carrés ont avec l'unité un lien particulier. Par une médiation il y a entre eux et l'unité une égalité de rapports, comme dans ces deux rapports : <math>\frac 13=\frac 39</math> ; cette relation à trois termes réalise, selon Platon dans le Timée, Modèle:Citation.

Fichier:Head Platon Glyptothek Munich 548.jpg
Platon. Copie romaine, Glyptothèque de Munich.

Cette proportion permet en effet d'établir une médiation entre des êtres différents, et par delà leur différence, d'instaurer l'unité entre eux<ref name="ppp"/>. Simone Weil, et de nos jours Michel Serres<ref>Le Miracle grec, La légende des sciences.</ref>, relèvent la parfaite identité entre le sens théologique de cette médiation parfaitement belle évoquée dans le Timée et l'évangile de saint Jean<ref>Évangile de Jean, 15, 9 ; 17, 11 ; 17, 22-23.</ref> où le Christ s'est reconnu comme cette moyenne proportionnelle à laquelle les Grecs avaient si intensément pensé : Modèle:Citation. Cette qualité de médiateur, en grec Modèle:Grec ancien, est explicitement attribuée au Christ également par saint Paul<ref>Épître de Paul aux Hébreux, 9, 15 et 12, 24.</ref>. Simone Weil rappelle que le terme de « Logos », Modèle:Grec ancien, par lequel saint Jean désigne le Verbe du Christ, est précisément celui qui signifiait aussi en grec ancien « rapport, proportion » ; le Christ incarne donc la « Médiation divineModèle:Sfn » par excellence, il est médiateur entre les hommes et le Père, entre le Père et l'EspritModèle:Sfn. Et l'harmonie propre au pythagorisme, définie par Philolaos comme Modèle:Citation enferme le mystère de la sainte Trinité, qui réalise l'égalité entre un et plusieurs, et montre que le multiple peut faire un<ref name="ppp"/>,<ref>Simone Weil, Intuitions pré-chrétiennes, Fayard, 1985, Modèle:P.127 à 131.</ref>. Chez les stoïciens aussi, les trois divinités, Zeus, le Logos et le souffle, sont identifiées par Simone Weil aux trois personnes de la TrinitéModèle:Sfn. Or la Trinité, suprême harmonie et amitié par excellence, est amour. Ainsi, Modèle:Citation<ref>Simone Weil, Intuitions pré-chrétiennes, Fayard, 1985, Modèle:P.134.</ref> entre le mortel et l'immortel, comme Platon le dit dans le Banquet<ref>Banquet (Platon), 202 d - e.</ref>.

Dès lors, Simone Weil articule cette pensée grecque de la médiation à toute la révélation chrétienne, dans les dogmes de l'Incarnation, de la Passion et de la TrinitéModèle:Sfn. Chez Platon en particulier, elle relève plusieurs préfigurations du Christ : dans le Banquet, le Christ est l'Amour Modèle:Citation, il est donc le modèle parfait de la justice parce qu'il est soustrait à tout contact avec la force ; dans le Théétète, il est le modèle divin, suprêmement juste, auquel il faut s'assimiler<ref group=Note>Selon Simone Weil, Modèle:Citation Intuitions pré-chrétiennes, Fayard, 1985, Modèle:P.82-83.</ref> : Modèle:Citation ; dans la République, il subit le sort du « juste parfait crucifié » décrit par Platon<ref>La République (Platon), 360 b -362 d.</ref> ; dans le Christ, la justice parfaite s'unit à l'apparence de l'extrême injustice, car il a d'abord été dépouillé de tout, même du prestige du martyr, et a subi la dégradation infligée aux criminels de droit commun ; or, Platon a su que la justice réelle et parfaite doit être absolument dénuée de tout prestige social ; de même, Hans Urs von Balthasar et Kierkegaard<ref>Kierkegaard, Les miettes philosophiques, in X. Tilliette, Le Christ de la philosophie, 1977, Modèle:P.181.</ref> ont dit que le Christ a pris la forme du serviteur méprisé pour incarner la véritéModèle:Sfn ; dans le Phèdre, il se manifeste sous les traits de la Justice en soi, Modèle:Citation ; enfin, dans le Timée, le Christ est préfiguré sous la forme de Modèle:Citation, Platon dit Modèle:Grec ancien comme saint Jean<ref>Simone Weil, Intuitions pré-chrétiennes, Fayard, 1985, Modèle:P.25-26.</ref>.

À partir de cette lecture des grands textes grecs, et du sens que Platon donne au mot Modèle:Grec ancien / « metaxu »<ref>Platon, La République, 477 a - 479 d.</ref>, Simone Weil a développé toute une métaphysique des médiations, c'est-à-dire des signes de la présence immanente et transcendante du Christ dans le monde.

Métaphysique religieuse

Rejet de l'Ancien Testament

La pensée de Simone Weil est une métaphysique qui déclare se fonder sur l'expérience de la grâce autant que sur la spéculation rationnelle, afin de révéler tout ce qui dans le monde profane est déjà reflet de la grâceModèle:Sfn. Si elle rejette l'Ancien Testament<ref name=":0">Thomas R. Nevin, op. cit., chap. IX (« A Stranger unto Her People, Weil on Judaism »). Lire en ligne</ref>, c'est parce qu'elle n'y reconnaît pas la marque de l'Esprit saint, l'histoire des Hébreux, d'Israël et des Juifs étant souillée à ses yeux par l'idolâtrie et les exterminations sur ordre de YHWH, Dieu tout-puissant et cruel<ref>Deutéronome, 20, 10-17</ref>,Modèle:Sfn,<ref>Cahiers III, Plon, 1974, Modèle:P.204 à 216.</ref>,Modèle:Sfn. Toutefois, sa nièce, Sylvie Weil, et le biographe Modèle:Lien ont cherché, au contraire, à démontrer que, parce qu'elle a été fortement influencée par ces préceptes, elle n'aurait pas rejeté le judaïsme<ref>{{#invoke:Langue|indicationDeLangue}}Ivry Benjamin, Simone Weil’s Rediscovered Jewish Inspiration, The Jewish Daily Forward</ref>. Martin Buber considère pour sa part que Simone Weil n'a pas rejeté le judaïsme mais sa caricature peinte par l'Église<ref>Thomas R. Nevin, op. cit., Modèle:P.253 Modèle:Lire en ligne</ref>.

La violente hostilité de Simone Weil envers le judaïsme pose problème dès lors qu'elle est présentée comme une philosophe « d'origine juive »<ref group=Note>Voir à ce sujet l'avertissement de Florence de Lussy dans l'édition des Œuvres, Quarto, Gallimard, 1999, Modèle:P.959.</ref>. Si ses attaques contre le judaïsme peuvent parfois être comparées à celles d'un Céline ou d'un Carl Schmitt, selon Raphaël Draï, elles ne s'appuient pas sur une authentique connaissance de cette religion<ref name="RD529">Raphaël Draï, « De la pensée juive à la "pensée" antijuive », in Danielle Cohen-Levinas et Antoine Guggenheim (dir.), L'Antijudaïsme à l'épreuve de la philosophie et de la théologie, éd. du Seuil, coll. « Le genre humain », 2016 Modèle:ISBN, p. 529-530.</ref>,<ref name=":0" />. La méthodologie que respecte Simone Weil lorsqu'elle étudie la Grèce antique ou l'histoire du christianisme n'a plus cours dès qu'elle aborde la « question juive » : ses « contresens » le disputent à ses « imprécations » manichéennes, pour reprendre les termes de Raphaël Draï, qui ajoute à son propos : Modèle:Cita L'« antijudaïsme » de Simone Weil apparaît comme une « mise à distance phobique », une « dénégation », un « symptôme d'une exceptionnelle gravité » où se dévoient Modèle:Cita<ref name="RD529"/>.

Maurice-Ruben Hayoun, spécialiste de la pensée juive, remarque que le philosophe du Modèle:S mini- siècleModèle:Vérification siècle, Emmanuel Levinas, nourri aux mêmes auteurs que Simone Weil, est très sévère sur la position de cette dernière concernant l'Ancien Testament et le peuple juif. Levinas pense qu'elle n'a rien compris au judaïsme. Les études approfondies qu'elle réserve aux Grecs et aux chrétiens, elle ne les accorde pas aux penseurs juifs, dit-il. Ses certitudes religieuses l'auraient empêchée de comprendre l'histoire. Elle n'a pas vu que l'Ancien Testament est l'expression d'un peuple concret composé de personnes concrètes, et pas seulement un recueil de contes et historiettes. Ce qui a aveuglé Simone Weil, selon Levinas, c'est la croyance chrétienne en un amour capable de vaincre le mal. Lui-même Juif survivant de la Seconde Guerre mondiale, il considère que l'histoire a démontré avec évidence que l'amour n'a pas ce pouvoir, et encore moins l'amour souffrant. Levinas croit que le juste qui souffre ne vaut pas à cause de ses souffrances, mais à cause de sa justice. C'est donc la Loi qui, ultimement, sauve les Juifs, et le monde entier avec eux, et, selon Levinas, Simone Weil s'est laissé aveugler par ses préjugés sur cette question<ref>Modèle:Lien web</ref>.

Metaxu ou la théorie des médiations

Simone Weil a emprunté à Platon l'idée de metaxu, en grec Modèle:Grec ancien<ref>Dans La République (477 a - 479 d), Platon évoque les « choses intermédiaires entre l’être pur et le non-être absolu » ; dans Le Banquet (202 d - 203 a), il définit Amour comme « un intermédiaire entre le mortel et l’immortel » et fait à propos de lui la théorie de la médiation.</ref> ; cette préposition du grec ancien traduit l'idée d’intermédiaire ; Simone Weil développe à partir de cette notion une métaphysique de la médiation, qui est la suite logique de la moyenne proportionnelle. Ce qui est « entre », ce qui sépare peut aussi relier comme un pont ; par exemple, un mur sépare deux prisonniers, mais peut être utilisé pour communiquer par des coups frappés contre le mur. Modèle:Citation Tout metaxu est un intermédiaire entre l'âme et Dieu, c'est un pont qui peut favoriser l'identité de rapport de l'âme à Dieu.

Chez Platon, cette notion de médiation est partout. Ainsi, dans le mythe de la caverne, pour passer des ténèbres à la contemplation du soleil, il faut des intermédiaires. Dans ce mythe, Modèle:Citation, écrit Simone Weil<ref>Simone Weil, La source grecque, Gallimard, 1953, Modèle:P.106.</ref>. Dans la christologie de Simone Weil, la médiation suprême et spécifique de la présence de Dieu dans le monde, revient au Christ, Modèle:Citation Dans l'ordre de la vie humaine, bien des éléments ici-bas constituent aussi des médiations entre l’âme et Dieu : ainsi la beauté du monde, l’harmonie des contraires, la poésie, la mathématique, la géométrie, la spiritualité du travail manuelModèle:Sfn,<ref>Simone Weil, La Source grecque, Gallimard, 1979, Modèle:P.107.</ref> sont des metaxu et doivent être regardés comme des signes de la présence immanente et transcendante de Dieu. Modèle:Citation C'est pourquoi il est sacrilège de détruire ces biens terrestres comme le sont les patries et les nations : Modèle:Citation C'est dans L'Enracinement que Simone Weil a le mieux développé cette conception politico-sociale des metaxu.

Beauté

La notion de beauté, que Simone Weil envisage en dehors de toute considération purement esthétique, et de toute recherche d'accomplissement personnel dans l'art<ref>Simone Weil, Écrits de Londres et dernières lettres, Gallimard, 1957, Modèle:P.16-17.</ref>, occupe une place importante dans sa métaphysique religieuse. Le beau, défini comme ce que l'homme est capable de contempler, renvoie chez elle d'abord aux plus hautes manifestations du génie humain, à « l'art de tout premier ordre qui a nécessairement rapport à la sainteté<ref name="p">Simone Weil, La Source grecque, Gallimard, 1953, Modèle:P.130-132.</ref>. » Dans ces œuvres de génie de tout premier ordre, elle plaçait entre autres l’Iliade, les tragédies d'Eschyle et de Sophocle, le Cantique de saint François, Jean-Sébastien Bach et le chant grégorienModèle:Sfn. Mais l’ordre du monde, entendu au sens grec du mot « cosmos », lui aussi est beau ; c'est une harmonie qui traduit l'obéissance du monde à Dieu, et constitue le reflet et le signe irréfutable de l'amour divin, comme Platon l'a montré dans le Timée (29 a-30 c)<ref>Simone Weil, Intuitions pré-chrétiennes, Fayard, 1985, Modèle:P.37.</ref>,<ref name="p"/>. Le beau n'est pas un attribut de la matière, mais un rapport du monde à notre sensibilité. Cette expérience sensible du beau exerce une fonction médiatrice : elle facilite l'acceptation de la nécessité universelle, et joue un rôle de perfectionnement, en nous apprenant le détachement, le renoncement à la volonté propre : l'attrait de la beauté implique en effet un renoncement Modèle:Cita. Parce qu’elle est à elle-même sa propre finalité, une finalité sans fin comme l’a vu Kant, elle constitue un instrument de choix pour amener à la perfection spirituelle : à travers elle, on peut parvenir au Bien absolu, à Dieu lui-même, car Modèle:Citation

Pour Simone Weil, Modèle:Citation<ref>Simone Weil, La Pesanteur et la grâce, Plon, 1988, Modèle:P..</ref>. La beauté est inhérente à ce monde puisque le Logos, rendu sensible à travers la géométrie, est l'organisateur du monde matériel, preuve que ce monde pointe vers l'au-delà ; le beau établit le caractère essentiellement Modèle:Citation (dont c'est le but) de tout ce qui existe. Le concept de la beauté se prolonge dans tout l'univers : Modèle:Citation. Elle a également écrit que la beauté du monde, Modèle:Citation<ref>Simone Weil, Attente de Dieu, Fayard, 1966, Modèle:P.154. Voir aussi Modèle:Lien web</ref>.

Le beau a également une fonction de sotériologie : Modèle:Citation Elle constitue donc une autre façon dont la réalité divine derrière le monde envahit nos vies. Là où le malheur nous conquiert par la force brute, la beauté se faufile et renverse l'empire de soi de l'intérieur.

Absence

L'absence est la clef de la métaphysique de Simone Weil. Elle croyait que Dieu a créé dans un acte d'auto-limitation, puis de retraitModèle:Sfn ; en d'autres termes, Dieu est vu comme une sorte de plénitude totale, c'est un être parfait ; une créature ne peut exister que là où Dieu n'est pas. Ainsi, la création a eu lieu uniquement quand Dieu s'est en partie retiré. La mystique juive présente des idées similaires à travers le tsimtsoum<ref>Modèle:Lien web</ref>.

« Dieu ne peut être présent dans la création que sous la forme de l'absence »<ref>Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce, Plon, 1988, Modèle:P.126.</ref>.

Pour Simone Weil, la kénose originale, qui est vide, précède la kénose corrective avec l'incarnation du Christ. Nous sommes donc nés dans une sorte de position de damnés, non pas à cause du péché originel en tant que tel, mais parce que, pour être créés, nous devons précisément être ce que Dieu n'est pas, ainsi nous devions être à l'opposé de ce qui est saintModèle:Sfn.

Cette notion de création est une pierre angulaire de sa théodicée, car si la création est conçue de cette façon (comme contenant nécessairement le mal), alors il n'y a pas de problème à l'entrée du mal dans un monde parfait. Cela ne constitue pas une délimitation de l'omnipotence de Dieu, ce n'est pas que Dieu ne pouvait pas créer un monde parfait, mais que l'acte auquel nous nous référons en disant « créer » dans son essence même implique l'impossibilité de la perfection.

Toutefois, cette notion de la nécessité du mal ne signifie pas que nous sommes tout simplement, à l'origine, et continuellement condamnés ; au contraire, Simone Weil dit que « le mal est la forme que prend en ce monde la miséricorde de Dieu<ref>Simone Weil, La Pesanteur et la grâce, Plon, 1988, Modèle:P.164.</ref>.» Elle croit que le mal et sa conséquence, le malheur, ont le rôle de nous conduire hors de nous-mêmes et vers Dieu : Modèle:Citation

De la décréation à la charité

Ayant définitivement récusé une ontologie de l'être comme force et puissance, elle est conduite à produire une forme originale de théodicée chrétienne, une ontologie de l'être, de la nature et de la liberté comme don et amourModèle:Sfn. Pour elle, l'acte de création de l'univers est une abdication de Dieu, dont le retrait est la forme même de son amour, en dépit du fait qu'elle reconnaisse également le monde comme un lieu du mal, de l'affliction, et le mélange brutal du hasard et de la nécessité. En articulant être et don, où l'être et l'esprit sont ouverts au surnaturel, Simone Weil a produit une ontothéologie reposant de manière neuve le rapport entre la raison et la foiModèle:Sfn.

Une analyse approfondie des notions de « personne » et de « droits de la personne humaine »<ref group=Note>Cette analyse fondamentale figure dans l'étude La Personne et le sacré, publiée dans Écrits de Londres et dernières lettres, Gallimard, 1957, Modèle:P.11 à 44.</ref> a conduit Simone Weil à affirmer : Modèle:Citation. Ainsi dans une opération de calcul, l'erreur d'un enfant porte le cachet de sa personne. Mais Modèle:Citation La partie de l'être humain qui dit « je » est surtout marquée par le péché en raison de ce que Simone Weil appelle notre Modèle:Citation : par une illusion de perspective, chacun occupe une situation imaginaire au centre du mondeModèle:Sfn. À partir de ce centre de référence irréductible à tout autre, chaque homme interprète l'univers en fonction de ses désirs et de ses croyancesModèle:Sfn. Chacun dispose autour de sa personne la hiérarchie des valeurs, et croit pouvoir commander à la matière et aux âmes, jusqu'au point d'usurper la place de Dieu et de nier autruiModèle:Sfn. Ce mode d'existence, c'est la condition autonome de la créature ; il est le résultat de son libre-arbitre. Renoncer par amour et par humilité<ref group="Note">Simone Weil confère la plus haute valeur à cette vertu d'humilité : pour elle Modèle:Citation (La Personne et le sacré, op. cit., Modèle:P.31.)</ref> à être centré sur son moi, renoncer à être une personne, c'est ce que traduit la notion de « décréation » chez Simone Weil<ref group=Note>Ce mot est un néologisme. Il apparaît pour la première fois chez Charles Péguy mais dans un tout autre sens. Il fait écho à l'effort d'arrachement « d'ici-bas vers là-haut pour s'assimiler à Dieu » recommandé par Socrate dans le Théétète, 176 b.</ref>. « Dieu m’a donné l’être pour que je le lui rende [...] car « il aime en nous le consentement à ne pas être »<ref>Modèle:Ouvrage</ref>. Une fois accomplie la dissolution du moi (en d'autres termes, la dissolution de l'existence pécheresse), l'homme va « vivre en cessant d'exister »Modèle:Sfn. Accéder à ce mode d'être impersonnel, qui ne s'opère que par une attention d'une qualité rare et dans la solitude, ce fut Modèle:Citation C'est se mettre en mesure de s'approcher de tout ce qu'il y a de sacré, car Modèle:Citation Or, se vider de sa fausse divinité n'est pas autre chose que consentir à l'amour : Modèle:Citation

Malheur et métaphysique de la rédemption

Le malheur est autre chose que la souffrance. Le malheur n'est pas non plus la douleur ; il va au-delà de la simple souffrance physique, bien qu'il en soit inséparable. Sous sa forme extrême, le malheur associe à la fois la douleur physique, la détresse de l'âme et la dégradation socialeModèle:Sfn ; entendu comme Modèle:Citation, le malheur est un déracinement de la vie dans toutes ses composantes, il impose une angoisse physique et mentale qui fouette l'âme. Modèle:Citation C'est le malheur qui a contraint le Christ à supplier d'être épargné, et Job à crier vers Dieu. Modèle:Citation
Pourtant, la souffrance a une vertu révélatriceModèle:Sfn : la douleur physique nous fait prendre conscience de la vérité de la condition humaine, elle nous révèle combien notre autonomie est trompeuse, combien nous sommes entièrement soumis à la nécessité mécanique, aux lois qui régissent l'ordre du mondeModèle:Sfn qui font de l'être humain un être vulnérable, fragile, mortel ; Simone Weil cite souvent<ref group=Note>Voir Intuitions préchrétiennes, Fayard, 1985, Modèle:P.103, et l'article « Zeus et Prométhée » dans La Source grecque.</ref> ce vers d'Eschyle relatif au supplice de Prométhée : Modèle:Citation, (en grec, Modèle:Grec ancien). Il est possible en effet de faire un bon usage du malheur : il consiste en un consentement de l'âme tout entière dans un mouvement d'amour persévérant, en raison de la certitude de la miséricorde divine. C'est ce que montre la fin du livre de Job : au terme de sa détresse, Job reçoit la révélation de la beauté du monde. De même pour le chrétien : là où il y a consentement complet, authentique et inconditionnel à la nécessité, c'est-à-dire à la possibilité du malheur, Modèle:Citation.

La guerre et l'oppression sociale étaient les deux cas les plus intenses de malheur à la portée de Simone Weil ; pour en faire l'expérience, elle se tourna vers la vie d'un ouvrier d'usineModèle:Sfn, et pour la comprendre, elle étudia l’Iliade d'Homère<ref>Modèle:Article</ref>. Son essai, L'Iliade ou le poème de la force<ref group=Note>Cet article, écrit en 1939-1940, figure dans la première partie de La Source grecque, édition Gallimard, collection « Espoir », 1953, Modèle:P.11 à 42.</ref>, illustre l'empire dégradant auquel sont soumis aussi bien ceux qui manient la force que ceux qui en subissent la blessure. Le malheur est associé à la fois à la nécessité et au hasard, ce dernier lui donne un caractère injuste. En d'autres mots, mon malheur ne devrait pas être la conséquence de mon péché, selon une théologie vétérotestamentaire traditionnelle, mais devrait survenir sans aucune raison particulière.

La Pesanteur et la grâce

L'ouvrage paru sous ce titre présente l'inconvénient de laisser croire que la philosophie de Simone Weil serait à penser selon le dualisme de la pesanteur et de la grâce. Or, La Pesanteur et la Grâce est un recueil de pensées de Simone Weil, composé de divers passages tirés de ses carnets personnels et organisés par thèmes par Gustave Thibon, qui la connaissait et qui s'était lié d'amitié avec elle. Elle lui avait en effet donné certains de ses cahiers, écrits avant Modèle:Date-, mais sans arrière-pensée ou demande de publication ; le titre, l'organisation et l'édition du livre sont donc dus à Gustave Thibon, influencé par la mystique négative. Bien que ce titre soit l'un des plus célèbres de la philosophie du Modèle:Lien siècleModèle:Vérification siècle, les Œuvres complètes de Simone Weil en cours de parution aux éditions Gallimard l'ont fait disparaître avec raison : car Modèle:Citation Modèle:Sfn, le but ultime de la liberté humaine étant la conversion libre de l'être en amour, par la compassion et le don de soi. La relation entre le monde, l'homme et Dieu se joue selon un double mouvement : un mouvement analogique par l'amour qu'inspire toute forme de médiation ici-bas, par exemple l'ordre du monde et la beauté de la création, reflet du bien et de Dieu<ref>Simone Weil, La Source grecque, Gallimard, 1953, Modèle:P.129.</ref> ; et un mouvement cata-logique, qui est descente de Dieu, descente de la grâce, mouvement contraire à la pesanteur en ce qu'il est amour et non pas chuteModèle:Sfn.

Jugements

Fichier:Ecrits historiques et politiques, Simone Weil (high contrast).jpg
Un recueil publié dans la collection fondée par Albert Camus.

Albert Camus est l'un des premiers à avoir révélé l'importance des écrits de Simone Weil ; il considéra Simone Weil comme Modèle:Citation, et lui rendit un hommage vibrant : il a présenté L'Enracinement comme Modèle:Citation C'est pour faire connaître la pensée de Simone Weil qu'Albert Camus obtint de fonder la collection « Espoir » aux éditions Gallimard.

Gustave Thibon, qui l'a connue personnellement entre juin 1941 et mai 1942, écrit de l'œuvre de Simone Weil qu'elle est « une lumière pour l'esprit et une nourriture pour l'âme […], parce qu'elle émane de ce sommet de l'être qui surplombe tous les temps et tous les lieux »<ref>Gustave Thibon, préface à La Pesanteur et la grâce, Paris, Pocket, coll. « Agora », 1991, p. 7.</ref>.

Le philosophe italien Giorgio Agamben, auteur d’une thèse sur Simone Weil, a vu en elle Modèle:Citation.

La philosophe Hannah Arendt a affirmé que peut-être seule Simone Weil avait su traiter la question du travail Modèle:Citation<ref>A. Rebecca Rozelle-Stone, et Benjamin P. Davis, Introduction à l'article sur Simone Weil.</ref>.

En 1998, le critique littéraire Alfonso Berardinelli estime que Modèle:Citation<ref>Modèle:Article.</ref>.

Hommages

De multiples initiatives, en France et à l’étranger, visent à perpétuer la mémoire de Simone Weil : huit établissements scolaires portent le nom de Simone Weil<ref group="Note">Modèle:Lien web</ref>, dont deux maternelles, un lycée général situé à Saint-Priest-en-Jarez, un lycée général et technologique au Puy-en-Velay et à Paris dans le [[3e arrondissement de Paris|Modèle:3e arrondissement]], un lycée polyvalent à Dijon, une résidence universitaire située à Boulogne-Billancourt et un lycée à Treviglio en Italie. Plusieurs rues portent son nom, dont une dans le [[13e arrondissement de Paris|Modèle:13e de Paris]], d'autres à Marseille, Toulouse, Châteauroux<ref>Simone Weil : le choix d'une intellectuelle militante, lanouvellerepublique.fr, le 10 août 2016.</ref>, Semur-en-Auxois, Riorges, Rezé et Les Clayes-sous-Bois, ainsi qu'une allée au Rheu.

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Tableau de street art de Simone Weil à Berlin-Kreuzberg (2019)

D’autres initiatives ont pour but de promouvoir et d’honorer la vie et la pensée de la philosophe : ainsi, La Passion de Simone, oratorio composé par Kaija Saariaho, sous-titré Chemin Musical en quinze stations, explore la vie et les écrits de Simone Weil à travers une structure inspirée de celle d'une Passion ; les épisodes de sa vie sont chacun assimilés aux stations du Chemin de croix. Sur un livret d'Amin Maalouf, et dans une mise en scène de Peter Sellars<ref>Modèle:Lien web</ref>, cet oratorio a été créé le Modèle:Date- au Jugendstiltheater à Vienne, dans le cadre du festival New Crowned Hope.

Ecologie Responsable, un jeune laboratoire d’idées fondé par des étudiants, se référant à la pensée de la philosophe, décerne chaque année à une personnalité le Prix de l'Enracinement-Simone-Weil dans les salons du Sénat. Les lauréats de ce prix depuis 2020 ont été l'écrivain Denis Tillinac<ref>Modèle:Lien web.</ref>, Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine<ref>Modèle:Lien web.</ref>, et Jean-Marie Rouart, de l'Académie française<ref>Modèle:Lien web.</ref>.

Une promotion de l'ENA (1972-1974) a choisi de porter son nom. Un cratère vénusien, Weil, est également nommé en son honneur<ref>Modèle:Lien web</ref>. En Modèle:Date- à Lyon, l'association des Alternatives catholiques ouvre le « Café Simone » en hommage à Simone Weil, café associatif culturel et espace de travail commun ouvert à tous<ref>Modèle:Article</ref>,<ref>Modèle:Lien web.</ref>.

Par un vote solennel de son conseil d'administration le 10 mars 2022, suivant une consultation au sein de la Faculté Victor Ségalen, l'Université de Bretagne Occidentale a renommé l'amphithéâtre numéro deux de la Faculté des Lettres du nom de Simone Weil<ref>Modèle:Lien web</ref>, et une salle de l'École normale supérieure de Paris porte son nom<ref>Modèle:Lien web</ref>.

Œuvres

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Éditions

  • Œuvres complètes, sous la dir. d'André-A. Devaux et Florence de Lussy, Paris, Gallimard, 1988 - ... Sur les 16 volumes divisés en 7 tomes prévus, 13 sont parus.
  • Œuvres, Paris, Gallimard, collection « Quarto », 1999, 1288 p.
  • La Condition ouvrière, Paris, Gallimard, collection « Folio Essais », 2002, 528 p.

Notes et références

Notes

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Références

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Voir aussi

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Bibliographie

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Ouvrages

Articles

Liens externes

Notices et ressources

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